
Appel à communications
De la lettre à l’e-mail : épistolarité et matérialité (1500-2025)
Colloque international d’IMAGER
(Institut des Mondes Anglophone, Germanique et Roman, UR 3958)
Université Paris-Est Créteil, 26-27 novembre 2026
Confrontée à l’essor de l’e-mail et des messageries instantanées, la lettre est un moyen de communication qui semble aujourd’hui voué à la disparition. Cette mutation profonde des formes de l’épistolarité invite à examiner la lettre et ses doubles numériques sous l’angle de la matérialité. Le colloque pluri- et interdisciplinaire organisé par le laboratoire IMAGER (Institut des Mondes Anglophone, Germanique et Roman) propose de mettre en lumière les multiples aspects de cette matérialité telle qu’elle se manifeste dans les aires linguistico-culturelles anglophone, francophone, germanophone, hispanophone et italophone.
De la correspondance papier au numérique : supports et usages
S’intéresser à l’épistolarité dans sa matérialité nécessite d’aborder en premier lieu la question du support. Le dispositif matériel mobilisé pour écrire et acheminer une lettre (table, papier, plume, encre, pliage, timbre, sceau, services postaux, etc.) varie en effet considérablement selon l’époque et le destinataire. Analyser les rapports entre cette matérialité du support et des outils et la fonction des échanges épistolaires, la position sociale des épistoliers ou encore la nature de la relation les unissant permettrait de construire une histoire matérielle, et non simplement discursive ou rhétorique, des correspondances.
Le passage d’un support matériel à un support numérique, représente, dans cette perspective, une mutation très profonde, dont ce colloque souhaiterait également explorer les conséquences. La réduction au seul écran des multiples éléments constituant le dispositif épistolaire (Souchier 238), l’immédiateté propre au médium électronique et la coprésence, dans un même espace conversationnel ou « diatexte » (Fournout 29-48), des messages des deux parties changent en effet radicalement la nature de la relation épistolaire, les formes de sociabilité qui unissent les correspondants et le discours lui-même. On pourra ainsi s’interroger, d’un point de vue linguistique, sur l’évolution de la phraséologie et des repérages discursifs dans un contexte d’écriture où l’alternance présence/non-présence n’est plus aussi nette.
La nature exacte de ce nouveau support doit également nous interroger. Il est communément admis que le passage au numérique constitue une forme de dématérialisation. Il y a là une fausse évidence sur laquelle il conviendra de revenir en se demandant si le changement de support n’entraîne pas plutôt une « (re)matérialisation numérique » (De Angelis 2023, 54-55) souvent mal comprise en raison de sa complexité.
Matérialité, édition et archivage
L’étude des correspondances sous l’angle de la matérialité soulève également des questions liées à l’édition et à l’archivage. Pendant longtemps, la sélection opérée dans les correspondances publiées a donné lieu à des représentations parcellaires – tronquées et/ou corrigées – des échanges entre épistoliers. C’était avant tout la valeur documentaire – historique ou biographique – de la lettre que l’on s’efforçait de mettre en valeur. Les éditeurs tentent aujourd’hui de réparer les erreurs du passé en offrant une image plus fidèle des échanges. Rendre la lettre dans sa matérialité demeure cependant un défi ; objet incarné par excellence, elle est vouée, lors de la publication, à une réduction à son contenu textuel qui en trahit la complexité. Comment, dès lors, donner au lecteur une idée de cette matérialité sans basculer dans la saturation informationnelle ? Les projets d’édition numérique constituent-ils une réponse possible ?
Le changement de support représente également un bouleversement à d’autres titres : peut-on éditer une correspondance électronique ? Si oui, sous quelle forme et à quelles conditions ? Quelles réponses les humanités numériques peuvent-elles apporter ?
Comment, de plus, archiver des correspondances électroniques et les rendre accessibles tout en assurant leur conservation ? Comment les exploiter efficacement ? La surabondance du matériau disponible invite en effet à repenser les méthodes de recherche. Quelles questions éthiques, enfin, leur utilisation soulève-t-elle ?
