
Les œuvres d'art sont faites pour être montrées de la façon la plus large possible, mais, durant des millénaires, il n'en a pas été ainsi. Dans Cacher / montrer. Une histoire des œuvres invisibles en Occident (Seuil), Nadeije Laneyrie-Dagen prend le récit de l'art à rebours, en proposant une histoire de la dissimulation voulue des œuvres, et de la force qu'elles acquéraient en étant tenues éloignées d'une admiration constante. L'enquête part du texte de Bataille, Lascaux ou la Naissance de l'art (1955). Elle se poursuit en Égypte, puis à Byzance et en Occident au Moyen Âge. La Renaissance y tient une place majeure avec Van Eyck, Lotto, Giorgione, Titien, Raphaël (La Fornarina) et Léonard - derrière La Joconde aurait dû se trouver une version avec le modèle nu. L'essai examine les collections du XVIIᵉ siècle, où les tableaux étaient protégés par des rideaux, les « boudoirs » du XVIIIᵉ, où l'on conservait les œuvres aux sujets indiscrets de Watteau, de Boucher, de Fragonard. Il chemine par les musées, où l'on prit des précautions pour que le grand pubtic ne voie point d'œuvres qui puissent choquer, et se conclut par L'Origine du monde, de Courbet, tableau qui fut accroché, avant son arrivée au musée d'Orsay, soit dans des pièces intimes de demeures privées, soit derrière un rideau ou diverses peintures - jusqu'au "cache" d'André Masson, beau-frère du psychanalyste Lacan qui fut le dernier propriétaire de l'œuvre… Céline Delavaux avait dressé il y a quelques années le catalogue du Musée impossible. La collection des œuvres d’art qu’on ne peut plus voir (La Renaissance des Livres), dont Marc Escola et Nathalie Kremer avaient solidairement donné un compte rendu de visite : La main du temps & l’œil de l’esprit. Voir les œuvres qu’on ne peut plus voir.
Rappelons le récent essai de Nathalie Kremer, Tableaux fantômes. Quand la fiction montre les œuvres disparues, accueilli par la collection "Fictions pensantes" (Hermann), qui fait collection des tableaux piétinés, brûlés ou lapidés, statues mutilées, refondues ou enterrées… Comment comprendre que, de Balzac et Gogol jusqu’à Perec, Michon ou Reza, les écrivains aient été tentés de faire fiction de la destruction d’une œuvre d’art ? On peut lire sur Fabula l'introduction de l'ouvrage, qui est désormais intégralement accessible en ligne via Cairn… Patrick Boucheron a consacré à ce livre un épisode de son émission "Allons-y voir" (France Culture), et Lucie Garrigues en a proposé la recension au sein du dossier "Voir en peinture" d'Acta fabula : "Destructions créatrices. Écrire ce qui ne peut être vu".
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