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Circulations de la littérature en Europe au XVIIIe s. : quelle diffusion des idées et des formes dans les premiers périodiques pour enfants ? (Arras)

Circulations de la littérature en Europe au XVIIIe s. : quelle diffusion des idées et des formes dans les premiers périodiques pour enfants ? (Arras)

Publié le par Faculté des lettres - Université de Lausanne (Source : Béatrice Ferrier)

Circulations de la littérature en Europe au XVIIIe siècle :

quelle diffusion des idées et des formes dans les premiers périodiques pour enfants ?

Journée d’étude coorganisée par

Alexa Craïs, Béatrice Ferrier, Magali Fourgnaud et Évelyne Jacquelin 

5 juin 2026, Université d’Artois, Arras

Si le XIXe siècle peut apparaître comme l’âge d’or de la presse enfantine, le nombre de publications touchant progressivement un très large public, grâce aux progrès techniques et sous l’impulsion de grandes maisons d’édition comme Hetzel ou Hachette, le goût pour des formats courts, mêlant les genres littéraires et s’adressant directement au jeune lectorat, puise ses sources dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle. Certes les premières livraisons destinées aux enfants ne correspondent pas à ce que l’on nomme aujourd’hui « presse enfantine » : il s’agit plutôt de « périodiques expérimentaux », selon le mot d’Anne Besson-Morel, conçus et réalisés souvent par un seul auteur, publiés selon des échéances plus ou moins régulières, et vendus par abonnements ou souscriptions. Pourtant ces premiers périodiques présentent des traits d’une grande modernité qu’il convient aujourd’hui d’interroger. Si les recherches dix-huitièmistes sur les journaux ont permis, depuis une quarantaine d’années, de mieux saisir la spécificité du discours journalistique, les conditions de création et de diffusion des périodiques ainsi que leur influence au sein de l’espace public européen, la presse destinée aux enfants reste encore très peu explorée.

Cette journée d’étude vise donc à lancer une étude systématique des périodiques du XVIIIe siècle, destinés aux enfants et aux adolescents. Plus précisément il s’agit d’étudier leur rôle dans la circulation d’une littérature européenne porteuse d’enjeux multiples dans les domaines éducatif, culturel, esthétique et politique. En 1988, Jean Sgard appelait de ses vœux une étude comparative du journalisme européen afin d’écrire « l’histoire des relations intellectuelles » de l’Europe à l’époque moderne. L’étude des circulations (Beaurepaire) et des transferts culturels (Espagne) au sein des premières livraisons périodiques pour enfants entend contribuer à cette histoire des idées.

Les premiers journaux pour enfants paraissent dans la seconde moitié du XVIIIe siècle au moment où fleurissent les théories sur l’éducation et où se développe une éducation au sein des familles. Comme le montre l’ouvrage collectif de Rotraud Von Kulessa, ils témoignent de l’existence d’une communauté éducative qui dépasse les frontières à l’heure où les principes et traités éducatifs sont largement partagés, ce que souligne par exemple la circulation de l’Émile dans les journaux pour adultes de 1762 (Termolle). Parmi les travaux spécifiques consacrés aux périodiques enfantins, nombreux sont ceux qui concernent L’Ami des enfants (1782-1783) d’Arnaud Berquin. Précepteur des enfants de Panckoucke, l’éditeur lillois, Berquin se situe au croisement d’un réseau d’influences européen : ses écrits, issus de traductions et de compilations, puisent autant dans la littérature allemande (titre emprunté à Weisse) que dans la littérature anglophone (Mrs Trimmer, Thomas Day, etc.), en particulier après son voyage en Angleterre où il élargit son réseau, ce que révèle L’Ami de l’adolescence (1783-1784), son second périodique. Le Livre des familles ou Journal des enfants (1792) qu’il entreprend avant sa mort est moins connu, de même que Le Courrier des enfants et Le Courrier des adolescents de Louis-François Jauffret (1793-1796). Citons encore, côté français, le Journal d’éducation de Gaston Leroux (1768), également mentionné par Alain Fourment, et bien d’autres inventoriés dans le répertoire de Pierre Caspard. Si certains sont accessibles sur les sites du gazetier universel (https://gazetier-universel.gazettes18e.fr/) et du gazetier révolutionnaire (https://gazetier-revolutionnaire.gazettes18e.fr/), le travail de recensement n’est pas terminé.