Enjeux de la matérialité : affects, pouvoir, secret et savoir
Étudier les correspondances sous l’angle de la matérialité permet également de mettre en lumière des enjeux liés aux affects, au pouvoir, au secret et à la transmission. Écrite à la main, manipulée, parfois même parfumée, la lettre est bien souvent appréhendée comme un substitut du corps de son auteur, en particulier dans les correspondances amoureuses (Decker 38-40 ; Stanley 2004, 208-209). Qu’advient-il de cette corporéité dans les échanges électroniques ? Une forme de rematérialisation propre à transmettre les affects peut-elle s’opérer ? On pourra notamment se demander si les messages vocaux, l’utilisation de la vidéo ou encore les émoticônes ne constituent pas une forme de retour du corps dans les échanges épistolaires numériques.
La possession de certaines lettres peut également être synonyme de pouvoir, une seule d’entre elles pouvant compromettre son auteur ou son destinataire. Le passage au numérique n’a fait qu’amplifier les risques liés à un envoi à un destinataire indésirable et pose la question du brouillage des frontières entre sphères privées et publiques.
Nombre de correspondances – celles des minorités, des militants emprisonnés, mais aussi celles menées dans un cadre diplomatique, d’espionnage ou de résistance – se construisent dans le secret. Comment cette exigence de confidentialité s’incarne-t-elle matériellement ? Comment les épistoliers contournent-ils la censure ? Comme l’ont montré Jana Dambrogio et Daniel Starza Smith dans Letterlocking: The Hidden History of the Letter, cette exigence de confidentialité a donné naissance, au cours de l’histoire, à une multiplicité de techniques destinées à sécuriser les envois.
La lettre dans sa matérialité convoque enfin des problématiques liées au savoir : outil d’acquisition des connaissances dans le cadre d’échanges informels ou de cours à distance, elle peut également, grâce aux affects qu’elle mobilise et par l’engagement corporel qu’elle suscite chez l’apprenant, être mise au service de la transmission dans de multiples contextes d’enseignement.
La lettre et les échanges numériques dans la littérature et dans l’art
La matérialité de la lettre et sa charge affective expliquent la place importante qu’elle occupe dans la littérature et dans l’art. Le roman épistolaire, apparu au xviième siècle, et dont l’âge d’or se situe au xviiième siècle, a donné lieu à nombre d’études, mais on s’interrogera ici plus précisément sur le rôle joué par la matérialité de la lettre comme ressort narratif dans ces textes. Dans la lignée des recherches initiées par Maria Lösching et Rebekka Schuh dans The Epistolary Renaissance, il conviendra également de s’attarder, d’une part, sur la résurgence de la lettre dans la littérature contemporaine et, d’autre part, sur l’inclusion désormais fréquente d’e-mails, textos et autres messages électroniques dans les fictions multimodales. On se demandera notamment si ce type de fiction a pour effet de redonner une densité matérielle à des échanges souvent décrits comme « dématérialisés ».
Objet d’art, la lettre l’est à un autre titre. Si elle a très tôt fait l’objet de représentations picturales, elle est aussi, dans certaines œuvres contemporaines, intégrée directement, dans sa matérialité brute, au dispositif de l’œuvre. Les échanges électroniques nourrissent eux aussi les arts visuels en servant de matériaux pour des installations. Les œuvres hybrides, enfin, en particulier les lettres ornées de dessins ou les œuvres relevant de l’art postal et de ses variantes électroniques, constituent un autre objet d’étude possible pour ce colloque.
