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Aby Warburg, historien de l’art et anthropologue (Nouvelle revue d'esthétique)

Aby Warburg, historien de l’art et anthropologue (Nouvelle revue d'esthétique)

Publié le par Marc Escola (Source : Laetitia Marcucci)

Nouvelle Revue d’Esthétique

N° 36 – Aby Warburg, historien de l’art et anthropologue

Responsable : Lara Bonneau 

C’est un fait difficilement contestable : Aby Warburg, le grand historien de l’art de Hambourg, nous a appris à voir autrement, à traiter les images comme des réalités dignes d’une attention spécifique, non seulement pour ce qu’elles nous disent du monde, mais pour ce qu’elles nous disent de nous-mêmes et de la structure de notre sensibilité, bref à faire droit aux puissances trop longtemps méconnues du visible. Pionnier de l’iconologie, il a légué bien davantage qu’une méthode à l’usage des historiens de l’art : un rapport aux œuvres et au monde, une manière de traiter le sensible dans son épaisseur historique, dont les artistes, les critiques, les théoriciens de l’art ou encore les spectateurs que nous sommes s’inspirent encore largement. Sur le plan historiographique, rappelons que si les années 1990 ont été celles de sa redécouverte, soixante ans après sa mort, les années 2000 ont marqué sa fulgurante ascension au zénith de l’histoire de l’art, depuis lequel, en figure tutélaire, il a comme orchestré ou conduit la découverte de nouvelles disciplines consacrées aux images. Celui qui avait fondé l’iconologie a contribué, post-mortem, à la création de la science des images, cette Bildwissenschaft née outre-Rhin et à donner leur coup d’envoi aux visual studies. Depuis plus de vingt ans, l’œuvre de Warburg irrigue les différentes disciplines qui se consacrent à l’analyse des médias et du visuel, à la théorie critique du cinéma et de la photographie. Warburg est devenu un classique, avec ce que cela implique de déférence transie et parfois, osons le dire, de clichés, mais aussi de dynamisme et de fécondité dans la recherche, les études warburgiennes ayant une extraordinaire vitalité. 

Lorsque l’on examine la littérature secondaire, il apparaît assez rapidement que l’immense majorité de la production de littérature secondaire sur Warburg se concentre sur cette voie ouverte par les sciences de l’image, suivant en cela une réception commencée dès le milieu des années 1990 (voir G. Boehm et W.T.J Mitchell) et poursuivie, sous une autre manière, par Georges Didi-Huberman, l’historien de l’art français récipiendaire du prix Aby Warburg (2020) qui a été et demeure l’un des grands passeurs de la tradition warburgienne et ce, même dans le monde germanique. 

Se réclamant en particulier de l’œuvre posthume de l’auteur, de l’Atlas Mnémosyne ou de la conférence de Kreuzlingen intitulée a posteriori Rituel du serpent, les visual studies, tout comme la Bildwissenschaft du côté germanique, ont fait d’Aby Warburg le père fondateur d’une iconologie non-discursive. Cette lecture a fait largement droit au mode d’exposition original que l’historien de l’art de Hambourg développa à partir de 1924, et qui trouva son origine dans la conférence prononcée pendant son internement à Kreuzlingen en 1923. Warburg inventa un type de conférence singulier, basé sur la mise en série et la présentation, sur de grands tableaux noirs (Bildertafeln), d’images dont il exploitait les liens morphologiques, entraînant ce faisant son auditoire à la poursuite de motifs et de « formules de pathos » (Pathosformeln) à travers les siècles et les aires géographiques, sur la base d’affinités à la fois historiques, biologiques, culturelles et formelles. L’Atlas Mnémosyne est la forme la plus aboutie de ce procédé. Les expositions magistrales récentes de l’atlas au sein du Haus der Kulturen der Welt à Berlin en 2020, ou encore dans la collection Falckenberg des Deichtor Halle à Hambourg en 2021, ont permis d’accéder de manière exceptionnelle à cette méthode si particulière et qui a fait tant d’émules. Des projets transdisciplinaires tels que le Bilderfahrzeuge à Hambourg / Londres, ou encore le projet canadien « The Warburg Library Network » axé sur la transmédialité et dirigé à l’université de Montréal par Philippe Despoix ont creusé le sillon de ce dialogue paradoxal avec les images, un dialogue ayant une efficace et une fécondité indéniables pour analyser le monde médial foisonnant qui est le nôtre.  Cette lecture a représenté, à la bascule du xxe au xxie siècle un geste fort, permettant d’ouvrir de nouveaux horizons, de nouvelles approches de l’image qui ont radicalement changé notre regard sur elles et notre manière d’y réagir. Néanmoins, en insistant sur les pouvoirs de l’image, cette réception de l’œuvre de Warburg a eu tendance à oblitérer le fait que la méthode de Warburg aspirait à devenir la pierre angulaire d’une science historique de la culture et plus particulièrement d’une « science de l’art » qui se constituait de manière transdisciplinaire et collégiale, rassemblant des historiens de l’art et des philosophes, des historiens et psychologues. Cette discipline née à la charnière du xixe au xxesiècle trouvait dans l’art le support et le champ d’un nouveau type de connaissance, passible d’une formalisation discursive, qui conduit à ce qu’on pourrait définir comme une interdisciplinarité avant la lettre. Sa construction multifocale mêlant l’histoire de l’art et l’histoire de la culture, la biologie, la psychophysiologie, la philosophie et l’anthropologie, était placée sous le signe d’une esthétique qui devait englober tous les aspects de la vie sensible, attentive à l’aspect affectivo-pathique et perceptif de notre être au monde, de cette « gnoséologie inférieure » (Baumgarten), donc, que Kant avait délimitée par rapport à la « gnoséologie supérieure » dans la Critique de la raison pure. 

