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Legs et Littérature, n° 22 :

Legs et Littérature, n° 22 : "Du pouvoir de la littérature et des crises" (dir. Mirline Pierre)

Publié le par Marc Escola (Source : Dieulermesson Petit Frère)

Legs et Littérature, n° 22 : "Du pouvoir de la littérature et des crises" (sous la direction de Mirline Pierre)

Les questionnements et réflexions autour de la fiction ne datent pas d’aujourd’hui. Ils sont tout à la fois d’une récurrence et d’une grande pertinence par leur manière de remuer le champ fictionnel en vue de trouver des approches définitionnelles capables d’amener vers un corpus de textes offrant une tentative de définition de la notion, sans pour autant l’enfermer dans une case. Quoique longtemps répétés dans l’histoire occidentale, ces problématiques autour de la fiction restent judicieuses dans les littératures contemporaines aussi bien dans les littératures postcoloniales car elles créent, d’une certaine manière, la base même de l’existence et du raisonnement autour de son art et son esthétique. […]

Dans ce 22e numéro de Legs et Littérature, la notion de crise est associée à la littérature  – donc la fiction – pour questionner le(s) pouvoir(s) de la littérature et ce qu’elle offre à entendre et à comprendre dans les périodes de troubles. Comme la fiction, la notion de crise[1] est instable puisqu’elle varie selon les champs disciplinaires. Pour le sociologue et philosophe Pierre Ansart, le terme renvoie à « une phase de tension, de malaise, de désordre »[2]. Son utilisation « s’entend à plusieurs niveaux économique, politique ou social, et il peut designer des phénomènes d’intensité variée »[3]. Très répandue et popularisé au 19e siècle dans quasiment tous les domaines, « il n’est pas de domaine ou de problème qui ne soit hanté par l’idée d’une crise (le capitalisme, la société, le couple, la famille, les valeurs, la jeunesse, la science, le droit, la civilisation, l’humanité) »[4]. Par ailleurs, l’on se souvient encore de la récente crise sanitaire provoqué par l’épidémie du Corona virus qui a secoué le monde en 2020 et le tollé soulevé par le drame au large de Lampedusa fin octobre 2013 dans la Méditerranée (crise des migrants). Utilisé dans divers champs de connaissance pour désigner des moments de trouble, de malaise dans l’organisme (médecine), de tension ou de dysfonctionnement dans l’organisation sociale (sociologie), de conflits ou de bouleversements dans la vie ou les relations politiques (géopolitique), la crise est aussi un concept, plus que jamais aujourd’hui, familier à la littérature. […]

Ce numéro de Legs et Littérature qui se présente comme une traversée des mondes mettant en lien le pouvoir de la fiction en confrontation avec les crises sociétales offre, à travers les différentes études qui le composent, des outils pour aider à saisir les dynamiques et enjeux du monde contemporain et ceux du monde à venir. Les contributions mettent en lumière les contradictions qui (dé)font les sociétés et le déclin dans lequel elles se précipitent à trop vouloir ériger un humanisme anthropocentrique. Comment penser et vivre dans un monde aujourd’hui qui déchante et plus que jamais dominé par les violences de la guerre, les conflits géopolitiques opposant les puissances politiques et la quête effrénée pour le monopole des diverses sources de pouvoir où l’homme est devenu, dans une perspective hobbesienne, un véritable monstre ? Le panorama que présente ce volume est une invite sur la nécessité de (re)penser le (rapport au) monde et le devenir des sociétés à partir des (im)pouvoirs du texte littéraire à alerter et à modéliser les situations futures en nous poussant à réfléchir sur la complexité de l’existence et en accroissant la richesse du langage pour nommer la condition même de cette  existence.

[1] Titre du 25e numéro de la revue Communications publié en 1976 et dirigé par André Bejin et Edgard Morin dans lequel on trouve des articles pertinents sur la notion de crise élaborée par des chercheurs de plusieurs disciplines.

[2] Pierre Ansart, « Crise », in Dictionnaire de Sociologie, André Akoun et Pierre Ansart (sous la direction de), Paris, Le Robert/Seuil, 1999, pp. 122-123.