—
Mode de soumission
Le colloque se tiendra les 26 et 27 novembre 2026 à l’Université Paris-Est Créteil. Les propositions de communications de 300 mots maximum portant sur les aires linguistico-culturelles anglophone, francophone, germanophone, hispanophone et italophone, et sur des périodes historiques allant de la première modernité à au présent le plus contemporain sont les bienvenues. Les communications proposant une approche contrastive des manières de communiquer par lettres ou mail d’une langue-culture à une autre sont également encouragées. Les propositions devront être accompagnées d’une brève bio-bibliographie et déposées au plus tard le 6 janvier 2026 sur le site : https://epistolarite.sciencesconf.org. Elles seront soumises à l’évaluation du comité scientifique du colloque. Les décisions d’acceptation seront communiquées aux auteur·rices au plus tard le 25 février 2026.
Les langues de travail du colloque seront le français, l’anglais et l’espagnol.
—
Comité d’organisation
· Ana Castelo Garrido, maitresse de conférences en sciences du langage, didactique des langues-cultures et espagnol (Université Paris-Est Créteil, IMAGER) – ana.castelo@u-pec.fr
· Laure de Nervaux-Gavoty, maitresse de conférences en anglais des affaires (Université Paris-Est Créteil, IMAGER) – denervaux@u-pec.fr
· Guillaume Marche, professeur de civilisation des États-Unis (Université Paris-Est Créteil, IMAGER) – gmarche@u-pec.fr
Lieu, dates et contact
Lieu : Université Paris-Est Créteil – Campus centre, 61 avenue du Général de Gaulle, 94000 Créteil
Dates : 26-27 novembre 2026
Contact : epistolarite@sciencesconf.org
Comité scientifique
· Fabiana Alvarez-Ejzenberg, maitresse de conférences en linguistique hispanique (Université Picardie Jules Verne, CEHA)
· Laurence Cossu-Beaumont, professeure d’histoire et culture des Etats-Unis (Université Sorbonne Nouvelle, CREW)
· Marie-Hélène Cuin, maitresse de conférences en langue et littérature françaises (Université de Limoges)
· Rossana De Angelis, maitresse de conférences en sciences du langage (Université Paris-Est Créteil, CEDITEC)
· Michel Feith, professeur de littérature des Etats-Unis (Université de Nantes, CRINI)
· Nathalie Freidel, professeure de littérature française (Université Wilfrid Laurier)
· Laure Gallouët, maitresse de conférences en civilisation des pays de langue allemande (Université Paris-Est Créteil, IMAGER)
· Michel Marcoccia, maitre de conférences en sciences de l’information et de la communication (Université de technologie de Troyes, Tech-CICO)
· Daniel Meyer, professeur d’études allemandes (Université de Strasbourg, MGNE)
· Max Hidalgo Nácher, professeur de théorie de la littérature (Universitat de Barcelona)
Bibliographie indicative
ALTMAN, Janet Gurkin. Epistolarity: Approaches to a form. Ohio University Press, 1982.
BARON, Naomi S. « Letters by Phone or Speech by Other Means: The Linguistics of Email ». Language & Communication 18.2 (1998) : 133-170.
BARTHES, Roland. Fragments d’un discours amoureux. Seuil, 1977.
BENTE, Gary, et Nicole C. KRÄMER « Virtual Gestures: Embodiment and Nonverbal Behavior in Computer-mediated Communication ». In Arvid KAPPAS et Nicole C. KRÄMER (dir.) Face-to-face Communication over the Internet: Issues, Research, Challenges. Cambridge University Press, 2011 : 176-209.
BERGER, Arthur Asa. What Objects Mean: An Introduction to Material Culture. Routledge, 2016.
BERRY, David M., et Anders FAGERJORD. Digital Humanities: Knowledge and Critique in a Digital Age. Polity, 2017.
CAVALIÉ, Étienne, Frédéric CLAVERT, Olivier LEGENDRE et Dana MARTIN (dir.). Expérimenter les humanités numériques. Presses de l’Université de Montréal, 2017.
CHARTIER, Roger (dir.). La correspondance. Les usages de la lettre au XIXe siècle. Fayard, 1991.
