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Décrire les créoles au XIXe s. : idéologie, sociologie et intertextualité (revue Archipélies)

Décrire les créoles au XIXe s. : idéologie, sociologie et intertextualité (revue Archipélies)

Publié le par Marc Escola (Source : Hélène Wachtel)

En quoi les croyances sur les langues créoles influencent-elles l’interprétation qu’en donnent les créolistes du xixe siècle ? C’est à cette question que s’efforce de répondre ce numéro d’Archipélies, qui se consacre aux croyances, aux représentations et plus largement aux idéologies qui traversent la description des créoles depuis la première documentation sur la langue créole par Ducœurjoly en 1802 jusqu’à la peinture du créole en termes naturalistes au tournant du siècle. Loin de se réduire à de simples nomenclatures, les descriptions des langues créoles reproduisent en filigrane un arrière-fond idéologique, qu’il convient d’interroger pour mieux comprendre l’élaboration progressive d’un discours linguistique sur la genèse et l’essor des créoles. Pratiques linguistiques nées de situations coloniales, de contacts forcés et de ruptures historiques, les créoles et leurs descriptions cristallisent les clivages idéologiques et conceptuels de la colonialité dont ils menacent la cohérence et l’uniformité.
Le dossier soumis à la revue Archipélies se structurera autour des questionnements de recherche suivants :

1. De la nomination à l’idéologie

Le premier axe rendra compte tout d’abord des différentes nominations des langues créoles, en prêtant une attention toute particulière à la terminologie (scientifique ou autre), aux expressions choisies et aux domaines auxquels elles ressortissent, qui se déclinera sous la forme de trois questions :

Dans quelle mesure la désignation des créoles emprunte-t-elle les codes d’écritures et les enjeux idéologiques de la pensée coloniale de son temps ? La description des créoles détonne-t-elle par rapport à celle des langues dites « ordinaires » de son temps ou dénote-t-elle à l’inverse une rupture franche ? En quoi les dénominations utilisées pour désigner les créoles révèlent-elles les idéologies linguistiques qui les sous-tendent ?

2. Langue, société et savoir

Le XIXe siècle entremêle de façon inextricable le sentiment d’identité et le sentiment linguistique. Les principes mis au jour par Renan (1882) et Bréal (1891), en particulier, sur lesquels reposent de nombreux débats linguistiques qui animent la réflexion épistémologique du xixe siècle, trouvent un écho parfois implicite dans les écrits des créolistes. Trois retiennent en particulier toute notre attention : la transposition du discours naturaliste au domaine de la linguistique, la langue comme le signe d’appartenance à une histoire et une culture commune, la trace de l’esprit des peuples dans la langue. Les contributions pourront répondre à l’une des trois questions :

En quoi la description des créoles reflète-t-elle les débats de société qui traversent le XIXe siècle ? L’orientation racialiste de la recherche contemporaine a-t-elle un impact sur la description de la langue et en particulier des catégories grammaticales retenues ? À quel point les créolistes s’inscrivent-ils dans une logique déterministe de la différence humaine, à quel point maintiennent-ils une vision universaliste du développement linguistique ? Quel est l’impact des a priori épistémologiques sur le choix des catégories grammaticales ? En quoi les choix grammaticaux traduisent-ils des positionnements épistémologiques ?

3. Épistémologie et intertextualité

La finalité de ce dernier axe, sans pour autant être exclusive d’autres, empruntera un cheminement plus littéraire ou philologique. Il s’agira autant de questionner l’influence réciproque plus ou moins palpable des penseurs du siècle, qui fournissent autant un gage de cohérence que de scientificité, que l’incidence du genre textuel retenu (discours, lettre, exposé, etc.) sur la construction du raisonnement idéologique. Trois interrogations seront particulièrement mobilisées :

Quelle part accorder aux influences théoriques dans le raisonnement des créolistes du XIXe siècle ? Quelles traces de la voix d’auteurs découvre-t-on au fil des textes ? En quoi l’emprunt à d’autres penseurs éclaire-t-il le sens de la démonstration ? Que nous apprennent les écrits, parfois considérés comme mineurs (correspondance, journaux intimes, etc.), dans la construction d’une réflexion linguistique ? En quoi les formes génériques (traités, lettres, journaux, notamment) influencent-elles le développement et la construction du raisonnement linguistique ?

Calendrier

  • Remise des propositions de contribution (titre et résumé de 500 mots environ) adressées aux coordinateurs du dossier (olivier-serge.candau@univ-antilles.fr et philipp.kramer@vub.be) d’ici au 18 novembre 2025. Les contributions pourront être rédigées dans l’une des langues suivantes : allemand, anglais, créoles à base française, espagnol, français, portugais.
  • Avis sur l’acceptation des propositions le 16 décembre 2025.
  • Envoi des contributions retenues sous leur format intégral (40 000 signes environ, espaces comprises) d’ici au 16 février 2026.
  • Retour des expertises le 14 avril 2026.
  • Envoi des contributions corrigées le 12 mai 2026.
  • Publication du numéro à la mi-juin 2026.

Coordinateurs

Références bibliographiques

Sources primaires

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Baissac, C. (1880). "Le Folk-lore de l’île Maurice", Paul Sibliot (dir.), Les Littératures populaires de toutes les nations. Traditions, légendes, contes, chansons, proverbes, devinettes, superstitions, tome XXVII, Paris, Maisonneuve et Leclerc.

Bréal, M. (1891). "Le langage et les nationalités", Revue des Deux Mondes (1829-1971), 1er décembre 1891, troisième période, vol. 108, n° 3 (1er décembre 1891), p. 615-639.

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Descourtilz, M.– E. (1799-1803), Voyage d’un naturaliste en Haïti, 1799-1803 [Texte imprimé]/par M. E. Descourtilz, publié par Jacques Boulenger.

Ducœurjoly, S.-J. (1802). Manuel des habitans de Saint-Domingue, 2 tomes, Paris, Lenoir.

Fourdinier, abbé (1835). Catéchisme, ou abrégé de la doctrine chrétienne, à l’usage des paroisses des colonies françaises ; approuvée par la Sacrée Propagande, édition de 1845, Paris, Séminaire du Saint-Esprit.

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Sources secondaires

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Candau, O.-S. (à paraître b). « Entre ombre et lumière : quelques mots sur le génie de la langue créole », La Linguistique, « Les langues créoles du xviie au xixe siècle. Aux origines de l’étude grammaticale », dir. Olivier-Serge Candau et Béatrice Jeannot-Fourcaud, La Linguistique, vol. lxi, fascicule 2, Presses Universitaires de France, p. 9-26.

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Sousa, S. M. de. (2016). A influência de Hugo Schuchardt na primeira geração de lusocrioulistas, Thèse de doctorat, Graz, Université de Graz.

Sousa, S. M. de / Mücke, J. / Krämer, P. (2019). A History of Creole Studies, Oxford Research Encyclopedia of Linguistics.