[3] Ibid., p. 122.

[4] Edgar Morin, « Pour une crisologie », Communications, no 25, 1976, p. 149. Consulté le 30 janvier 2023. .

Sommaire 

Mirline Pierre et Dieulermesson Petit Frère – De la fiction de la crise ou l'art de dépeindre les tragédies du monde — Éditorial (p. 7-19)

L'intégralité du texte de l’éditorial est disponible sur le site de LEGS EDITION…

1.  Du pouvoir de la littérature et des crises

Axe 1 : Littérature, crise et réparation 

* Marie-Apolline Joulié – Investir la folie, la crise et ses possibles : une lecture de Barge de H.K. (p. 29-53)

Réédité en 2024 aux éditions du Chien Rouge, Barge est un livre hybride, entre journal intime et assemblage de carnets, qui compile les crises délirantes de H.K. auxquelles se superposent des lettres de son entourage, son dossier médical et ses réflexions personnelles. Il s’agira alors d’interroger en quoi ce texte constitue un espace dialectique – et de soin – où s’exprime le rapport à la folie, au corps médical et à la norme. On y voit, à travers le délire, l’inscription d’une pensée en crise dans une crise globale de la psychiatrie. Barge se veut en effet symptomatique du rapport qu’entretient notre société à la folie, proposant une réflexion sur le normal et le pathologique ainsi qu’une conception de la littérature comme recherche de soi, où la pratique diaristique vise à déployer une parole impossible – impossible car stigmatisée par le corps social. L’écriture se donne comme emprise sur la psychose, une boussole dans la perte du lien avec le réel doublée d’un jeu permanent sur le langage par la subversion du discours médical normatif. En somme, la littérature ouvre pour H.K. des possibilités de (re)création du sens à travers la crise, où la conscience s’inscrit dans un rapport politique à la psychiatrie. Le livre est empreint d’une force thérapeutique qui consiste en la réappropriation révolutionnaire d’une parole libératrice, elle-même libérée de toute contrainte. Barge s’attelle à articuler l’individuel et le collectif à travers la question de l’expérience intime délirante dans une société qui refuse d’écouter la parole des fous.  

* Gabrielle de Tournemire – Quand les voix se donnent la main :  Écrire les gilets jaunes, réparer les blessures dans Cinq mains coupées de Sophie Divry (p. 55-75) 

Cinq mains coupées de Sophie Divry est une œuvre hautement politique qui tente, par sa stratégie énonciative novatrice et son architecture particulière, d’agir, de réagir face aux violences perpétrées par les institutions policières sur certaines victimes lors des manifestations des Gilets Jaunes. Il s’agit bien d’un texte qui procède d’une crise, adoptant pour la traiter une voie générique originale : le travail auctorial est celui d’une enquête, Sophie Divry récoltant les témoignages de ceux qui ont, au cours de ces évènements, perdu une main. L’œuvre est faite de ces voix, qui sont compilées, ré-agencées a posteriori, de manière à ce que s’écrive sous nos yeux, par le montage des narratifs individuels, un récit collectif. Les différents je se succèdent, sans se différencier typographiquement, et c’est ainsi que se gonfle l’ampleur contestataire du texte, l’accident individuel devenant évènement politique dès lors qu’est annulé son statut d’exception. Par ce dispositif énonciatif singulier, qu’il s’agira de relier au passage, notable dans la littérature contemporaine, d’un « régime de singularité » à un régime de communauté, un lien est créé dans le discours, palliant la perte d’intégrité du corps par une intégrité de la voix qui, mettant les je côte à côte, unifie un discours fragmenté et permet aux récits de se tenir la main. Le texte ici ferait office de prothèse verbale, cherchant à réparer par l’énonciation ce qui fut arraché par la violence étatique.    

