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Miroirs (revue TRANS- n. 34)

Miroirs (revue TRANS- n. 34)

Publié le par Marc Escola (Source : Revue TRANS-)

Le miroir est depuis toujours un opérateur essentiel de la pensée sur la représentation. Qu’il soit dispositif optique, métaphore de l’écriture, seuil ontologique, il interroge le lien entre le visible et le dicible, l’image et le réel, le sujet et l’altérité. Ce numéro propose d’examiner, dans une perspective comparatiste, les usages littéraires, critiques et symboliques du miroir à l’ère de la crise contemporaine de la représentation[1]. Dans un contexte saturé par les débats sur les identity politics, les politiques de la représentativité et le retour au réalisme comme vecteur d’engagement, le miroir semble retrouver une fonction centrale dans les discours esthétiques. Il interroge les attentes contemporaines adressées aux œuvres : celles-ci doivent-elles refléter la diversité sociale, de genre, de race, de classe ? Et si oui, à quel prix esthétique et politique ?
L’utilisation de l’objet « miroir » en littérature a fait l’objet de nombreuses réflexions critiques, qui attestent sa nature polysémique. Andrea Tagliapietra, dans son œuvre La metafora dello specchio. Lineamenti per una storia simbolica dell’immagine (2023), soutient que le miroir a toujours été associé à l’idée d’une reproduction dévouée du monde. Umberto Eco, dans son essai Sugli specchi e altri saggi (1985), propose de concevoir le miroir comme un « phénomène-seuil », un double asymétrique de la réalité qui nous fait expérimenter un monde autre. Ce concept a été également repris par Jenijoy La Belle dans son étude Herself Beheld. The Literature of Looking Glass (1988), où elle analyse les différences entre les visions masculine et féminine du miroir dans l’autoportrait littéraire comme représentation réflexive : se regarder dans le miroir serait selon elle un acte d’auto-analyse et de construction de soi. Dans la fiction contemporaine, le roman Cat’s Eye (1988) de Margaret Atwood utilise les surfaces réfléchissantes comme symboles de la mémoire et de l’identité personnelle, suggérant une similitude entre l’art et le miroir comme dispositifs à la fois révélateurs et trompeurs. De manière différente, dans Je suis un écrivain japonais (2008) de Dany Laferrière, le miroir est mobilisé comme espace d’ironie et de décalage identitaire : l’auteur-narrateur se construit en multipliant des reflets fictifs, qui renversent les attendus de l’autoreprésentation. Enfin, dans Self-Portrait in Black and White : Unlearning Race (2019) de Thomas Chatterton Williams, le miroir reflète l’image du sujet en tension entre assignations raciales, appartenances multiples et rejet de toute fixité.

Ces usages montrent comment le miroir, loin de refléter un monde univoque, devient le prisme à travers lequel on peut inventer de nouvelles formes d’auto-analyse, de narration et de résistance. En ce sens, le miroir devient symptôme d’un déplacement des régimes de représentation : représenter n’est plus seulement refléter un monde, mais le déplier, le perturber, le rendre visible dans sa conflictualité. Cette tension entre représentativité et diffraction appelle à une généalogie critique de la fonction spéculaire dans les littératures du monde. De la mise en abyme à la fiction autoréflexive, de l’autoportrait littéraire aux jeux de duplicité identitaire, les usages du miroir permettent de revisiter les formes du réalisme, loin d’une illusion d’objectivité mimétique[2].
Ainsi, interroger le miroir en littérature revient à interroger les formes contemporaines du dicible : comment les œuvres mettent-elles en scène – ou en crise – le désir de visibilité ? Quels dispositifs formels mobilisent-elles pour penser l’identité et l’altérité ? En quoi le miroir, en tant que figure de répétition et de rupture, permet-il d’articuler les tensions entre représentation et représentativité ?

En croisant traditions littéraires, perspectives comparatistes et approches théoriques diverses, ce numéro entend faire du miroir un point d’observation privilégié des mutations actuelles de la représentation – à la fois esthétique, politique et épistémologique.

Pistes possibles et non exhaustives :

- Miroir et crise de la représentation

- Le miroir comme dispositif de désorientation du sujet

- Représentation sans spectateur : invisibilité, opacité, vacuité

- Miroirs, genres et corps minorés

- Esthétiques de l’entre-deux : miroir, seuil et liminalité

Indications importantes aux auteurs·rices :

- TRANS- est une revue de littérature comparée : la perspective comparatiste est décisive dans le processus de sélection. Le Comité évalue les propositions selon leur pertinence par rapport à l’appel, l’originalité de leur corpus, leur approche comparatiste ou leur qualité de réflexion théorique sur le thème proposé.