Du côté allemand, les périodiques pour enfants prennent aussi leur essor après 1750, dans le sillage des Moralische Wochenschriften, gazettes « morales » qui se sont développées dans les années 1720-1730 sur le modèle anglais. Les questions d’éducation y sont souvent discutées, en s’adressant parfois directement aux « pères » ou aux « mères » avant de se tourner vers les jeunes gens, puis les enfants (Uphaus-Wehmeier). À la faveur d’un marché éditorial allemand multilingue, ces publications s’inscrivent dès l’abord dans un contexte européen, en s’appuyant sur des modèles anglais ou français, à la suite de la double réception de Locke et de Rousseau (Ewers). On trouve par exemple des emprunts au Magasin des enfants ou au théâtre de Moissy dans les premiers périodiques de langue allemande pour les enfants, tels le Leipziger Wochenblatt für Kinder (1772-1774) de Johann Christoph Adelung, dont l’entreprise sera prolongée à la demande de l’éditeur par Christian Felix Weisse et son célèbre Kinderfreund (1776-1782), qui va à son tour inspirer Berquin, donnant l’exemple de circulations européennes multidirectionnelles (Genton, Cardi). Cette circulation des périodiques enfantins concerne tout l’espace européen qu’il s’agira d’explorer de manière large et inédite (par exemple la Gazetta de los ninos en Espagne, la mode des Magazines en Angleterre…). 

Nombreux sont donc ces journaux enfantins du XVIIIe siècle, à découvrir en France et à l’étranger, des journaux qui s’appuient sur des textes littéraires pour éduquer les plus jeunes, mais aussi leurs parents et en particulier les mères. Quelles spécificités le format du périodique apporte-t-il à la diffusion de ces textes et quels en sont les enjeux ? Parfois conçus en séries ou en chapitres à lire d’un mois sur l’autre, ces textes peuvent s’adresser directement au jeune lectorat, procéder à des mises en scène pédagogiques ou des mises en abyme dans lesquelles les destinataires réels ou fictionnels se sentent concernés. Les courriers de lecteurs ou les anecdotes y participent. Ces textes littéraires revêtent la forme d’historiettes plus ou moins réalistes, de pièces de théâtre, de dialogues philosophiques, de fictions documentaires, de contes, de poèmes, de récits de voyage, etc., selon les objectifs pédagogiques, les goûts des éducateurs, les idées qu’ils comptent diffuser, et aussi selon l’âge et l’intérêt des lecteurs. Ainsi, Berquin renverse la dimension apologétique de Mrs Trimmer dans L’Introduction à la connaissance de la nature pour adopter une perspective encyclopédique et philosophique. Certaines fictions sont issues de la littérature pour adultes, antique ou contemporaine, publiées sous formes d’extraits choisis. Elles peuvent être l’objet de transferts culturels à la faveur de traductions et d’adaptations. Il arrive aussi que ces périodiques fassent la promotion d’ouvrages, d’auteurs ou d’éditions bilingues visant l’apprentissage de la langue. 

Interroger ces périodiques sous l’angle de la littérature permet d’analyser avec précision les textes et de comprendre les choix opérés par ces éducateurs qui, en dépit de leurs divergences notamment religieuses ou idéologiques, semblent partager des valeurs communes autour de l’éducation morale, des règles de civilité, des valeurs familiales et sociales, d’un accès à l’éducation des filles, autant de principes notamment défendus par des réformateurs de l’éducation tels que les philanthropistes allemands. Par conséquent, que nous disent les textes qui circulent dans ces périodiques d’un destinataire adulte à un destinataire enfantin, d’un éducateur à l’autre, parfois d’une langue à l’autre, d’une aire culturelle à l’autre, d’une religion à l’autre, d’un système politique à l’autre ? Par les genres, les auteurs ou les aires culturelles qu’ils privilégient et par le traitement qu’ils en font, que révèlent-ils de l’ouverture à l’autre, des idées transmises, du cosmopolitisme des Lumières ? En d’autres termes, nous nous demanderons dans quelle mesure les journaux enfantins, par les choix littéraires effectués, inviteraient à réfléchir à la circulation des idées et des formes dans l’Europe de la seconde moitié du XVIIIe siècle. Dans quelle mesure participeraient-ils à leur échelle à la diffusion des Lumières, entre courant apologétique et courant philosophique, dans une Europe en transition ?