 * Fida Mesto – Care et guerre : vers une humanité réparée dans Les larmes d’une poupée de Nayla Sarieddine et L’enfant aux yeux pleins de larmes de May Menassa (p. 77-94)

Dans un monde vulnérable ravagé par la guerre, la littérature contemporaine se présente comme une voix remédiatrice, thérapeutique, prenant en charge « les mois blessés, désinscrits, les communautés manquantes asservies, aveuglées […] les corps souffrants mourants, les drames et les êtres sans langage ni représentation ». Dans Les larmes d’une poupée, l’écrivaine libanaise, Nayla Sarieddine, met en évidence la petite Coralie qui grandit dans la guerre civile libanaise alors que l’écrivaine libanaise May Menassa dans L’enfant aux yeux pleins de larmes trace le parcours d’un personnage atteint d’un traumatisme d’enfance en quête de son identité dans la terre syrienne déchirée entre diverses factions rebelles et groupes islamistes extrémistes. Les écrivaines mettent en lumière, à travers les expériences singulières des personnages, les répercussions psychologiques du trauma de la guerre. À travers des fictions, elles pointent du doigt l’importance du care dans les dynamiques relationnelles « en vue [..] de continuer ou de réparer notre monde de telle sorte que nous puissions y vivre aussi bien que possible ».      

* Atim Mackin – La fiction pour panser la crise de la sexualité africaine (p. 95-117)          

Cet article explore le rôle thérapeutique de la fiction africaine francophone face aux crises des sexualités sur le continent. Ces crises, alimentées par des traumatismes tels que la violence des guerres civiles, la colonisation et le VIH, affectent tant la génitalité que les relations de genre. La littérature, loin d’être un simple reflet des problématiques, agit comme un catalyseur de réflexion et de changement. Trois stratégies narratives principales sont identifiées : la thérapie par le choc, qui expose les violences sexuelles pour susciter l’indignation ; l’introspection, qui interroge les causes structurelles des inégalités, notamment à travers des récits à la première personne ; et l’invention de nouvelles masculinités, illustrant des modèles non oppressifs et solidaires. À travers des analyses d’auteurs tels que Yambo Ouologuem, Mariama Bâ, et Rachid O, l’étude démontre que la fiction peut diagnostiquer les dysfonctionnements et proposer des solutions imaginatives. En préparant le terrain pour des réformes sociales, médicales et juridiques, la littérature se positionne comme un outil incontournable dans la résolution des crises sexuelles en Afrique francophone.    

 Axe 2 : Écologie, Anthropocène et Afrofuturisme   

* Simona Pruteanu – Écologie intime et écriture de la durabilité dans la nouvelle « À boire debout »  d'Antoine Desjardins (p. 121-138)   

« À boire debout » et « Feu doux » sont deux des sept nouvelles du recueil Indice des feux (2021), qui a valu à Antoine Desjardins le Prix du Roman d’Écologie en 2022. Dans « À boire debout », le jeune narrateur, hospitalisé pour une leucémie incurable, contemple sa vie et sa mort tandis qu’un déluge s’abat sur Montréal. Ce parallèle entre sa fin imminente et la catastrophe environnementale met en lumière l’interconnexion entre notre existence individuelle et les bouleversements planétaires. Dans « Feu doux », Louis, un jeune homme surdoué, abandonne ses études de droit pour embrasser la simplicité volontaire, rejetant le consumérisme et la cupidité. Sa transformation radicale déstabilise son entourage mais révèle l’urgence de rétablir notre lien avec la nature, tout en incitant son frère aîné, narrateur du récit, à une quête de sens. Cet article se propose d’analyser l’écriture de la crise et en temps de crise dans ces nouvelles, en se concentrant sur la langue et la subjectivité. Les longues descriptions de paysages en mutation, les monologues intérieurs et les listes deviennent des outils pour capturer l’insaisissable ou l’indicible. Desjardins utilise ces éléments stylistiques pour illustrer les tensions et les connexions profondes entre les crises personnelles et écologiques, invitant le lecteur à réfléchir sur notre responsabilité collective envers notre environnement fragile.  

