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Création(s) au prisme du document : enjeux d'une nouvelle matérialité documentaire entre réel, mémoire et fiction (journée d'étude, Nanterre)

Création(s) au prisme du document : enjeux d'une nouvelle matérialité documentaire entre réel, mémoire et fiction (journée d'étude, Nanterre)

Publié le par Léo Mesguich (Source : Azin Mohammadali)

Dans le prolongement du « tournant documentaire » ayant traversé les pratiques artistiques dès la fin du XXe siècle, le document — qu’il soit textuel, visuel, sonore ou performatif — s’impose aujourd’hui comme un vecteur important au sein de la création contemporaine. Ce « retour au réel », selon l’expression d’Hal Foster constitue une matérialité, susceptible de renouveler les modalités de production. Désormais, l'usage contemporain du document excédant sa fonction originelle de preuve ou de référence, en modifie sa nature traditionnelle en l'intégrant à un paradigme nouveau de la création artistique. Il devient un instrument de relecture critique de l’histoire, un opérateur de mémoire, un dispositif esthétique ou un matériel de fictionnalisation.

Ces usages s'incarnent dans les pratiques muséales et celles de nombreux·ses artistes, écrivain·e·s, cinéastes, metteur·e·s en scène et de performeur·euse·s, qui mobilisent des archives institutionnelles, des récits oraux, des matériaux recueillis ou fabriqués. Ces démarches de création engagent des logiques esthétiques, mais aussi de contre-archive, de réappropriation, d’effacement ou d’hybridation temporelle qui vont jusqu’à interroger les régimes dominants de visibilité, de mémoire et d’autorité. Dans cette perspective, il s'agira d'éclairer la manière dont les pratiques artistiques et le document s'infléchissent et s'influencent l'un l'autre.

Cette journée d’étude interdisciplinaire se donne pour objectif de mettre en lumière les usages contemporains du document dans les pratiques artistiques, en mobilisant les approches relevant des arts plastiques et visuels, de l’esthétique, de l’histoire, de la littérature, des études postcoloniales, de l’épistémologie et des pratiques curatoriales. Il s’agira aussi bien d’examiner les symboliques du document que d’analyser les modalités de son activation, qu’il soit transformé, exposé, mis en scène ou écrit. Il conviendra également de réfléchir aux façons dont les pratiques artistiques contribuent à reconfigurer les régimes de preuve, de mémoire et de récits, à travers la diversité des formes, des médiums, des contextes et des histoires mobilisées.

AXES THÉMATIQUES

I : Le statut du document : définitions, natures et renversements

Le document occupe une position paradigmatique dans la création artistique, attestant d’un état de réalité, pouvant être falsifié ou créé de toutes pièces. Le document comme objet d’analyses et d’études est essentiel mais sa viabilité nécessite une observation critique. Les structures qui recueillent ces documents participent à la catégorisation et la hiérarchisation de ces objets dont la valeur documentaire est alors établie, construisant ainsi une historiographie du document propre aux acteur·ice·s de cette collecte documentaire. Quels objets peuvent-être interrogés comme document ?

L’esquisse, les travaux préparatoires, les brouillons, les pilotes sont-ils des œuvres à part entière ou de simples documents ? Quelle confiance leur accorder et ce, à l’heure où les data centers accumulent par dizaines de milliards le moindre fragment de réalité, où le vrai se mêle au faux. En quoi cela peut être la preuve d’un changement en cours de la nature même du document ? Et quelle pertinence à faire dialoguer documentation et création ?

