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Dans l’ombre des Lumières allemandes : pensées canoniques et marginales dans les discours philosophiques et religieux sur la Bildung au XVIIIe s. (ENS Lyon)

Dans l’ombre des Lumières allemandes : pensées canoniques et marginales dans les discours philosophiques et religieux sur la Bildung au XVIIIe s. (ENS Lyon)

Publié le par Faculté des lettres - Université de Lausanne (Source : Mathilde Vanhelmon)

Ce colloque junior propose de revenir au concept de Bildung, notion cardinale de l’histoire des idées européennes. La difficulté que peut représenter la traduction de ce terme qui n’a pas d’équivalent en français (Koselleck 2006, 109) réside à la fois dans son ancrage culturel fort, dans sa polysémie ainsi que dans la diversité de ses emplois. Si l’une des manières de saisir les contours de cet idéal de formation complète de l’individu consiste à le distinguer de l’éducation (Erziehung), comme d’un préalable qui, lui, se bornerait à l’action d’inculquer savoirs et comportements, il s’agira, dans cette manifestation, de rendre compte de toute la complexité lexicale, sémantique et conceptuelle de la notion de Bildung. Force est de constater, en effet, que son acception varie selon les contextes voire parfois au sein d’un même discours. 

Le tricentenaire de la naissance de Kant en 2024 a été l’occasion de faire porter un nouveau coup de projecteur sur les Lumières allemandes et sur l’œuvre de ce penseur canonique de l’éducation. Ce colloque junior propose ainsi, d’une part, de poursuivre la remise à jour des discours canoniques sur la Bildung au XVIIIe siècle et de mettre en lumière les discours dissonants ou marginaux qui lui sont aussi consacrés, d’autre part. Il conviendra ainsi de s'interroger sur le processus de canonisation, mais aussi et surtout sur celui de marginalisation. En quoi les discours identifiés comme dissonants sont-ils à concevoir comme en rupture avec les idées prédominantes, à rebours de la norme, à contre-courant de l'orthodoxie ? Comment expliquer leur faible diffusion ? En quoi la réception des discours marginaux a-t-elle permis de faire sortir ces différents textes de la marge où ils se trouvaient au XVIIIe siècle ? Cette tension entre canon et marge sera étudiée au sein des champs philosophique et religieux, dans lesquels émergea et se développa la pensée de la Bildung. D’abord pensée au Moyen-Âge par la mystique allemande (Lichtenstein 1971, 921) qui l’appréhende comme ce qui façonne l’âme humaine à l’image de Dieu, une première redéfinition majeure de la notion religieuse, mais aussi philosophique de Bildung a été entreprise au XVIIIe siècle par les Lumières allemandes, période pendant laquelle de nombreuses réformes éducatives furent mises en place. 

Axe 1 – Discours philosophiques 

Cette redéfinition au cours du « siècle pédagogique » s’inscrit dans un renouveau général de la pensée de l’éducation qui prit place notamment dans des textes philosophiques canoniques tels que ceux de Friedrich Schiller (Lettres sur l'éducation esthétique de l'homme, 1795), d’Immanuel Kant (Traité de pédagogie, 1803) ou encore de Wilhelm von Humboldt (1767-1835), ce dernier étant sans doute le penseur qui a le plus largement contribué à ce renouveau de la pensée de l’éducation en faisant de la Bildung une pierre angulaire du nouvel humanisme allemand (Neuhumanismus). Il transforme ce concept traditionnellement ancré dans l’héritage intellectuel gréco-romain, centré sur un apprentissage (grammaire, rhétorique, poétique), lui-même fondé sur un canon d’auteurs classiques, en un idéal de liberté individuelle. La Bildung tend dès lors vers le développement de la personnalité et la découverte de soi au contact de l’autre, s’oppose au carcan de l’enseignement scolaire et promeut un investissement personnel et conscient de l'individu. Cette nouvelle conception de la Bildung met l’accent sur la libre formation de l’individu et sur sa capacité à se donner forme pour devenir un bon citoyen et un homme cultivé. 

L’objectif de ce colloque sera d’autre part de mettre en lumière des discours marginaux qui émergent à cette période. Il pourra s’agir de discours se tenant à l’écart des discours philosophiques dominants, s’y confrontant ou les déformant.  

Axe 2 – Discours religieux 

Durant les Lumières allemandes, les discours protestants, catholiques et juifs, qui ont contribué à former les esprits des siècles durant, revisitent, eux aussi, la notion de Bildung. Celle-ci s’insère alors dans le cadre des vifs débats sur la tolérance – du christianisme à l’égard des autres religions ou bien des chrétiens entre eux. 

L’approche par les penseurs religieux de la notion de Bildung est prise dans une tension entre orthodoxie et hétérodoxie qui recoupe celle qui existe entre canon et marge. Au XVIIIe siècle, l’orthodoxie désigne majoritairement l’orthodoxie luthérienne enseignée dans les facultés de théologie. On pourra rechercher les discours hétérodoxes du côté, notamment, des deux courants religieux novateurs, issus du protestantisme, que sont la néologie et le piétisme. Les textes relevant de l’hétérodoxie radicale, issus notamment des courants athéistes, déistes ou encore naturalistes, font eux aussi figure de discours dissonants. Ces écrits en rupture avec l’orthodoxie dénoncent la religion au nom de la raison et de la tolérance et critiquent avec ferveur les textes bibliques dont ils remettent en question l’authenticité. 

