Actualité
Appels à contributions
Séries TV et textes narratifs (Pau)

Séries TV et textes narratifs (Pau)

Publié le par Marc Escola (Source : Yves Landerouin)

Maintes occasions nous sont données aujourd’hui de constater que la culture sérielle, si l’on peut l’appeler ainsi, supplante la culture filmique dans de nombreuses couches de la population. Et bien des histoires, qu’elles soient empruntées à la littérature ou à l’actualité, sont aujourd’hui appréhendées par un large public à travers les représentations qu’en donnent les séries. Aussi peut-on chercher, comme une première journée d’études organisée à Bayonne en décembre 2024 s’est proposé de le faire, à mieux comprendre quels sorts les séries réservent aux textes romanesques. Mais on peut aussi appliquer la question à la littérature non-fictionnelle en s’intéressant aux séries documentaires qui se basent sur des enquêtes, correspondances, témoignages... Enfin le champ de la réflexion ne serait complet qu’en appréhendant la relation inverse : la place des séries dans les textes narratifs, et en particulier dans la création romanesque contemporaine. La seconde journée d’études, qui se tiendra en septembre 2026, sera consacrée à ces deux dernières pistes.

1.    La littérature non-fictionnelle dans les séries documentaires :

- Comme toute approche documentaire, le point de départ de ce type de séries repose en amont sur un travail de documentation et d'exploration de sources écrites. Mais certaines se présentent comme des adaptations, c'est à dire qu'elles se limitent au matériau du texte-source (et parfois, l'auteur du texte source est crédité comme réalisateur, coréalisateur ou coscénariste) :  
ex. : P. Benquet, La grande évasion fiscale, 3x50', 2013, d'après A. Peillon [journaliste à La Croix], Ces 600 milliards qui manquent à la France, Seuil, 2012 ; David Korn-Brzoza, Décolonisations. Du sang et des larmes, 2x1h20, 2020 (coécrit par Pascal Blanchard), d'après Pascal Blanchard, Nicolas Bancel et Sandrine Lemaire, Décolonisations françaises. La chute d’un empire, La Martinière, 2020 ; Jérôme Prieur, Ma vie dans l’Allemagne d’Hitler, 2x52’, 2018, d'après les témoignages du projet « My life in Germany before and after january 30 1933 », Harvard, 1939 ; et Vivre dans l’Allemagne en guerre, 2x52’, 2020, d'après journaux intimes et correspondances de civils allemands, publiés après-guerre ou plus récemment. Il existe même le cas particulier de la série qui précède le livre, lequel reprend le matériau de la série et le complète (en intégrant l'histoire du tournage notamment) :
ex. : la diffusion de la série de Patrick Rotman, L’Ennemi intime, 3 épisodes, 2002, s'accompagne de la publication du livre éponyme (Patrick Rotman L’Ennemi intime, Seuil, 2002) et du même Rotman-Hamon-Edinger, Génération, 15 épisodes, 1988 // Rotman-Hamon, Génération. Les années de rêve. Les années de poudre, Seuil 1987-88.
- Il faudrait envisager aussi le cas des séries qui mettent en œuvre une esthétique fictionnelle (scénario, acteurs, décors...) mais en prenant pour référence voire en utilisant un matériau littéraire non-fictionnel :
ex: Les séries de David Simon (The Wire est la plus connue) se nourrissent de ses propres enquêtes journalistiques ou adaptent des enquêtes signées par d'autres journalistes ; ex: Craig Mazin réalise Chernobyl en se basant essentiellement sur La Supplication de S. Aleksievitch.
  Dans ce cas, est-il possible d'interroger l'étendue de cette utilisation (simple travail de documentation ; emprunt de personnages, situations et propos ; adaptation) ? et d'analyser les modalités et la portée du travail de fictionnalisation ? Quel gain en termes d'audience (goût pour les fictions « basées sur des faits réels ») ? Quelle perte en termes d'approche du réel ? Proximités et différences avec le docu-fiction ? L’on pourra aussi s’intéresser aux mutations de la figure auctoriale, en considérant le statut de l’auteur « télé-littéraire », à la fois écrivain, scénariste et auteur de série, à l’instar de David Simon.
  Dans les deux cas : quel est l'intérêt du format « série » par rapport à un long-métrage ? Aspect pédagogique (chaque épisode aborde un aspect particulier du thème traité) ? Viser une forme d'exhaustivité à propos de moments historiques longs et complexes ? Peut-on constater un retour aux textes après la diffusion de la série ? une forme de complémentarité entre les deux ?