DAMBROGIO, Jana, et Daniel Starza SMITH. Letterlocking: The Hidden History of the Letter. MIT Press, 2025.
DE ANGELIS, Rossana. « Textes et textures numériques. Le passage de la matérialité graphique à la matérialité numérique ». Signata 9 (2018) : 459-484.
DE ANGELIS Rossana. « Les supports d’écriture entre matière et usage ». Linguistique de l’écrit 4 (2023) : 25-66.
DECKER, William Merrill. Epistolary Practices: Letter Writing in America before Telecommunications. University of North Carolina Press, 1998.
DENIZOT, Nathalie, et Christophe RONVEAUX (dir.). La lettre enseignée. UGA Éditions, 2019.
DERRIDA, Jacques. La carte postale. De Platon à Freud et au-delà. Flammarion, 1985.
DIAZ, Brigitte. L’épistolaire ou la pensée nomade. Presses universitaires de France, 2002.
ELLIS, Jonathan (dir.). Letter Writing among Poets from William Wordsworth to Elizabeth Bishop. Edinburgh University Press, 2015.
ÉPRON, Benoît, et Marcello VITALI-ROSATI. L’édition à l’ère numérique. La Découverte, 2018.
FOURNOUT, Olivier. « La matrice relationnelle. Du diatexte à l’anthropologie de la communication ». Communication & Langage 156 (2008) : 29-48.
GLIKMAN, Julie, et Camille FAUTH. « Un nouvel accès à la parole spontanée : les vocaux ». ISCA Archives : XXXIVe Journées d'Études sur la Parole (2022) : 154-162.
GRASSI, Marie-Claude. Lire l’épistolaire. Dunod, 1998.
HAGGIS, Jand, et Mary HOLMES. « Epistles to Emails: Letters, Relationship Building and the Virtual Age ». Life Writing 8.2 (2011) : 169-185.
HAROCHE-BOUZINAC, Geneviève. L’épistolaire. Hachette, 1995.
KAUFMANN, Vincent. L’équivoque épistolaire. Minuit, 1990.
LÖSCHING Maria, et Rebekka SCHUCH. The Epistolary Renaissance: A Critical Approach to Contemporary Letter Narratives in Anglophone Fiction. De Gruyter, 2018.
MILNE, Esther. Letters, Postcards, Email: Technologies of Presence. Routledge, 2010.
MONAGLE, Clare, Carolyn JAMES, David GARRIOCH et Barbara CAINE. European Women’s Letter-writing from the Eleventh to the Twentieth Centuries. Amsterdam University Press, 2023.
MOUNIER, Pierre. Les humanités numériques. Une histoire critique. Éditions de la Maison des Sciences de l’Homme, 2018.
RAYNAUD, Claudine (dir.). Lettres noires. L’insistance de la lettre dans la culture afro-américaine. Presses universitaires de la Méditerranée, 2022.
SOUCHIER, Emmanuel, Étienne CANDEL et Gustavo GOMEZ-MEJIA. Le numérique comme écriture. Théories et méthodes d’analyse. Armand Colin, 2019.
STANLEY, Liz. « The Epistolarium: On Theorizing Correspondences ». Auto/Biography 12 (2004) : 201-235.
STANLEY, Liz. « The Death of the Letter? Epistolary Intent, Letterness and the Many Ends of Letter- Writing ». Cultural Sociology 9. 2 (2015) : 240-255.
STANLEY, Liz et Margaret JOLLY. « Epistolarity: Life after Death of the Letter? ». a/b: Auto/Biography Studies 32 (2017) : 229-233.
TILLEY, Christopher, Webb KEANE et Patricia SPYER (dir.). Handbook of Material Culture. Sage, 2006.
VERSINI, Laurent. Le roman épistolaire. Presses universitaires de France, 1979.
VITALI ROSATI, Marcello. On Editorialization: Structuring Space and Authority in the Digital Age. Institute of Network Cultures, 2018.