Parallèlement aux Lumières allemandes se développe un mouvement de rupture qui fut baptisé a posteriori « Lumières juives ». La haskala ou « éducation » en hébreu, entreprend, en effet, à l’heure où le judaïsme amorce son émancipation, de faire sortir la tradition juive de son isolement pour la faire dialoguer avec les discours philosophiques et religieux émergents. C’est dans ce contexte que germent notamment des réflexions autour de l’éducation des femmes (Frauenbildung). La pensée fondatrice de Moses Mendelssohn, qui incarne le canon de la pensée juive de l’éducation au XVIIIe siècle, est développée dans un texte célèbre dans lequel il cherche à répondre à la même question que Kant : « À propos de la question : que signifie éclairer » (1784). En 1783, le même Mendelssohn affirme dans Jérusalem ou pouvoir religieux et judaïsme la compatibilité du judaïsme avec la rationalité. En regard de ce retour aux canons des Lumières juives, il s’agira également de mettre en évidence les discours formulés à la marge. Citons par exemple les écrits d’un vulgarisateur de Kant, Lazarus Bendavid, pédagogue juif prussien (1762-1832) ou ceux de Salomon Maimon (1753 ?-1800). 

L’analyse des discours religieux canoniques et marginaux sur l’éducation pourra notamment être réalisée à travers un double prisme, celui de la tension entre individualité et universalité, d’une part, celui de la tension entre modernité et contre-modernité, d’autre part. Ces points d’ancrage seront à mettre en perspective avec la sécularisation et le processus de rationalisation amorcés au XVIIIe siècle : En quoi la Bildung peut-elle être considérée comme un point nodal des interactions entre sphère religieuse et sphère sociale : une clef pour comprendre un débat dont l'expression est une marche vers ou contre la modernité ? La Bildung joue-t-elle un rôle dans la tentative de rationalisation de la religion ?

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Modalités de participation

Nous vous invitons à nous faire parvenir vos propositions de communication au plus tard le 31 janvier 2025 aux deux adresses électroniques suivantes : claire.milcent@etu.u-bordeaux-montaigne.fr ; mathilde.vanhelmon@etu.univ-amu.fr

Vos propositions ne devront pas excéder 500 mots et pourront être rédigées en français ou en allemand. Merci d’y joindre une brève notice bio-bibliographique où vous préciserez la langue dans laquelle vous souhaitez présenter votre exposé. Les interventions elles-mêmes ne devront pas excéder une durée de 30 minutes. Les langues de travail lors de cette manifestation seront le français et l’allemand. Nous attendons des intervenant.e.s une compréhension au moins passive des deux langues afin de faciliter les échanges.

Suite au travail de sélection des propositions, le comité d’organisation donnera une réponse aux candidat.e.s autour du 15 février 2025. 

Le colloque se tiendra à l'ENS de Lyon les 9 et 10 octobre 2025. 

Une publication des communications pourra être envisagée. 

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Comité d’organisation 

Claire Milcent (Plurielles, Université Bordeaux Montaigne)

Mathilde Vanhelmon (Échanges, Aix-Marseille Université)

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Comité scientifique

Florence Bancaud (Échanges, Aix-Marseille Université)

Pierre Brunel (IHRIM, Université Lumière Lyon 2)

Tristan Coignard (Plurielles, Université Bordeaux Montaigne)

Sonia Goldblum (IHRIM, Ecole Normale Supérieure de Lyon)

Emmanuel Hourcade (IHRIM, Ecole Normale Supérieure de Lyon)

Anne Lagny (IHRIM, Ecole Normale Supérieure de Lyon)

 

Bibliographie sélective 

AGARD Olivier et Françoise LARTILLOT (dir.), Education esthétique selon Schiller - Entre anthropologie, politique et théorie du beau, Paris, L'Harmattan, coll. « De l'Allemand », 2013.

BLANKERTZ Herwig, Die Geschichte der Pädagogik. Von der Aufklärung bis zur Gegenwart, Wetzlar, Büchse der Pandora, 1982.

BOLLENBECK Georg, Bildung und Kultur. Glanz und Elend eines deutschen Deutungsmusters. Francfort-sur-le-Main, Verlag, 1994.

BRECHT Martin et Klaus DEPPERMANN (éd.), Geschichte des Pietismus, Vandenhoeck & Ruprecht, Göttingen, 1995, vol. 2/4, Der Pietismus im 18. Jahrhundert. 

BRUMLIK Micha, « Erziehung und Bildung », dans Sabine Andersen (éd.) et al., Erziehung: ein interdisziplinäres Handbuch, Stuttgart; Weimar, J.B. Metzler, 2013, p.20-23.

