
Études de lettres, n° 326 : "La réappropriation des images dans l’art et les médias contemporains" (dir. Nathalie Dietschy & Valentine Robert)
La réappropriation des images dans l’art et les médias contemporains
Édité par Nathalie Dietschy et Valentine Robert
À l’heure où les images se répandent dans un flux continu, saturant nos écrans, nos champs de vision, nos horizons, les pratiques de création consistant à se réapproprier le répertoire visuel déjà produit traversent les arts et les médias.
Ce volume questionne les modalités de ces reprises, les retours d’images qui gagnent un statut de référence, les défis portés à la propriété artistique, les processus de transformation et de recontextualisation opérés dans des registres variés – ludique, critique, engagé… Des mèmes internet aux reenactments, en passant par les tableaux vivants et les réemplois artistiques et cinématographiques d’images d’autrui, ce numéro confronte les démarches de réappropriation pour mieux en cerner les contours, les limites et les potentiels créatifs.
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Sommaire en ligne via OpenEdition…
Nathalie Dietschy, Valentine Robert – Introduction (p. 7-36)
(Dé)limitations terminologiques et juridiques
Georges Roque – Le plagiat: délimitations et limitations (p. 39-60)
Cet article porte sur le plagiat et aborde la question de ses limites conceptuelles. Il critique l’idée généralement admise selon laquelle, dans le plagiat, la source de l’emprunt est occultée. Il discute ensuite le phénomène de l’usurpation qui est au cœur du plagiat, mais souligne aussi ses limitations. Puis il analyse le plagiat en relation avec le délit de contrefaçon et, enfin, il aborde la différence entre la nature du plagiat suivant qu’il concerne des textes ou des images.
Hélène Trespeuch – Richard Prince: mort ou sacre de l’auteur ? (p. 61-72)
Comment considérer l’œuvre de Richard Prince? L’artiste est souvent attaqué en raison de son appropriation d’images réalisées par d’autres que lui; pourtant, il se tourne généralement vers des images dépourvues d’originalité qui, de ce fait, peinent à qualifier leur auteur d’«artiste». Mais, une fois que Richard Prince jette son dévolu sur celles-ci, il les transforme en œuvres d’art, modifiant ainsi singulièrement le regard et le sens de ces images. Cet article s’intéresse tout particulièrement au débat né autour d’une de ses œuvres représentant Ivanka Trump; celui-ci éclaire bien la manière dont Richard Prince se considère en tant qu’artiste: comme un être tout-puissant qui n’a qu’à déclarer ce qui relève ou non de son art.
(Re)créations numériques
Cette étude traite de l’appropriation artistique, non pas comme une forme d’usurpation, mais comme un outil pertinent d’hybridation de la peinture et des images numériques. À travers l’analyse de cinq pratiques contemporaines (Miltos Manetas, Édouard Boyer, Kelley Walker, Michael Riedel et Celia Hempton), il s’agit d’examiner l’appropriation comme détournement critique en peinture des moyens et des outils de communication, de surveillance, de captation et de stockage de données numériques. Investi d’une dimension stratégique, le procédé constitue une forme de riposte et de contre-pouvoir à la fois critique et économique, devenu l’instrument central d’une création collective alternative à visée politique.
Nathalie Dietschy – Fixer les mèmes internet par la copie: les chats naturalisés d’Eva et Franco Mattes (p. 101-124)
Plusieurs œuvres d’Eva et Franco Mattes reproduisent des images numériques (mèmes internet notamment) sous forme matérielle, les artistes fixant les sources visuelles issues du web dans une tridimensionnalité opérée par la technique de la taxidermie. Leur démarche explore les rapports entre les valeurs d’unicité de l’œuvre d’art et celles de partage et de remix favorisées par l’environnement numérique. Cet article argumente que la copie, inscrite dans les conditions matérielles, culturelles, idéologiques et techniques du numérique, entendue comme un geste intrinsèquement lié à la logique de l’ordinateur, est constitutive de l’approche des deux artistes, qui défendent que les mèmes internet, comme d’autres sources produites par les amateurs trouvées en ligne, sont dignes d’être copiés.
François Jost – Parodies picturales et mèmes: magnifier, sacraliser, désacraliser (p. 125-146)
Les parodies picturales et les mèmes peuvent avoir pour hypotextes des œuvres similaires: à partir de ce constat, cet article pose la question de la différence qui existe entre les deux catégories. Posant comme hypothèse que les unes comme les autres sont des actions, la réflexion est envisagée à partir de la dimension pragmatique supposée par l’acte d’appropriation.