Pistes indicatives : 

-          Comparaisons entre journaux enfantins français et étrangers, entre journaux pour enfants et journaux pour adultes, entre diffusion dans les journaux enfantins et les recueils d’éducation.

-          Études de journaux enfantins européens peu explorés. 

-          Études d’un même texte dans plusieurs périodiques différents, dans plusieurs langues différentes.

-          Que révèlent les choix des auteurs, des œuvres ou des genres ? Qu’est-ce qui est privilégié et qu’est-ce que cela révèle ? Quelles sources (antiques, modernes, bibliques…) ?

-          Quels liens avec les traités d’éducation ? Quels objectifs poursuivis ? Quelles conceptions du savoir et de sa transmission ?

-          Quelles représentations de l’enfance selon les aires culturelles ?

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Bibliographie 

Appel Charlotte, Christensen Nina, Grenby Matthew O. (dir.), Transnational Books for Children 1750-1900. Producers, consumers encouters, Amsterdam/Philadelphie, John Benjamins Publishing Cie, 2023.

Artigas-Menant Geneviève, « La vulgarisation scientifique dans le Nouveau magasin français de Mme Leprince de Beaumont », Revue d’histoire des sciences, n° 44, juillet-décembre 1991, p. 343-357. [https://www.persee.fr/doc/rhs_0151-4105_1991_num_44_3_4194]

Beaurepaire Pierre-Yves, L’Europe des Lumières, Paris, Presses universitaires de France, 2018.

Besson-Morel Anne, « Presse enfantine française », dans Isabelle Nières-Chevrel et Jean Perrot (dir.), Dictionnaire du livre de jeunesse, Paris, Éditions du cercle de la librairie, 2013, p. 764- 769. 

Bourdin Philippe et Chappey Jean-Luc (dir.), Réseaux et sociabilité littéraire en Révolution, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise-Pascal, 2007.

Craïs Alexa, Fourgnaud Magali et Leyh Valérie (dir.), Fictions morales à la fin du XVIIIe siècle. Traduction, diffusion, réception à l’échelle européenne, Cahiers d’Études Germaniques, n° 82, 2022.

Cardi Carola, Das Kinderschauspiel der Aufklärungszeit: eine Untersuchung der deutschsprachigen Kinderschauspiele von 1769 - 1800, Frankfurt am Main, Bern, New York, Peter Lang, 1983.

Caspard Pierre (dir.), La Presse d’éducation et d’enseignement, XVIIIe siècle-1940 : répertoire analytique, INRP-CNRS, 4 vol., 1981-1991.

Cook Malcolm et Jourdan Annie (éd.), Journalisme et fiction au 18e siècle, P. Lang, coll. « French Studies of the 18th and 19th Centuries », n° 1, 1999.

Dumouchel Suzanne, « Le périodique littéraire du XVIIIe siècle : “Un art difficile de former les hommes” », Études sur le XVIIIe siècle, n° 47, 2019, p. 61-92.

Dupont-Escarpit Denise, « Arnaud Berquin, L’Ami des enfants (1747-1791) ou l’aube de la presse pour la jeunesse en France », Nous voulons lire, n° 91, décembre 1991, p. 87-101.

Espagne Michel, Les Transferts culturels franco-allemands, Paris, Presses universitaires de France, « Perspectives germaniques », 1999.

Ewers Hans-Haino, « Aufklärung und Kinderliteratur » [1980], dans Hans-Haino Ewers, Erfahrung schrieb’s und reicht’s der Jugend. Geschichte der deutschen Kinder- und Jugendliteratur vom 18. bis zum 20. Jahrhundert, Frankfurt a. M., Berlin e. a., Peter Lang, 2010.

Fourment Alain, Histoire de la presse des jeunes et des journaux d’enfants (1768-1988), Paris, Éole, 1987.