2.    La réception du phénomène sériel dans la création romanesque contemporaine (qu’elle s’en nourrisse de façon déclarée ou non) : 

  Les études portant sur ces textes s’emploieront à répondre aux questions suivantes :
- Quelle image le roman donne-t-il du phénomène à travers les références qu’il fait à telle ou telle série et dans les commentaires s’y rapportant ?  Dans quelle mesure cette image témoigne-t-elle d’un « complexe », d’une « jalousie » de l’écrivain à l’égard d’un genre aussi fécond et populaire ? (question posée par Tristan Garcia au cours de la table ronde « Que peuvent apporter les séries télévisées à la littérature ? », TV séries n°7, 2015) 
- Comment les séries télévisées opèrent-elles à l’intérieur d’un texte littéraire ? Peut-on identifier des indices de « sérialité audiovisuelle » ? Peut-on observer le travail de transposition intermédiale des stratégies et des procédés narratifs de la série télévisée dans le texte, du point de vue de l’intrigue, de la temporalité, de la focalisation du récit, du personnage romanesque ? À titre d’exemple, le roman de Maylis de Kerangal, Réparer les vivants (2013) repose sur une alternance de points de vue et sur plusieurs cliffangers qui configurent un récit haletant, dont le rythme s’approche de la temporalité du visionnage d’une série. 
- Lorsqu’un roman transpose l’esthétique de la série télévisée, les ingrédients romanesques doivent-ils présenter des caractéristiques mainstream (pour reprendre le titre de l’ouvrage de Frédéric Martel, Mainstream. Enquête sur la guerre globale de la culture et des médias), sacrifiant à ce que Martel appelle l’« américanisation des imaginaires à travers le monde » – puisque les séries sont majoritairement états-uniennes ? Le roman français contemporain lorgne d’ailleurs vers les séries d’outre-Atlantique : le roman interactif de Chloé Delaume La Nuit je suis Buffy Summers (Ere, 2007) est à la fois un hommage et un détournement littéraire de la série « Buffy The Vampire Slayer » (1997-2003). Dans quelle mesure l’intrigue et les personnages versent-ils alors dans la stéréotypie ? Les lieux de l’action perdent-ils de leur authenticité, devenant des « non-lieux » (Marc Augé) ou des « lieux notionnels » (« notional places »), selon la terminologie de Stephen Rowleyn dans son ouvrage Movie Towns and Sitcom Suburbs, désignant des représentations urbaines reconnaissables mais fictives, procédant d’un architexte générique qui se nourrit de la mémoire des films et des séries, dont la ville états-unienne est l’archétype ? Ces mêmes questions se posent avec une acuité particulière dans le cas des romans écrits en vue de l’adaptation sérielle.
- On pourra aussi s’intéresser aux modalités de publication et aux supports privilégiés des romans qui présentent une cinégénie marquée par les séries télévisées : livraisons successives, conformément à la logique de sérialité (Doggy Bag de Philippe Djian, inspiré de la série Six Feet Under ; The Familiar de Mark Z. Danielewski (2015-2017) ; publication dans des revues, des blogs, et plus largement publication sur internet (Kiwi de Pierre Alferi (2012), d’abord paru en épisodes sur le site sitaudis.fr.).
- Le romancier peut-il attendre un surcroît d’attractivité de la référence aux séries ou de la transposition de leur esthétique, de leurs procédés ? 

  —

Les communications, données en français ou en anglais, feront l’objet d’une publication.

Les textes de proposition (comportant notamment l’indication d’une problématique et d’un corpus) doivent être envoyées, svp, à ces trois adresses :
yves.landerouin@univ-pau.fr ; laurence.comut@univ-pau.fr ; sylvaindreyer@hotmail.fr

Date limite : 15 décembre 2025.