* Ahmed Essalhi – Penser la pandémie dans Le masque de la mort rouge d’Edgar Allan Poe (p. 139-155)  

Le récit fantastique s’appuie généralement sur une imagination cybernétique qui accorde aux auteurs la possibilité de créer un univers inadmissible pour la raison. Cette forte présence du surnaturel, aussi abondante qu’elle puisse paraitre, laisse par moment des interstices d’où jaillit un discours rationnel. En effet, la médecine, en tant que pensée rationaliste et scientifique envahit le récit fantastique, ce qui est d’ailleurs explicable puisque le personnage y est la plupart du temps souffrant et cherche un remède auprès du thérapeute, bien que le mal accusé franchisse la barrière physique pour hanter l’intériorité. La maladie est souvent mystérieuse, la tâche de la médecine est difficile ; les symptômes recueillis au moment de la consultation et de l’interrogatoire n’aident pas forcément à détecter l’origine du mal. Aussi les mêmes symptômes apparaissent-ils chez plusieurs personnages, ce qui rend légitime de discuter du caractère contagieux et épidémique du phénomène fantastique. Sous cet angle de réflexion, Edgar Poe écrit Le masque de la mort rouge, récit apocalyptique qui dépeint une épidémie dévastatrice réticente aux tentatives de contrôle. Nous souhaitons discuter des mesures mises en œuvre par le héros pour freiner la propagation de cette maladie transmissible dont l’agent causal n’a jamais été déterminé.       

* Pedro Trujillo – De l’avenir de la démocratie à l’ère de l’Anthropocène à partir de la littérature féminine bolivienne : « La cueva » de Liliana Colanzi (p. 157-178) 

L’homme est devenu un agent dominant dans le processus de transformation de la biosphère et cette époque géologique est appelée l’Anthropocène. Le présent article vise à interroger les crises, écologique et démocratique, au prisme de la littérature, par le biais de la nouvelle « La cueva » de Liliana Colanzi. De toute évidence, il faut concevoir un monde plus respectueux de l’environnement et cette transition ne peut se faire sans la démocratie. Pour Brown, dans le néolibéralisme, la démocratie est devenue une annexe de l’économie, n’ayant plus rien à voir avec le bien commun. Ce constat amène certains penseurs à s’interroger sur la capacité de la démocratie de réguler, transformer, voire remplacer le capitalisme. Pour eux, la démocratie devrait prendre en considération les notions d’« interdépendance » et de « coexistence » et inclure tous les habitants de la Terre. Pour Liliana Colanzi, l’un des défis de l’art est celui de rendre compte esthétiquement de l’Anthropocène. Dans sa nouvelle « La cueva », la protagoniste (la grotte elle-même) agit comme un seuil qui relie des êtres. Il s’agit de raconter, au-delà de la subjectivité humaine et de présenter une vision de la Terre où le collectif surpasse toujours l’individualité.     

* Jovanie Stéphane Soh Sokoudjou – Les littératures périphériques à l’épreuve des catastrophes : des crises écologiques à la valorisation de l’écosystème dans L’Arbre fétiche de Jean Pliya et L’Amas Ardent de Yamen Manai (p. 179-200)   

L’avènement des progrès scientifiques et techniques a accouché d’une société plus écocide que soucieuse de l’humaine condition. La quête sans frein du profit et le désir absolu de moderniser les sociétés a permis de faire naître ce que Debord (2004) appelle une « planète malade » ou, pour parler comme Ulrich Beck (1986), une « société du risque ». Au regard des crises environnementales qui caractérisent cette société contemporaine, on observe de plus en plus de nombreux auteurs qui mettent des composantes de l’écosystème au centre de leurs productions littéraires en leur octroyant, dans nombre de cas, une certaine sacralité.  C’est le cas de Jean Pliya dans L’Arbre fétiche et Yamen Manai dans L’Amas Ardent. À travers leurs représentations qui confèrent à la nature un statut d’actant à part entière, ces auteurs s’opposent ainsi à l’anthropocentrisme qui caractérise l’homme contemporain, puisque ce dernier dans sa quête effrénée du pouvoir entraine progressivement la planète entière à la dérive. La présente réflexion, en s’appuyant sur l’écocritique dans la perspective française, entend montrer que la littérature est un terrain fécond dans lequel se joue la bataille pour la restauration de l’écosphère.  

