
Essai traduit de l’anglais (États-Unis), annoté et postfacé (Y a-t-il une vie avant la mort ?) par Lionel Leforestier.
Questionné en 1910, au soir de son existence, sur les chances d’une vie future, Henry James livre dans cet essai une méditation qui éclaire aussi sa tâche de romancier, conçue comme une remontée, selon ses termes, vers des « sources supérieures ». Confronté aux négations matérialistes, ramassées dans l’image désespérante du « cerveau de laboratoire », il découvre dans le caractère expansif de la conscience un gage possible de survie. Si fragile soit la preuve, elle justifie l’art, qui se révèle exigence d’élucidation, comme la vie présente : le « beau risque » mérite d’être couru.
« J’aime à penser, quant à notre âme, que nous nous balançons dans l’infini et tremblons dans l’univers, et que ce monde, sa conformation et nos sens sont comme un secourable trotteur, un ingénieux chariot bien pourvu de roues, qui saura nous enseigner, spirituellement parlant, comment planter nos pieds. » (...) « S’il me faut parler, en tout cas, de ce que j’aime à penser, je puis, rapidement, dire ceci : j’aime à penser qu’il m’est donné de découvrir des correspondances spéculatives et imaginatives, d’enregistrer des promesses et des ouvertures qui m’ont tout l’air de ne pouvoir décemment manquer d’être honorées. Et lorsque s’insinue et s’établit une telle relation à la question, qui dira sur quels champs d’expérience, passés et présents, sur quelles immensités de perception et d’aspiration, elle n’étendra pas la protection de ses ailes ? Non, non, non : je veux voir plus loin que le cerveau de laboratoire. » — Henry James
« Fondé sur l’expérience d’un homme qui dit approcher de la « passe finale », l’essai Y a-t-il une vie après la mort ? ne s’autorise que de lui-même et n’allègue d’autre garantie qu’une introspection sincère. L’un des premiers points d’achoppement que James dit écarter, mais auquel il revient avec insistance dans une série de prétéritions, est celui de « l’indifférence ». Laquelle ne consiste pas à ne pas être journellement requis ou tourmenté par la question — il avoue plus loin qu’elle l’a longtemps laissé en paix — mais, face à l’alternative « extinction » ou « renouvellement », à n’éprouver spontanément ni « crainte » ni « désir » (dont il admet qu’ils puissent porter sur l’un ou l’autre des termes). « Sourds », « déchus », ces existants, qui forment « la vaste et éternelle majorité » de l’espèce, ne sont ou bien jamais effleurés ou bien jamais troublés par la question. « Ils ne sentent pas », auraient dit les Goncourt. À leur endroit, les formules sont abruptes : comment concevoir une existence personnelle et différenciée « après » pour ceux qui en ont manifesté si peu « avant » ? Dans leur cas, y a-t-il seulement une vie avant la mort ? On songe à la phrase que James a récemment mise dans la bouche du désillusionné Clement Searle, le héros de la nouvelle Un Pèlerin passionné : « L’âme est immortelle sans doute — à condition d’en avoir une — et la plupart des gens n’en ont pas. » — Lionel Leforestier