BRUNEL Pierre, « Lessing. Die Aufklärung der Aufklärung (H. Kerber) », in Etudes germaniques, 2025 (à paraître). 

BRUNNER Otto, Werner CONZE et Reinhart KOSELLECK (éd.), Geschichtliche Grundbegriffe: Historisches Lexikon zur politisch-sozialen Sprache in Deutschland, Stuttgart, Klett-Cotta, 1972, 8 vol.

CASSIN Barbara (dir.), Vocabulaire européen des philosophies, dictionnaire des intraduisibles, Paris, Seuil-Le Robert, 2004.

CASSIN Barbara (dir.), Philosopher en langues, Les intraduisibles en traduction, Paris, Éditions de l’ENS, 2014.

COIGNARD Tristan et Céline SPECTOR (dir.) Europe philosophique, Europe politique. L’héritage des Lumières, Paris, Classiques Garnier, 2022.

DECULTOT Élisabeth, Michel Espagne et Jacques LE RIDER (dir.), Dictionnaire du monde germanique. Paris, Bayard, 2007

DÖRPINGHAUS Andreas et al., Einführung in die Theorie der Bildung, Darmstadt, Verlag, 2006.

ESPAGNE Michel, « Bildung », dans Barbara Cassin (dir.), Vocabulaire européen des philosophies, dictionnaire des intraduisibles, Paris, Seuil-Le Robert, 2004, p. 195-205. 

GROOTHOFF Hans-Hermann, « Erziehung », dans Joachim Ritter (éd.), Historisches Wörterbuch der Philosophie, Darmstadt, Verlag, 1971, vol. 2, p. 733–735.

HOHENDORF Gerd, Wilhelm von Humboldt et l'éducation, Perspectives: revue trimestrielle d'éducation comparée (Paris, UNESCO: Bureau international d'éducation), vol. XXIII, n° 3-4, 1993, p. 685-696.

JEISMANN, K. E. et P. Lundgreen(dir.). Handbuch der deutschen Bildungsgeschichte. Band III: 1800-1870. vol. 3: Von der Neuordnung Deutschlands bis zur Gründung des Deutschen Reiches Gegenwart, Munich, C.H. Beck Verlag, 1987.

KAENNEL Lucie, Les Juifs et l'idée de Bildung dans l'Allemagne de culture protestante : chronique d'un mésamour à travers le long XIXe siècle, Ecole Pratique des hautes Etudes, Paris, 2014.

KOSELLECK Reinhart, Begriffsgeschichten: Studien zur Semantik und Pragmatik der politischen und sozialen Sprache, Frankfurt am Main, Suhrkamp, 2006.

LERENARD Mathilde, Théories et pratiques éducatives dans le Berlin des Lumières : l'œuvre de Friedrich Gedike (1754-1803), Université Bordeaux Montaigne, Bordeaux, 2016.

LAGNY Anne, Lessing. Nathan der Weise, Paris, Atlande, 2024.

LICHTENSTEIN Ernst, « Bildung », dans Joachim Ritter (éd.): Historisches Wörterbuch der Philosophie, Basel, Schwabe Verlag, 1971, vol. 1, p 921–937.

LÜTTEKEN Annett (dir.) et al., Der Kanon im Zeitalter der Aufklärung. Beiträge zur historischen Kanonforschung, Wallstein, Göttingen, 2009. 

MÜLLER Ernst et Falko SCHMIEDER, Begriffsgeschichte zur Einführung, Hamburg, Junius, coll. « Zur Einführung », 2020.

OELKERS Jürgen, « Das Konzept der Bildung in Deutschland im 18. Jahrhundert », dans Osterwalder, Heinz Rhyn et Jürgen Oelkers (éd.), Bildung, Öffentlichkeit und Demokratie, Weinheim, Beltz Verlag, coll. « Zeitschrift für Pädagogik », n°38, 1998.

SCHOLZ Stefan, « Kanones in Theologie, Literaturwissenschaften und Kulturwissenschaften. Einführende Bemerkungen zur Kanonforschung der Neuzeit und Moderne», dans Eve-Marie Becker, Stefan Scholz (dir.), Kanon in Konstruktion und Dekonstruktion, Berlin, De Gruyter, 2012. 

SCHULTE Christoph, Die jüdische Aufklärung – Philosophie, Religion, Geschichte, München, Verlag C.H. Beck Verlag, 2000. 

VIERHAUS Rudolf, « Bildung », dans Otto Brunner, Werner Conze et Reinhart Koselleck (éd.), Geschichtliche Grundbegriffe: Historisches Lexikon zur politisch-sozialen Sprache in Deutschland, Stuttgart, Klett-Cotta, 1972, 8 vol.

VIEWEG Klaus et Michael WINKLER (éd.), Bildung und Freiheit. Ein vergessener Zusammenhang, Paderborn, Ferdinand Schöningh, 2012, p. 11–28.

ZELENER Greta, „Jüdische Erwachsenenbildung in Deutschland und die Rolle der Frauen“, in: Deutschland Archiv, 7.12.2021, lien: www.bpb.de/344476.