
Sa voix claire et intense vient des lointains de la Grèce antique. Née sur l’île de Lesbos vers 640 avant J.-C., Sapphochante l’amour comme un trouble de l’âme, une tendresse qui renaît dans le souvenir. Elle dit le temps qui passe et sépare les êtres, la mélancolie ou les déchirements de la solitude. Née dans une famille aristocratique impliquée dans les luttes politiques entre les différents tyrans qui se disputaient alors la domination de Lesbos, Sappho a connu des années d’exil en Sicile. Les anciens étaient unanimes à admirer son art. Solon, son contemporain, ayant entendu l’un de ses poèmes dans sa vieillesse, déclara qu’il ne souhaitait que deux choses : l’apprendre par cœur et mourir. Dans une épigramme attribuée à Platon, elle est nommée « la dixième Muse ». Seule femme dans le canon originel des neuf poètes lyriques, on peut la considérer aussi comme la première philosophe. Son personnage a donné matière à de nombreuses légendes. Et bien que son œuvre consiste pour une large part en une collection de fragments, ces vestiges témoignent d’un tel génie qu’ils captivent encore notre attention aujourd’hui.
Romancière, nouvelliste, historienne, cinéaste, Assia Djebar (1936-2015) aura souvent été, dans les nombreux domaines qu’elle a abordés, celle qui ouvre la voie : première Algérienne musulmane à intégrer l’École normale supérieure, première cinéaste maghrébine primée à la Mostra de Venise, première universitaire à enseigner l’histoire moderne et contemporaine au Maghreb, première Maghrébine élue à l’Académie française. Elle fut celle qui commence. Et qui commence pour les autres. Pratiquant l’art autobiographique avec un rare bonheur, sans complaisance ni concession, mais avec une attention à autrui toujours en éveil, Assia Djebar n’est jamais seule. Elle recueille la saga de sa tribu, rapporte les dits des gynécées, les récits des ancêtres et les témoignages contemporains pour faire entendre ceux et celles qui se taisent. Subjuguée doublement, sous le joug de la colonie et sous celui de la religion et du patriarcat, il s’agit pour elle de se glisser dans les intervalles de l’Histoire claironnée par les hommes, de s’introduire en « visiteuse importune » dans les codes rédigés au masculin, afin de surprendre les traces et effacements passés par pertes et profits. Et c’est du sein de la langue française qu’elle aura fait jaillir son œuvre, lumineuse et limpide, elle qui s’était donné pour but de « retrouver la tradition arabe de l’amour à travers la langue de Giraudoux ». Face à tous les obscurantismes, elle fut une éveilleuse intranquille, toujours en alerte.
Découvrir le détail du sommaire et les Avant-Propos respectifs des deux dossiers…
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Sommaire abrégé
SAPPHO
Pierre Landete, Antonio Aloni, Fernando Santoro, Julien Giudicelli, Sappho, Jean Bollack, Maria-Pia Darblade-Audouin, Cécile Carrier, Jean-Charles Vegliante, Giacomo Leopardi.
ASSIA DJEBAR
Mireille Calle-Gruber, Hervé Sanson, Assia Djebar, Vigdís Finnbogadóttir, Mohammed Dib, Eberhard Gruber, Sarah-Anaïs Crevier-Goulet, Jane Hiddleston, Pierre Nora, Régine Robin, Michelle Perrot, Françoise Gaillard, Sofiane Laghouati, Anaïs Frantz, Clarisse Zimra, Béatrice Didier, Aline Bergé, Habib Tengour, Wolfgang Asholt, Doris Ruhe, Seza Yılancıoğlu, Michèle Idels, Christine Villeneuve, Maïssa Bey, Philippe Claudel.
CAHIER DE CRÉATION
CHRONIQUES