Appel à communications
« Mauvaises herbes. De la lutte contre les nuisibles à l’éloge de la végétation spontanée »
Colloque organisé les 22 et 23 mai 2025, à l’Université Gustave Eiffel
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Aux yeux des jardiniers comme des agriculteurs, les mauvaises herbes désignent les plantes qui se trouvent là où elles n’ont pas été intentionnellement introduites. Ce sont les « adventices » des agronomes, ces plantes venues d’ailleurs, ainsi nommées à partir de la fin du XVIIIe siècle pour qualifier les espèces qui croissent sans avoir été semées. Alors que le terme de « mauvaise herbe » désigne toute plante indésirable à l’endroit où elle se trouve, certaines de ces adventices sont désormais reconnues pour leurs bénéfices : si des espèces envahissantes sont préjudiciables aux cultures et aux écosystèmes, les plantes messicoles, transgressives de leurs milieux naturels d’origine, sont inféodées aux cultures de céréales sans entrer en compétition avec elles. Discipline agronomique à part entière, la malherbologie identifie et étudie les mauvaises herbes, travaille à évaluer les risques de leur développement mais aussi à découvrir leur utilité (Zimdahl, 2024 ; Légère, 2009). Depuis plus de deux décennies, en effet, le questionnement sur la gestion de cette flore adventice s’est considérablement renouvelé face à la remise en question de l’usage systématique des herbicides, au vu de leurs conséquences néfastes sur l’environnement, la biodiversité et la santé publique.
Mais la question des mauvaises herbes est aussi au cœur des problématiques urbaines. Dans les villes et leurs périphéries, ces plantes dites « rudérales » colonisent des territoires variés : pelouses, parcs, bordures de routes, friches, terrains vagues, pieds de murs, trottoirs, ruines, « dents creuses ». Historiquement jugées indésirables en ville, en ce qu’elles ne répondent pas aux critères d’ordre et de propreté attendus dans les espaces urbains, les plantes spontanées y étaient systématiquement éliminées. Là encore, toutefois, face aux enjeux environnementaux et à la nécessaire préservation de la biodiversité, le développement de la flore spontanée et la gestion dite différenciée des espaces sont désormais encouragés dans de nombreuses agglomérations, non sans tensions, notamment vis-à-vis des habitants, heurtés dans leurs représentations citadines de la nature en zone urbaine (Marco et al., 2014 ; Menozzi, 2007). Alors que l’imaginaire de la ville s’est construit dans une opposition à la campagne, la présence de plantes adventices en milieu urbain tend à brouiller les frontières entre les différentes catégories d’espaces. « Penser avec les mauvaises herbes », pour reprendre la formule de Claire Larroque, ce serait ainsi plus largement investir les zones urbaines indéterminées, ces « tiers espaces » (Vanier, 2000) ou « tiers paysage » (Clément, 2020), à commencer par les territoires en friches et les espaces périurbains, pour requalifier positivement ces espèces dites « vagabondes » (Clément, 2002), cette « nature ordinaire » (Beau, 2017).
Car l’expression, « mauvaise herbe », jouit aussi d’une puissante force métaphorique, et désigne tout ce qui croît de façon spontanée, désordonnée, anarchique. Invitation à la prolifération, au débordement, contre tout système clos et hiérarchique (Deleuze et Guattari, 1980 ; Sauvagnargues, 2014), les mauvaises herbes peuvent recouvrir une portée politique (Lindgaard, 2018). L’énergie vitaliste, hors de contrôle, va de pair avec une potentielle dangerosité. « Plante nuisible aux cultures », l’expression évoque aussi un enfant qui grandit sans cadre moral, un « mauvais sujet » (Popescu, 2024).