La publication encore relativement récente d’un ensemble de textes posthumes de l’historien de l’art (les Fragments sur l’expression, l’écarquillé 2015) a attiré notre attention sur les configurations théoriques et épistémologiques qui ont orienté la méthode de Warburg vers la psychophysiologie, la biologie, la philosophie, la mythographie ou encore l’histoire des religions et du sentiment religieux. Véritable « miroir récepteur » des sciences de son époque, de l’évolutionnisme darwinien à la psychologie expérimentale de Wilhelm Wundt ou à l’histoire des religions et la philologie d’Hermann Usener, la science de l’art warburgienne tient ensemble des voies à première vue difficilement compatibles : l’enquête formelle et stylistique, la recherche de grandes lois qui organisent l’expérience sensible du monde, la profondeur historique de l’histoire de la culture à la Burckhardt. Ces fragments avaient certes un statut particulier, puisqu’ils n’étaient pas destinés à être publiés initialement et tenaient donc davantage du laboratoire de recherches que du projet de livre. Nous avons déjà montré ailleurs[1] la difficulté spécifique de ces Fragments et les précautions à prendre dans leur interprétation. De fait, ils ont longtemps été tenus pour des hiéroglyphes incompréhensibles auxquels il ne faudrait accorder qu’une importance seconde voire qu’il faudrait ignorer complètement dans l’interprétation des principales thèses et de la méthode de l’historien de l’art. C’est la raison pour laquelle leur publication, d’abord dans une version bilingue italo-allemande (2003), puis franco-allemande (2015), puis en allemand comme un tome à part de la Studienausgabe (Aby Warburg Gesammelte Schriften IV, 2015) s’est faite plus d’un siècle après leur écriture. Hans-Christian Hönes et Ulrich Pfisterer, qui furent chargés de l’édition scientifique et critique allemande de ces Fragments, ont eux-mêmes considéré que ces derniers constituaient un relatif « échec[2] » que Warburg aurait dépassé en renonçant à ce type d’écriture théorique à partir de 1905 pour développer une méthode basée sur le comparatisme iconographique lui réussissant davantage et devenant peu à peu ce que nous considérons aujourd’hui comme l’iconologie. Force est de reconnaître qu’il est impossible d’interpréter ces fragments dans leur intégralité et que certains d’entre eux demeurent (même aux yeux de leur auteur, avec le recul) opaques, exagérément compliqués et pour tout dire incompréhensibles. Cela n’invalide pas pour autant leur valeur d’ensemble – car nombre d’entre eux sont tout à fait clairs et se répondent, s’enrichissent mutuellement au fil des ans – ni le fait qu’ils structurent pendant de longues années, et même, osons l’affirmer, jusqu’à la mort de leur auteur, l’œuvre de celui-ci. Ils sont même remis sur le métier de 1927 à 1929, et font écho à de nouvelles séries de fragments au moment de l’élaboration de l’Atlas Mnémosyne, des fragments intitulés « Concepts fondamentaux » et « Idées générales ». Il faut donc les approcher prudemment, comme un laboratoire dont il est impossible d’utiliser tous les matériaux mais dont les objets principaux sont extrêmement éclairant pour comprendre le projet d’ensemble de Warburg et la cohérence de ses différents travaux iconologiques.  Par ailleurs, ils sont la preuve irréfutable de l’enracinement profond de Warburg dans le terreau philosophique, scientifique et culturel de son époque. 

Héritier de la fin du xviiie siècle, celle de Kant et de Goethe, mais aussi de Herder et Humboldt, contemporain de la charnière des xixe et xxe siècles dont l’essor scientifique et technique l’effraie autant qu’il le fascine, l’historien de l’art est mu par une curiosité sans limite, une soif d’infini à laquelle répond année après année l’expansion de la bibliothèque qu’il a obtenue de son frère Max en échange de son droit d’aînesse. Pourtant cette curiosité est conduite et balisée par un ensemble relativement restreint de questions, que Warburg examine sans cesse à nouveaux frais, à la lumière des formes symboliques dont il investigue les détails : qu’est-ce que l’homme ? Comment comprendre le passage de l’impression sensible à l’expression symbolique? Quelles sont les fonctions des formes symboliques dans l’économie psychique ? Quelles sont les grandes passions qui structurent la vie humaine ? Quel rôle jouent les images dans notre orientation ?  

Modalités de soumission

Les propositions d’article pour ce n° 36 de la Nouvelle Revue d’Esthétique, seront envoyées par mail au format Word avant le 15 avril 2025 à Dominique Chateau (chateaudominique@mac.com) et Lara Bonneau (pour tout renseignement complémentaire s’adresser également à elle : bonneau.lara@gmail.com ; bonneau@flu.cas.cz).

Plus précisément, l’envoi comprendra : 

• le texte d’un article de 25 000 signes, espaces compris, sans compter les notes ; celles-ci, en nombre le plus restreint possible, devront être limitées à l’indication des références ; 

• un résumé de 300 mots maximum en français et en anglais ;

• une présentation succincte de l’auteur(e) ou des auteur(e)s de 100 mots maximum.

Les articles reçus pour la rubrique « Études » seront anonymés en vue d’une double évaluation par le comité de rédaction de la Nouvelle Revue d’Esthétique. À l’issue de cette expertise, les auteur(e)s des propositions recevront l’avis du comité éventuellement assorti de remarques.