(Ré)emplois cinématographiques
François Bovier – Du détournement à l’appropriation: stratégies de réemploi dans le cinéma d’artiste (p. 149-170)
Dans le contexte du cinéma, l’appropriation se développe et est théorisée par les lettristes, puis par les situationnistes, à travers la notion de «détournement». L’appropriation, dans le sens historique qui a conduit à la définition de la Pictures Generation, entend rompre avec cette logique par la remise en scène: il ne s’agit plus de détourner, mais de miner les signes de l’intérieur en les rejouant, en les remettant en scène ou en les déplaçant. La reprise de plans déjà tournés est une pratique courante dans le cinéma, qui remonte aux années 1920. Cet article propose de revenir sur les notions de détournement et d’appropriation et indique quelques stratégies artistiques développées dans les décennies 1950-1970.
Christa Blümlinger – Image trouée, reprise troublée (p. 171-188)
S’intéressant à la dimension «trouée» de l’archive, cette contribution esquisse une approche esthétique du geste de la reprise au sein de quelques films, exposés et vidéos mettant en scène certains aspects du dispositif même de l’archive et dont la forme est celle du film d’essai, de l’installation ou du film expérimental. Trois gestes qui rendent sensible, sous des formes variées, l’historicité du remploi et qui, le troublant, «restaurent» paradoxalement l’image: d’abord le geste mélancolique, lié à l’objet-film; ensuite le geste théâtral, lié à l’exposition des appareils de projection ou de montage; enfin le geste conceptuel procédant par une perturbation de l’expérience temporelle du film.
(Ré)incarnations transmédiatiques
Cet article analyse la résurgence contemporaine du tableau vivant, défini comme la reconstitution d’une œuvre d’art par des modèles vivants. L’auteure y dégage trois fonctions principales: critique, comique et esthétique. Dans chacune de ces orientations (qui interagissent et se combinent), en croisant les exemples provenant de tous les nouveaux médias (cinéma, séries, clips, photographie, spectacles, réseaux sociaux), deux aspects sont interrogés en particulier: l’impact de ces tableaux vivants sur l’œuvre originale et son «aura», et le caractère novateur (ou non) de ces réappropriations. Si la permanence historique de cette pratique est démontrée, sa manière de se jouer de la reproductibilité technique et numérique ouvre la voie à une sorte de «reproductibilité réenchantée».
Ludivine Cottier – Au-delà de l’œuvre. L’art rejoué dans le clip musical (p. 223-246)
Par les possibilités qu’il offre à ses acteurs et actrices pour citer, détourner, voire se réapproprier des œuvres d’art pictural et sculptural, le clip musical tend à questionner les frontières institutionnelles, jouant avec leurs codes et leurs limites. Se développant dans un contexte intermédiatique fécond, le clip, en faisant référence à des sources iconographiques célèbres, mélange les publics et les genres, les supports et les moyens de diffusion, les pratiques populaires et institutionnalisées. En explorant la diversité des citations opérées au sein de cet objet et en les analysant dans leur relation avec l’image du chanteur, de la chanteuse ou du groupe, ainsi qu’avec la musique et les paroles, cet article vise à démontrer la richesse des réappropriations artistiques opérées au sein des clips musicaux, de même que la portée parfois politique ou sociale qu’elles peuvent revêtir.
Au cours des dernières décennies, des artistes ont reconstitué dans leurs œuvres, sous la forme de reenactments, les dispositifs de monstration d’êtres humains déployés dans les expositions coloniales ou dans les sections coloniales des expositions universelles organisées dans les capitales et les grandes villes occidentales aux XIXe et XXe siècles. La plupart de ces propositions sont menées par des artistes originaires d’ex-colonies ou issus de minorités culturelles, à l’invitation d’institutions engagées dans des démarches favorisant les échanges interculturels et les processus décoloniaux. En dépit de cette conjoncture favorable à la compréhension de leur portée critique, ces propositions artistiques provoquent souvent les polémiques et les malentendus, suscitant des sentiments de malaise, de colère, d’humiliation. Elles éprouvent les limites éthiques du reenactment afin de révéler les désaccords inexprimés qui sous-tendent les pratiques institutionnelles inclusives et réconciliatrices. Elles parviennent à créer des espaces dialogiques «dissensuels» permettant de débattre des enjeux sociaux brûlants d’actualité: les migrants et les migrantes, le racisme, la mondialisation, les rapports de domination géopolitiques, la justice transitionnelle, la restitution des objets muséaux, etc.
(Ré)appropriations en pratique
Anne-Charlotte Neidig, Tobias Sarrasin – La pratique de la réappropriation selon Christian Marclay: entretien (p. 265-274)