 * Mirline Pierre – Visualiser, nommer et (pré)dire la terreur dans 2084. La fin du monde de Boualem Sansal (p. 201-218) 

Cette réflexion sur la fiction notamment sur la science-fiction nous amène vers 2084. La fin du monde de Boualem Sansal, récit qui anticipe un monde en devenir à la manière de 1984 de Georges Orwell, publié plus de 70 ans auparavant, pour questionner la manière dont la fiction permet de (pré)dire la terreur. Ce roman nous servira de fil conducteur pour l’élaboration d’une problématique sur les littératures francophones du Sud afin de poser les questions liées à l’assignation et l’assimilation de la réception de ces littératures. Il fait écho à L’Afrique au futur d’Anthony Mangeon qui aperçoit dans les fictions contemporaines une autre manière de raconter l’Afrique à partir d’une perspective futuriste mobilisant une sorte de réactivation du passé dans un tout nouvel imaginaire du monde pour repenser l’Afrique sans les artifices de l’Occident. Même si Sansal ne s’est pas réclamé de cet imaginaire ou n’a pas revendiqué l’inscription de son roman à cet ensemble de corpus de textes, il n’empêche de faire appel à sa fiction du futur pour visualiser et nommer les inquiétudes et frayeurs du monde à venir. À partir des réflexions produites par Vincent Jouve dans Pouvoirs de la fiction, nous mettrons en relation les imaginaires de cette Afrique et l’imaginaire de 2084 pour évoquer le pouvoir de la fiction et sa manière de représenter la terreur.    

Axe 3 : Littérature, Altérité et Crise de la démocratie    

* Paul Youba Kiebre –  Dérives identitaires et crise de la démocratie dans la fiction africaine contemporaine (p. 221-249)

L’histoire politique de l’Afrique post-coloniale s’est illustrée par des épisodes de violences inhérents aux guerres civiles fratricides et génocidaires à la suite de l’adoption de la démocratie comme principe de gouvernance. Dans de nombreux pays, le prétexte ethnique est à l’origine de ces conflits occasionnant des corollaires sanglants et traumatiques. La présente réflexion est consacrée à deux fictions ultracontemporaines : Allah n’est pas obligé d’Ahmadou Kourouma et Petit Pays de Gaël Faye. Du point de vue de la réception, ces deux romans ont remporté le prestigieux Goncourt des lycéens témoignant ainsi de leur pertinence thématique en lien avec l’actualité et du succès médiatique et institutionnel dont ils ont bénéficié. L’analyse vise à montrer, à partir des enjeux historiques et mémoriels, la manière dont les motivations identitaires, dans ces romans, rendent compte de cet échec démocratique.               

* Ludivine Gravito –  La littérature engagée face au volontarisme politique : le cas du neopolicial chilien (p. 251-272) 

Le roman neopolicial chilien porte, depuis les années 90 (celles de la Transition) un regard critique sur la société chilienne et s’oppose aux discours officiels, invitant le lecteur à réfléchir sur les différentes crises (institutionnelles, sociales, mémorielles, culturelles) que connaît le Chili depuis des décennies. Cet engagement littéraire s’accompagne d’une forte implication de certains auteurs et éditeurs qui cherchent à occuper l’espace public et à donner de la visibilité à leurs romans. Ils s’appuient sur les discours politiques qui insistent sur l’étroite relation entre littérature, mémoire et identité ainsi que sur les politiques culturelles mises en place depuis 2005 et qui cherchent à faciliter l’accès à la culture et à la littérature, soulignant leur importance dans la formation de citoyens libres, réflexifs, critiques, éclairés et leur rôle dans la résolution des crises que traversent le Chili. Une analyse des actions menées par les auteurs et éditeurs de neopolicial tend à montrer que cette volonté politique, notable chez les gouvernements de gauche, à nuancer chez les gouvernements de droite, reste limitée par la réalité économique et structurelle d’un pays souffrant, entre autre, d’une trop grande concentration des médias, des maisons d’éditions et d’une absence de canaux de distribution.      