II : Politiques du document : pouvoir, mémoire, effacement

Les enjeux de pouvoirs liés à l’archivage et à l’accès aux documents mettent en évidence les silences institutionnels et les absences dans les récits dominants. Les travaux critiques d’historiens et de théoriciens tels qu’Achille Mbembe et Ann Laura Stoler considèrent les archives comme des espaces de conflits narratifs et mémoriels traversées par des gestes de relecture, de subversion et de réinscription. Les pratiques de Zanele Muholi, Zineb Sedira, Babi Badalov ou encore Mohammed El-Khatib, s’emparent de ces luttes et effectuent des gestes de réappropriation et de résistance, activant des mémoires effacées et produisant des contre-récits. À travers des médiums variés — photographie, théâtre, littérature, collecte, sources orales — ces démarches interrogent les critères de conservation, de transmission, d’accès et de valorisation des documents, tout en investissant leur dimension subjective pour porter des messages politiques engagés. Le travail d’un J. T. Rogers dans sa pièce Oslo (2017) est exemplaire dans le champ du théâtre.

III : Spectacularisation du document : expressions esthétiques et fictions documentaires

Lorsque l’on reconnaît à l’art un rôle documentaire, c’est dire qu’il vient rendre compte de la forme réelle de la réalité. Qu’en est-il si au contraire, un courant de la création artistique tend à documenter la fiction en tant qu’elle serait réelle. En 2017 le chercheur Simon O’Sullivan, s’interroge : « comment produire ici et maintenant ces différentes fictions du futur de manière artistique, et leur donner une prise sur la réalité ? Comment produire dans ce monde quelque chose qui ait un effet sur ce dernier, sans en être entièrement issu ? ». En réponse à cette question, cet axe invite à explorer d'une part la pure expression esthétique du document et d'autre part en tant qu'il serait le matériel de la fiction.

Tantôt comme support d’installation chez Boltanski, tantôt comme incarnation de l’irreprésentable pour Neshat, il est encore geste performatif dans les installations de Haacke. En lien étroit avec l’univers qu’évoque O’Sullivan, le document peut également être convoqué comme œuvrant à la représentation d'un futur utopique - ou dystopique. C’est notamment le cas dans l'œuvre de Chris Marker. La matérialité du document est valorisée, sa fonction réinventée, faisant de lui un médium aux potentialités nouvelles.

MODALITÉS DE SOUMISSION

La journée d’étude se tiendra le lundi 1er décembre 2025 à l’Université Paris Nanterre, au Bâtiment Weber -- au 200 Av. de la République Nanterre, France (92). 

Les propositions de communication (titre, résumé de 2000 signes maximum, espaces compris, accompagnées d’une courte bio-bibliographie) sont à envoyer au plus tard le 30 septembre 2025 à l’adresse suivante : doctorantshar@gmail.com

BIBLIOGRAPHIE INDICATIVE

  • AGAMBEN Giorgio, Ce qui reste d’Auschwitz. trad. Pierre Alféri, Paris, Payot, 1999 [233p.].
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  • BORLEE Denise, LAMOUCHE Emmanuel, MEUNIER Florian, « Archives. Retour aux sources », Histoire de l’art, n°95, Paris, ApAhAu, 2025 [167p.].
  • CAILLET Aline, POUILLAUDE Frédéric [dir.], Un art documentaire : Enjeux esthétiques, politiques et éthiques, Actes du colloque organisé par le Centre Clignancourt de l’Université Paris-Sorbonne, 3 – 5 juin, 2015, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2017 [303p.].
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  • FOSTER Hal, The return of the real : the avant-garde at the end of the century, Londres, MIT Press, 1996 [299p.].
  • FOUCAULT Michel, L’archéologie du savoir, Paris, Gallimard, 1969 [275p.].
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  • MCLUHAN Marshall, Pour comprendre les médias, les prolongements technologiques de l'homme, Montréal, Éditions HMN, [1964] 1969 [390p.].
  • ROGERS J. T. Oslo, Theatre Communications Group, New York, 2017 [144p.].
  • SARRAZAC Jean-Pierre, L’Avenir du drame, Lausanne, Edition de l’Aire, 1981 [198p.].
  • STOLER Ann Laura, Along the Archival Grain : epistemic anxieties and colonial common sense, Princeton University Press, 2009 [316p.].
  • WALTER Benjamin, L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique, Paris, Allia, [1936] 2011 [94p.].