
Coordonné par Anouche Kunth, Hervé Mazurel et Quentin Deluermoz
Avec les contributions de Estelle Car, Hervé Chatel, Pauline de La Boulaye, Claire de Ribaupierre, Quentin Deluermoz, Nathan Ferret, Massimo Furlan, Thomas Fouquet, Adeline Grand-Clément, Sylvaine Guyot, Marie-Hélène Lafon, Corinne Legoy, Ashley Mears, Hind Meddeb.
Du bleu profond au jaune éclatant, la nouvelle livraison de Sensibilités décline les pouvoirs de la fête. Rituels silencieux et vacarmes intempestifs, déplacements de soi, tintamarre de foules subversives, introspections et métamorphoses en sont d’indispensables ingrédients, des confins d’une île irlandaise aux rives du Nil, des bacchanales antiques aux nuits dakaroises.
La fête tisse des liens profonds avec le jeu, le rire, l’ivresse, les drogues, le chant ou la danse, lesquels favorisent l’effervescence collective et les communions émotionnelles. La fête rompt avec l’existence quotidienne et banale, affranchit les individus de la morale commune et des rôles sociaux traditionnels. Dans ce dérèglement des sens, où s’exprime un intense besoin d’échappée du temps routinier et profane, l’on cherche à vivre plus. Ouvrant sur la pure jouissance de l’instant et l’éternité de son souvenir, la fête est l’un des faits anthropologiques les plus profonds, un des lieux privilégiés où se fabrique du sacré, intime autant que collectif. Reste toutefois à décrire l’infinie variété de ses formes, intensités et significations, selon les latitudes et les époques. Ne serait-ce qu’à scruter l’histoire longue de l’Occident, pensons à ce qui s’est transmis, comme autant de filiations conscientes ou de survivances méconnues.
Des bacchanales grecques aux saturnales romaines, des fêtes des fous aux charivaris, danses de Saint-Guy, tarentelle des Pouilles, fêtes galantes de la cour, et bals masqués plus tardifs… D’ailleurs, que reste-t-il du carnaval aujourd’hui ? Où sont passées les rave party ? Jusqu’où la police des mœurs et la rationalisation des comportements ont-elles eu raison des formes les plus paroxystiques et transgressives de la fête ? Dans ce 13e numéro, la revue Sensibilités voudrait explorer l’homo festivus sous toutes ses coutures, non sans rappeler, dans ce temps de crises incessantes et de désespérance, les vertus vivifiantes des communions festives.
Sommaire
Édito
Le monde à l’envers Hervé Mazurel
Recherche
Se réjouir avec Dionysos. Expériences sensibles de la fête en Grèce ancienne Adeline Grand-Clément
De l’émotion publique. Le feu d’artifice d’Ancien Régime, ou la zone grise de la fête Sylvaine Guyot
Bals masqués. Immersion dans les nuits parisiennes du XIXe siècle Corinne Legoy
Le Z Event. Ou la fête en régime numérique Nathan Ferret
En nuit-clos. Aventurières de la fête dakaroise et fictions de soi Thomas Fouquet
Expérience
Sur le sit-in révolutionnaire de Khartoum Hind Meddeb
Dans la peau de Carnaval Sauvage Pauline de La Boulaye
Le Tuyau de Claveau Quentin Deluermoz, Massimo Furlan, Claire de Ribaupierre
Silences costumés : Halloween en insularité Estelle Car et Hervé Chatel
Libellules Marie-Hélène Lafon
Dispute
Rough music & charivari 1970-1972. Une correspondance entre Natalie Zemon Davis et Edward P. Thompson
Comment ça s’écrit
Une sociologie embarquée au cœur de la jet-set Ashley Mears.
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On peut lire sur en-attendant-nadeau.fr un article sur ce sommaire :
"La revue Sensibilités poursuit depuis 2016 son chemin, avec aujourd’hui La fête nuit et jour, une question provocatrice, tant elle met en exergue les émotions, qui agissent par les corps en mouvement. Les mouvements des corps ? Les ressorts corporels et l’enchantement émotionnel marchent de pair au point de faire bouger les lignes.
On s’en doutait, le détour par l’histoire est massif dans ce magnifique numéro. Que ce soit la fête dans la Grèce antique, le banquet et ses fêtes collectives, les foires et les marchés, et la présence de Dionysos (Adeline Grand-Clément) ; les feux d’artifice sous l’Ancien Régime que Sylvaine Guyot plante au cœur de la cérémonie d’ouverture des jeux Olympiques d’été en 2024, sacrilège honteux pour nombre de conservateurs, un grand « nous » pour le moins affecté ! En fusion : la foule ! Et ses détracteurs. Ou encore les bals masqués des nuits parisiennes du dix-neuvième siècle – étudiés par Corinne Legoy – sur le modèle de l’Opéra-Comique, du Châtelet ou de l’Odéon. Brouiller les identités, les statuts, les codes et les heures, c’est par cette inversion que se libèrent les affects, les passions, et que parfois s’allège « la bourse » chapardée.
Mélange des codes aussi à Dakar ! Avec En nuit clos. Aventurières de la fête de Thomas Fouquet, tumulte de contacts éphémères ou plus durables, de rires et de disputes, de marchandages et négociations, de corps qui se frôlent dont les « filles de la nuit » occupent le centre.
On s’arrêtera un instant à la fête plus apaisée de la Saint-Roch de Marie-Hélène Lafon, avec pompier-messe-manège-gerbe-défilé-allocution. Une longue tradition de la table dressée sous les tilleuls, un bal sous les lampions et les retrouvailles des natifs vacanciers. Sans oublier la course aux ânes qui fait sourire, pour une fois ! On se dévisage longuement ce jour-là. Les cloches donnent le ton. Atmosphère rêche.
Et on se souviendra de l’échange épistolaire entre Natalie Zemon Davis et Edward P. Thompson, qui en 1970, dans de longues pages manuscrites, publiées dans ce numéro, discutaient du tapuscrit de Natalie Z. D. « Les raisons du désordre : groupes de jeunes et charivaris dans la France du XVIe siècle ». Thompson y fait des objections amicales mais serrées. On dit « ses quatre vérités ». Une archive qui réchauffe les amitiés professionnelles. Nul doute enfin, ce numéro est traversé par de solides et sensibles amitiés." — Jean-François Laé