Revue
Nouvelle parution
Multimodalité(s) n°21 :

Multimodalité(s) n°21 : "Amalgame(s) de genres, modes et pratiques de la création et de la recherche en art et en éducation"

Publié le par Eloïse Bidegorry (Source : Emmanuelle Lescouet)

La revue Multimodalité(s) est fière d'annoncer la parution de son vingt-et-unième volume, dirigé par Moniques Richard et Martin Lalonde, intitulé «Amalgame(s) de genres, modes et pratiques de la création et de la recherche en art et en éducation».

Au-delà des dimensions sémiotiques ou sensorielles des modes de réception/production de sens qui prévalent depuis quelques décennies, principalement dans le domaine de la communication, l’équipe de la Revue Multimodalité(s) a fait le choix, en 2023, d’affirmer la pluralité des multimodalités dans les pratiques humaines. Cela permet d’embrasser d’autres approches hybrides, que ce soit dans leurs dimensions matérielles, spatiales, temporelles, dynamiques ou plus largement sociales, politiques, philosophiques, esthétiques, culturelles, etc., ou bien encore entre ces dimensions. Cela ouvre ainsi la voie, pour la revue, à de nouvelles avenues d’action et objets d’investigation. Pour marquer ce passage élargi, le volume 21 aborde autrement deux domaines, l’art et l’éducation, en insistant sur leur contribution à la recherche par la création et à la création par la recherche, et en les considérant à la fois comme des pratiques et des méta-pratiques qui englobent une pratique réflexive. Si, dans son sens commun, la pratique est vue comme une activité dont le but est d’appliquer une théorie, d’accomplir une démarche en suivant ou en transformant des règles, principes ou techniques pour obtenir des résultats concrets (CNRTL, 2025), d’autres définitions réfutent ce dualisme platonicien qui oppose théorie et pratique. Pour Weil (2025), il s’agit d’une activité où les deux pratiques sont « indissolublement unies ». Quant à la méta-pratique, elle englobe les diverses dimensions d’une réalité complexe et en examine les interconnexions à partir d’un cadre de référence, pour mieux comprendre un tel écosystème (Grise-Owens et al., 2014).


Le sommaire se décline ainsi :
 

Dans le premier article, intitulé Entre dispositifs matériels et dispositions incarnées : appréhender le caractère écologique et épistolaire du processus sémiotique, Céline Monvoisin aborde les pratiques pédagogiques du design intégrant l’expérience concrète du corps et de la matérialité dans une approche « lente » et écoresponsable. Elle recourt au genre du récit de voyage en documentant et caractérisant les espaces, matérialités et temporalités de divers milieux d’enseignement. Inspirée de la pensée archipélique de Glissant (1997), ce genre lui permet d’interpréter les données recueillies en s’imprégnant à chaque escale par « immersion incarnée », puis de transcrire l’expérience par une « émersion descriptive », tout en fabriquant carnet de notes, encres ou outils. Elle crée ensuite un dispositif multimodal qui archive paroles, gestes, images, textes et sons, une collection qui sert à la fois de preuve et de récit. L’approche épistolaire permet à la chercheure une mise en correspondance pour mieux saisir les points de vue et les vécus dans les pratiques investiguées.

Rédigé par le collectif Obèle, le deuxième article, Amalgamer la littérature et le jeu vidéo : les pratiques symbiotiques de recherche-création s’inscrit dans la mutation de la littérature vers des pratiques multimodales. Le collectif explore la cocréation littéraire et vidéoludique sous diverses formes, telles que capture d’écran amplifiée, GIF animé, performance ludique vidéographiée, en reconfigurant des dispositifs vidéoludiques existants. En alternant recherche et création dans des « cycles heuristiques » (Paquin, 2019), il cherche les « points de convergences entre les mécaniques d’action » d’un jeu et « des formes littéraires qui correspondent au discours du jeu et à l’espace d’insertion de texte ». L’écriture est partagée entre les membres du collectif par l’utilisation du journal de bord comme genre qui se décline en sous-genres pour appuyer le processus de recherche-création selon les phases d’exploration, de développement et d’exécution du projet en cours.

Dans Im-produire au moyen du dessin cartographique pour repenser les approches en éducation et en pratique artistiques, le troisième article, le duo d’artistes chercheures formé de Camille Courrier et Claude Majeau réagit aux injonctions à la productivité, à l’accélération et au cloisonnement des tâches dans notre société en examinant les « modalités de visibilité et d’invisibilité dans les milieux institués de l’art et de l’éducation ». C’est en expérimentant l’improductivité en cocréation dans divers milieux que les autrices incitent à prendre le temps d’explorer « les impasses du processus créateur et le terreau de la recherche », et d’en révéler les processus combinatoires. Inscrite dans une approche transpédagogique et écoféministe, cette démarche combine les pratiques en explorant l’incertitude, l’errance, l’échec et le risque, créant des « communs » et cultivant la dimension citoyenne en résonance avec soi et les autres. Le duo recourt à la cartographie radicale comme « méthode multimodale de recherche » et « répertoire de présentation des résultats », intégrant le dessin dans des dispositifs collaboratifs. En résultent quatre fabriques : critique, éducative, publique et duelle qui, au-delà de l’improductivité, amènent à « réfléchir-faire-défaire ».