* Pierre Suzanne Eyenga Onana – Scénographie de la négrophobie dans Ngemena de Lomani Tchibamba : une postulation de la nouvelle altérité (p. 273-293)  

 Depuis l’esclavage jusqu’à la mondialisation des pratiques et échanges, en passant par la colonisation et son corollaire, la néo colonisation, le Noir reste perçu comme « un bien meuble », un « être inférieur », né à la solde du Blanc. On se demande ainsi comment subvertir de telles affres dont les survivances ne se comptent plus, sans faire émerger la littérature. Grâce à sa puissance réparatrice, la littérature néantise toute propension à la réification de l’altérité aux fins de susciter un hors-monde alternatif. Dès lors, quelles stratégies narratives convoque Lomani Tchibamba dans Ngemena dans l’optique de démystifier la négrophobie dont les interminables tentacules occultent l’avènement du vivre-ensemble interracial ? La réponse à ce questionnement heuristique se négocie à l’aune de la Nouvelle Brachylogie de Mansour M’Henni. Trois axes en articulent le mode opératoire : le déploiement de la parole brachylogique ; l’intertextualité et la postulation du vivre-ensemble. Au clair, la présente étude démontre que la littérature contribue à dissiper la crise des droits de l’homme née de la pratique du Code de l’indigénat dans le Congo-belge, non sans postuler un monde nouveau, plus digne de l’humain.

 * Nahla Zid –  La crise anonymatoire ou le cri du désenchantement dans Minuit à Alger de Nihed El-Alia (p. 295-324) 

Comment penser et écrire le personnage romanesque d’autofiction dans une époque marquée par le désenchantement ? Cette question met en lumière la crise du personnage dans le récit de Nihed-El-Alia. Signant son livre d’un pseudonyme et anticipant sa propre crise à travers son héroïne Safia, elle adopte le degré zéro de l’écriture où ce mélange de voix installe une rupture inavouée des clichés transfigurant l'écriture en cri(se) de liberté. Nous explorerons la crise de l'auteur déchu, qui dans son processus « anonymatoire », se veut quête (de l’) impossible dans ce double anonymat de l'être écrivant et du personnage fantasmé, « libre de dévaster [s]on existence » errant ainsi entre forme libre, style cru et poétique d’autodérision écumant vraisemblable, fiction et illusion du vrai. Nous rebondirons sur l’étude de la configuration du récit de l'errance qui serait le prolongement du monologue d'un auteur qui se dé-raconte, désenchanté dans sa conquête d’une vérité enfouie sous l’accumulation des tabous afin d’en « effacer toutes les ombres sur [s]on âme »; nous analyserons comment les chemins empruntés de l’écriture de l'intime aspirent à son auto-destruction. Nous étudierons comment l’autofiction dystopique exorcise-t-elle l'auteur-personnage où se dessine un corps narratif sans appartenance fixe à travers le cri d'une identité dédoublée. Dépossédé de celle-ci, il revêtira une autre littéraire où les contradictions du pays interrogent celles du personnage, se heurtant à l’image d’une Algérie, « bête blessée qui aime la vitesse et les trous noirs », une métaphore des clairs-obscurs du monde.      

2. Entretiens    

**  Évelyne Trouillot : La fiction ouvre une porte d'entrée singulière dans l'histoire – Propos recueillis par Dieulermesson Petit Frère (p. 327-334)

** Kettly Mars : Rendre visibles les violences symboliques ou réelles du monde – Propos recueillis par Dieulermesson Petit Frère (p. 335-342)

3. Lectures 

** Kokouvi Dzifa Galley – Croisée de solitudes (p. 345-348) 

** Jean Florentin Agbona – Regards croisés sur le coronavirus (p. 349-351)

** Kokouvi Dzifa Galley – L'Autre bord (352-355)

** Dieulermesson Petit Frère – Soleil à coudre (p. 356-359)

4. Créations 

** Sony Calixte – Dans le collimateur de la feuille blanche (p. 363-369)  

** Stéphane Casenoble – L’intuition d’un possible et autres poèmes (p. 371-377)   

** Kokouvy Dzifa Galley – ELOM (379-384)

**   Evens Dossous – Parenthèse du silence (p. 385-391)

5. Bio-bibliographie des contributeurs

Le dessin de couverture est l'œuvre de la renommée peintre Sergine André