- La revue TRANS- accepte les articles rédigés en français, anglais, espagnol et italien.

- Les articles ayant fait l’objet d’une publication antérieure (article, ouvrage, chapitre d’ouvrage), y compris dans une autre langue, ne seront pas retenus.

Modalités :

- Les propositions d’articles (3000 signes), accompagnées d’une brève bibliographie, doivent être envoyées avant le 15 novembre 2025 au plus tard, en fichier .DOC ou .RTF à l’adresse lgcrevue@gmail.com. En fichier séparé, l’auteur ou l’autrice enverra une courte bio-bibliographie. Les articles retenus devront être envoyés pour le 15 mars 2026.

Notes:

[1] L’expression « crise de la représentation » trouve ses racines dans les avant-gardes artistiques et le modernisme, qui remettent déjà en question la transparence mimétique du langage et de l’art. Cependant, c’est surtout entre les années 1960 et 1970 que le concept trouve sa formulation théorique précise, en particulier avec le poststructuralisme (Derrida, De la grammatologie, 1967 ; Foucault, Les Mots et les choses, 1966) et la réflexion postmoderne (Lyotard, La Condition postmoderne, 1979), qui dénoncent la fin des grands récits unificateurs et la nature historiquement instable de tout discours représentatif. À partir des années 1980, la notion s’impose comme une catégorie critique répandue, jouant un rôle central dans l’analyse de la littérature contemporaine. Voir aussi : Hutcheon, The Politics of Postmodernism, 1989 ; Caruth, Unclaimed Experience, 1996 ; Donnarumma, Ipermodernità, 2014.

[2] Cf. Stendhal, Le Rouge et le Noir (1830) : « Un roman, c’est un miroir que l’on promène le long d’un chemin. Tantôt il reflète à vos yeux l’azur des cieux, tantôt la fange des bourbiers de la route. Et l’homme qui porte le miroir dans sa hotte sera par vous accusé d’être immoral; son miroir montre la fange, et vous accusez le miroir ! Accusez bien plutôt le chemin où est le bourbier, et plus encore l’inspecteur des routes qui laisse l’eau croupir et le bourbier se former. »

Bibliographie indicative :

ABRAMS, Meyer Howard, The Mirror and the Lamp: Romantic Theory and the Critical Tradition, New York, Oxford University Press, 1953.

ATWOOD, Margaret, Cat’s eye, Virago, 1988.

BARTHES, Roland, S/Z, Paris, Seuil, 1970.

BAUDRILLARD, Jean, Simulacres et Simulation, Paris, Galilée, 1981.

BORGES, Jorge Luis, Finzioni, tr. it., Turin, Einaudi, 1982.

ECO, Umberto, Sugli specchi e altri saggi, Milan, Bompiani, 1985.

FREUD, Sigmund, L’inquiétant (1919), tr. fr. dans Œuvres complètes, Psychanalyse, XV, Paris, Presses universitaires de France, 1996.

GROSZ, Elizabeth, Volatile Bodies : Toward a Corporeal Feminism, Bloomington, Indiana University Press, 1994.

KAROUI-ELOUNELLI, Saloua, « The Trope of the Mirror in Contemporary Experimental Literature », Studies in the Literary Imagination, vol. 53, no. 1-2, 2020.

LA BELLE, Jenijoy, Herself Beheld. The Literature of Looking Glass, Ithaca, Cornell University Press, 1988.

LACAN, Jacques, Écrits, Paris, Seuil, 1966.

LAFERRIERE, Dany, Je suis un écrivain japonais, Paris, Grasset, 2008.

RICOEUR, Paul, Soi-même comme un autre, Paris, Seuil, 1990.

SHILDRICK, Margrit, Leaky Bodies and Boundaries. Feminism, Postmodernism and (Bio)ethics, Londres, Routledge, 1997.

TAGLIAPIETRA, Andrea, La metafora dello specchio. Lineamenti per una storia simbolica dell’immagine, Rome, Donzelli, 2023.

WAUGH, Patricia, Metafiction : The Theory and Practice of Self-Conscious Fiction, Londres, Methuen, 1984.

THOMAS CHATTERTON, Williams, Self-Portrait in Black and White: Unlearning Race, New York, W. W. Norton & Company, 2019.