C’est dans cette double acception, littérale et métaphorique, que les mauvaises herbes se déploient dans la littérature. Là où Victor Hugo écrit, dans Les Misérables, « il n’y a ni mauvaises herbes ni mauvais hommes. Il n’y a que de mauvais cultivateurs », là où Raymond Queneau intitule son premier roman Le Chiendent, Michel Tournier, dans sa « défense et illustration des mauvaises herbes », en appelle à « prendre la défense de la friche » quand le narrateur de Ruines-de-Rome de Pierre Senges, par sa semaison séditieuse, étend l’empire de la végétation sauvage à travers la ville. Parce qu’elles remettent en cause les hiérarchies, parce qu’elles participent d’une revalorisation des zones marginales, des espaces délaissés, des interstices urbains, les mauvaises herbes intéressent aussi de plus en plus tant la recherche que les artistes, dans la photographie, le cinéma, l’art contemporain (Popescu, 2024 ; Castro, 2023 ; Parisi, 2019 ; Decobecq, 2018). On pense au travail pionnier de Lois Weinberger, à « l’esthétique rudérale » proposée par Sarah Cowles ou encore au film documentaire de Matthew Gandy sur les plantes nées des décombres d’un Berlin bombardé. À l’heure de la crise environnementale et climatique, Teresa Castro invite ainsi à faire de ces « herbes folles » chères au cinéaste Alain Resnais des « compagnes exceptionnelles pour (re)penser le cinéma et ses histoires », quand Vittorio Parisi envisage, à partir des mauvaises herbes, une « esthétique de l’infestation ».
Le colloque « Mauvaises herbes. De la lutte contre les nuisibles à l’éloge de la végétation spontanée » a pour ambition d’aborder une thématique historiquement enracinée dans l’écologie urbaine, afin de mieux comprendre les évolutions des connaissances et des sensibilités, depuis le XIXe siècle jusqu’à l’époque contemporaine, notamment vis-à-vis des enjeux de la ville de demain. Il s’agit de croiser les approches, afin que puissent dialoguer écologues, géographes, paysagistes, historiens et historiennes, philosophes mais aussi chercheurs et chercheuses en littérature, cinéma, photographie et art contemporain. En envisageant cet objet sous un prisme pluridisciplinaire, on souhaiterait interroger ce « renversement de vision[1] » portée sur les mauvaises herbes, pour mesurer ce qu’une telle évolution du regard nous dit de l’époque contemporaine, notamment dans ses pratiques et ses représentations de la nature et de l’urbain. Ce colloque est organisé dans le cadre du programme de recherche interdisciplinaire « Urbanature 2. Entre ville et campagne : évolutions et hybridations » (LISAA, Université Gustave Eiffel). Il donnera lieu à une publication.
[1] Popescu, 2024, p. 6.
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Calendrier
Les propositions d’intervention, de 300 à 500 mots, accompagnées d’un titre et d’une brève bio-bibliographie, sont à adresser avant le 7 mars 2025 à patrick.matagne@univ-poitiers.fr et arthur.petin@univ-eiffel.fr.
Coordination : Patrick Matagne, Virginie Tahar et Arthur Pétin
Comité scientifique
Diane Arnaud (Université Gustave Eiffel), Carole Aurouet (Université Gustave Eiffel), Juliette Azoulai (Université Gustave Eiffel), Jean Estebanez (Université Paris‑Est Créteil), Nathalie Machon (Muséum national d’Histoire naturelle), Patrick Matagne (Université de Poitiers), Gisèle Séginger (Université Gustave Eiffel), Virginie Tahar (Université Gustave Eiffel), Arthur Pétin (Université Gustave Eiffel)
Bibliographie sélective
Carole Barthélémy, Jean-Noël Consalès, « Ré-enchanter le territoire à partir de la biodiversité ordinaire : l’artiste, la friche et le jardin à Marseille », dans Marie-Jo Menozzi (dir.), Les jardins dans la ville, entre nature et culture, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2014, p. 305‑316.
Rémi Beau, Éthique de la nature ordinaire. Recherches philosophiques dans les champs, les friches et les jardins, Paris, Publications de la Sorbonne, 2017.
Augustin Berque, « Le rural, le sauvage, l’urbain », Études rurales, n° 187, 2011, https://doi.org/10.4000/etudesrurales.9367.
Teresa Castro, « Cinéma et plantes rudérales : pour d’autres écologies affectives », dans Vincent Deville et Rodolphe Olcèse (dir.), L’art et les formes de la nature, Paris, Hermann, 2023, p. 281‑289.