Carole Brandon et Jordan Fraser Emery cosignent Jeux et enjeux des inégalités de genre sur les réseaux sociaux numériques : documentation de pratiques et retour réflexif sur un workshop ludopédagogique au quatrième article. C’est par la conception et le prototypage d’un jeu de société coopératif pour jeune public, lors d’un atelier offert dans un cursus universitaire, que le duo sensibilise les étudiantes et les étudiants à l’impact des médias numériques sur ces enjeux. Amalgamant art et communication, leur approche ludopédagogique mobilise modes et genres de la représentation pour aborder le système de conventions et de règles générées par les genres ludiques ainsi que par l’identité de genre. Cette approche s’insère dans une recherche-création qui permet d’explorer et de comprendre les phénomènes en jeu. L’atelier s’amorce par l’étude d’un fait d’actualité lié à la construction du genre. La création d’une cartographie numérique collective et multimodale incite ensuite les groupes à échanger des idées et à choisir des pistes pour l’élaboration de leur jeu. Puis, le bricolage d’une maquette analogique interactive représentant le problème étudié permet d’esquisser la forme et la mécanique du jeu avant que ce dernier soit construit sous forme de prototype en fixant ses règles. Ce dispositif permet d’« ancrer les apprentissages dans des contextes concrets […] tout en ouvrant des perspectives sur les usages critiques et créatifs des réseaux sociaux numériques » pour un public jeunesse.

Pour le cinquième article, Collaboration dans l’enseignement des arts plastiques, Stacey Cann propose une analyse originale des processus collaboratifs entre humains, matériaux de création et dispositifs technologiques en contexte de formation universitaire et de production artistique. Développant une méthodologie phénoménologique et s’appuyant sur les principes de la théorie de l’acteur réseau du sociologue Bruno Latour (2005), l’autrice présente une enquête qui identifie les compétences mobilisées et les perspectives de développement professionnel qui émanent des dynamiques entre acteurs humains et non humains. Il en résulte « [l]’amalgame de compétences, d’idées et de perspectives » qui pourra servir de « modèle d’ouverture aux autres » par la collaboration.

Le sixième article, Extimitée en ligne et expérience artistique, de Clara Périssé et Yves Renaud, fait le bilan d’un module de formation universitaire destiné à l’immersion d’enseignantes et d’enseignants généralistes dans des environnements en ligne où le vécu personnel, réel ou fictif est partagé par le biais de contenus multimodaux de nature artistique. Présentant un riche échantillon de données médiatiques issues des réalisations des personnes participantes, et allant de l’art sonore à l’animation, à l’écriture et à l’art web, le duo d’autrice et d’auteur démontre comment le croisement du parcours personnel, de la démarche de création et de la formation du personnel enseignant participent à l’acquisition de compétences en littératie médiatique multimodale.

Dans Vers une littératie multimodale climatique : sens émergents du croisement de données d’expérience entre vivants et appareils, la contribution des autrices Chantal T. Paris et Gisèle Trudel, présentée au septième et dernier article, témoignent d’une action multimodale de recherche-création visant à éveiller, dans la collectivité, une puissance d’agir autrement sur la grande problématique des changements climatiques. S’appuyant sur le concept de transindividualité de Simondon (1964/2005), ces artistes chercheures revisitent un vaste corpus de données climatiques par le biais d’activités interdisciplinaires mêlant sciences forestières, arts technologiques et savoirs citoyens. Ce processus mène à la formulation inédite et innovante d’une littératie multimodale climatique.

De sorte, ce volume témoigne de l’imbrication inévitable des trois axes de réflexion chez les autrices et auteurs, de même qu’entre les concepts présentés, les méthodologies employées, les contextes explorés, les nouvelles pratiques engagées. Presque tout se conjugue au pluriel. La question des genres comme catégories est abordée dans son double sens et devrait nous ramener à son étymologie, generis, puisqu’elle permet d’amorcer une réflexion sur ce que nous avons en « commun » avec les êtres, les choses et le monde qui nous entourent, sur leur situation dans des continuums génériques et sur les pratiques valables qu’elles peuvent générer. De même, les méthodologies utilisées sont hybrides et variées, l’amalgame des approches étant une constante à travers les écrits. D’ailleurs, plusieurs articles réfèrent à la recherche-création, elle-même hybride, dans un but de faire profiter à la démarche scientifique les attributs du caractère indiscipliné du processus de création artistique (Bianchini, 2010). Quant à la démultiplication des contextes, des technologies et des enjeux à l’ère du numérique, elle est présente sous diverses formes et nous rappelle la nécessité d’une méta-pratique réflexive.