Gantet Claire et Meumann Markus (dir.), Les Échanges savants franco-allemands au XVIIIe siècle. Transferts, circulations et réseaux, Rennes, PUR, 2019.

Genton François, Des beautés plus hardies… Le théâtre allemand dans la France de l’Ancien régime (1750-1789), Saint-Denis, Suger, 1999.

Havelange Isabelle et Nières-Chevrel Isabelle, « Livres pour l’enfance et la jeunesse », dans Yves Chevrel, Annie Cointre et Yen-Maï Tran-Gervat (dir.), Histoire des traductions en langue française. XVIIe et XVIIIe siècles (1610-1815), Paris, Verdier, 2014, p. 1212-1281.

Kulessa Rotraud von (dir.), Démocratisation et diversification. Les littératures d’éducation au siècle des Lumières, Paris, Classiques Garnier, 2015.

Kulessa Rotraud von, Seth Catriona (dir.), Lumières plurielles, Arts et savoirs, n° 13, 2020. [https://doi.org/10.4000/aes.2446].

Loussouarn Sophie, « La littérature enfantine en Angleterre au XVIIIe siècle », XVII-XVIII. Bulletin de la société d'études angloaméricaines des XVIIe et XVIIIe siècles, n° 50, 2000, p. 99-114.

Merret Robert James, « English literature in the French press : testimony, imitation and fictional exchange », dans A. Rivara (dir.), La Traduction des langues modernes au XVIIIe siècle, Paris, Champion, 2002, p. 171-189.

Nières-Chevrel Isabelle, « Des sources nouvelles pour L’Ami des enfants de Berquin », RHLF, n° 114/4, 2014, p. 807-828.

Plagnol-Diéval Marie-Emmanuelle, « La presse périodique pour la jeunesse au XVIIIe siècle : essor et fragilité », Le Temps des médias, n° 21, 2013/2014, p. 24-34.

Sgard Jean (dir.), Dictionnaire des journaux, 1600-1789, Paris, Universitas, 1991, en ligne : http://dictionnaire-journaux.gazettes18e.fr/  (février 2018).

Sgard Jean (dir.), Dictionnaire des journalistes, 1600-1789, Oxford, Voltaire Foundation, 1999, en ligne : http://dictionnaire-journalistes.gazettes18e.fr  (février 2018).

Termolle Michel (éd.), Émile ou de l’éducation dans la presse périodique européenne de 1762, Paris, Classiques Garnier, 2024.

Thomson Ann, Burrows Simon et Dziembowski Edmond (éd.), Cultural Transfers: France and Britain in the Long Eighteenth Century, Oxford, Voltaire Foundation, 2010.

Uphaus-Wehmeier Annette, Zum Nutzen und Vergnügen – Jugendzeitschriften des 18. Jahrhunderts: Ein Beitrag zur Kommunikationsgeschichte, Berlin, Boston, De Gruyter Saur, 1984.

Comité scientifique :

Alexa Craïs, INSPE Toulouse Occitanie Pyrénées, univ. Toulouse Jean Jaurès, CREG UR 4151 

Béatrice Ferrier, univ. Artois, Textes et Cultures, UR 4028

Magali Fourgnaud, INSPE Académie de Bordeaux-univ. Bordeaux, Sciences, Philosophie, Humanités (UMR (U) 4574).

Evelyne Jacquelin, univ. Artois, Textes et Cultures, UR 4028

Anne-Marie Mercier, univ. Lyon, IRHIM

Francis Marcoin, univ. Artois, Textes et Cultures, UR 4028

Marie-Emmanuelle Plagnol-Diéval, UPEC-Lettres, Idées, Savoirs (EA LIS 4395)

Rotraud Von Kulessa, U. d’Augsburg

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Les propositions d’environ 500 mots, accompagnées d’une bio-bibliographie, sont attendues pour le 15 décembre 2025 en vue d’une réponse le 9 février 2026. Les articles seront publiés dans les Cahiers Fablijes avec ceux d’une seconde journée d’étude coorganisée par Textes et Cultures et l’IRHIM par Béatrice Ferrier, Marion Mas, Laurence Messonnier et Marine Wisniewski, autour des journaux enfantins du XIXe siècle (nouveaux et réédités, notamment sous forme de recueils), à l’automne 2026.