Bruno Chauvel, Henri Darmency, Nicolas Munier-Jolain et Alain Rodriguez (dir.), Gestion durable de la flore adventice des cultures, Versailles, Éditions Quæ, 2018.
Gilles Clément, Manifeste du Tiers paysage [2004], Rennes, Éditions du commun, 2020.
Gilles Clément, Éloge des vagabondes : herbes, arbres et fleurs à la conquête du monde [2002], Paris, Robert Laffont, 2023.
François Decobecq, Les plantes et Babylone : un regard sur les plantes adventices en milieu urbain, Marsillargues, François Decobecq, 2018.
Gilles Deleuze, Félix Guattari, Mille Plateaux, Capitalisme et schizophrénie 2, Paris, Minuit, 1980. Voir « Introduction : Rhizome », p. 9-37.
Matthew Gandy, Natura Urbana, The Brachen of Berlin, 2018, voir https://www.naturaurbana.org.
Philippe Jauzein, Flore des champs cultivés [1995], Versailles, Éditions Quæ, 2011.
Claire Larroque, « Penser avec les mauvaises herbes », La vie des idées [en ligne], 3 avril 2019, https://laviedesidees.fr/Penser-avec-les-mauvaises-herbes.
Anne Légère, « La malherbologie au cœur des enjeux du XXIe siècle », Phytoprotection, n° 90, 2009, https://doi.org/10.7202/038981ar.
Jade Lindgaard (coord.), Éloge des mauvaises herbes. Ce que nous devons à la ZAD, Paris, Les liens qui libèrent, 2018.
Bernadette Lizet, Anne-Élisabeth Wolf, John Celecia (dir.), Sauvages dans la ville : de l'inventaire naturaliste à l'écologie urbaine, Paris, Publications scientifiques du Muséum, 1999.
Rémi Luglia (dir.), Sales bêtes ! Mauvaises herbes ! « Nuisible », une notion en débat, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2018.
Nathalie Machon (dir.), Sauvages de ma rue : guide des plantes sauvages des villes de France, Paris, Le Passage, Muséum national d’Histoire naturelle, 2012.
Audrey Marco, Marie-Jo Menozzi, Sébastien Léonard, Damien Provendier et Valérie Bertaudière-Montès, « Nature sauvage pour une nouvelle qualité de vie. Perception citadine de la flore spontanée dans les espaces publics », Revue géographique des pays méditerranéens, n° 123, 2014, p. 133-143, https://doi.org/10.4000/mediterranee.7483.
Marie-Jo Menozzi, « “Mauvaises herbes”, qualité de l'eau et entretien des espaces », Natures Sciences Sociétés, n° 15, 2007, p. 144-153, https://doi.org/10.1051/nss:2007041.
Olivia Molnàr, Aldwin Raoul, Atlas des plantes de mauvaise vie : un herbier de l’infra-ordinaire, Vevey, Édition Hélice Hélas, 2023.
Vittorio Parisi, « Entre tags et mauvaises herbes. L’interstice urbain comme expérience esthétique », Hispanisme(S) [en ligne], n° 14, 2019, https://doi.org/10.4000/hispanismes.360.
Carmen Popescu, H comme Herbes, mauvaises, Rosny-sous-Bois, éditions BOA, 2024.
Anne Sauvagnargues, « Malherbologie », Chimères, n° 82, 2014, p. 145-154, https://shs.cairn.info/revue-chimeres-2014-1-page-145?lang=fr.
Pierre Senges, Ruines-de-Rome, Paris, Verticales, 2002.
Michel Tournier, « Défense et illustration des mauvaises herbes », dans Célébrations, Paris, Gallimard, 2000, p. 23-27.
Martin Vanier, « Qu'est-ce que le tiers espace ? Territorialités complexes et construction politique », Revue de géographie alpine, tome 88, n°1, 2000, p. 105-113, https://doi.org/10.3406/rga.2000.4626.
Laurent Vermeersch, La ville, miroir de la pensée : croyances et formes urbaines, Levallois‑Perret, Bréal, 2022.
Robert L. Zimdahl et Nicholas T. Basinger, Fundamentals of Weed Science, 6th edition, London, Academic Press, 2024.