Les Cahiers de Tunisie lancent un appel à contributions pour un volume intitulé Guerre et paix (numéro 234). La thématique retenue a une résonnance toute particulière dans le contexte actuel. Le conflit en Palestine, en particulier, illustre comment la guerre et la paix sont souvent enchevêtrées dans des dynamiques géopolitiques complexes et soulève des questions fondamentales sur la « légitimité » et les justifications des guerres, qu’elles soient vues au prisme du droit international ou tout simplement du droit humain élémentaire. Ce numéro vise à explorer les différentes dimensions – historiques, philosophiques, sociopolitiques et culturelles – de la guerre et de la paix à travers une approche pluridisciplinaire, intégrant les Lettres ainsi que les sciences humaines et sociales, sans toutefois se limiter à ces disciplines. Il est à noter que, conformément à sa tradition, ce numéro des Cahiers de Tunisie, comportera une partie « Varia » pour accueillir des contributions autour de thématiques diverses et variées.
Dans cette perspective pluridisciplinaire, il serait restrictif de considérer exclusivement les conflits armés ou les guerres coloniales : explorer d’autres formes de luttes et en analyser les justifications et les implications permettrait de comprendre les causes sous-jacentes des guerres et les évolutions de ses manifestations sur les plans politique, économique, social, éthique et artistique. Cette approche vise à identifier les facteurs constitutifs des conflits et à explorer les relations complexes entre guerre et paix. Les travaux d’Edward Saïd, notamment dans L’Orientalisme, offrent une réflexion pertinente sur la manière dont la guerre et la paix sont souvent vécues de manière asymétrique, en fonction des regards culturels et politiques des acteurs des conflits et/ou des acteurs de la paix. Saïd, en s’intéressant à la construction de l’Autre et aux dynamiques impérialistes, souligne que les conflits ne relèvent pas exclusivement de l’affrontement armé ; il peut également s’agir de luttes idéologiques acharnées visant la domination culturelle et symbolique des uns au détriment des autres.
Vue sous cet angle, la guerre, comme toute forme de lutte sans doute, est perçue comme un échec de la paix et de la raison, mais peut aussi être considérée comme une nécessité historique ou biologique. Qu’il s’agisse de définir la guerre comme une absence de paix ou comme un phénomène naturel avec des aspects potentiellement positifs, il est crucial de développer un discours rationnel sur la guerre, ne serait-ce que dans le but d’en déconstruire la violence. Le discours sur la paix quant à lui se veut à la fois critique et constructif. Il peut servir à dénoncer les conflits tout en établissant un idéal normatif de paix. Toutefois, il est nécessaire de veiller à ce que ce discours ne soit pas trompeur ou idéologique. La paix ne doit pas être confondue avec une forme de pouvoir oppressif au risque de (re)conduire à la guerre.
Les problématiques soulevées par le thème « Guerre et paix » sont multiples et touchent aux notions de conflit, de légitimité, de mémoire collective et d’identité culturelle. Il s’agit d’interroger la manière dont les sociétés confrontées aux séquelles de la guerre reconstruisent leur identité. Il s’agit également d’étudier les dynamiques de pouvoir et les représentations de la guerre dans les discours politiques et médiatiques, mais aussi la manière dont les œuvres littéraires et artistiques témoignent des luttes individuelles et collectives.
Représentations littéraires et artistiques
Comment les écrivains, poètes et artistes interprètent-ils ces réalités antagonistes que sont la guerre et la paix ? La littérature qui est, selon l’expression consacrée, le miroir des conflits humains, dépeint la guerre non seulement comme un champ de bataille mais aussi comme une exploration de l’héroïsme, du sacrifice et de la tragédie humaine. Il n’y a qu’à lire L’Iliade pour s’en convaincre : cette épopée illustre la manière dont les récits guerriers façonnent notre compréhension des valeurs humaines fondamentales. Virginia Woolf, dans Mrs Dalloway, évoque les séquelles psychologiques de la Première Guerre mondiale sur les individus. Elle explique que la mémoire collective façonne notre compréhension de la paix et que les traumatismes de guerre persistent dans la vie quotidienne des survivants. Cette approche littéraire peut être mise en relation avec les théories contemporaines sur la mémoire collective et son impact sur l’identité nationale. Les contributions pourraient également explorer les ressources que mettent en œuvre le cinéma et les arts visuels pour participer à ces représentations.
Philosophie et éthique
La dialectique de la guerre et de la paix en appelle d’autres, notamment celle de la guerre juste et de la guerre injuste que l’on doit au philosophe Michael Walzer. Une analyse autour des normes éthique des conflits armés s’impose, celle-ci peut soulever des questions cruciales sur la légitimité des interventions militaires en temps de crise humanitaire, sur la conception du droit international humanitaire ainsi que sur les implications morales et éthiques tant des moyens mis en œuvre que du peu de moyen mis en œuvre par le monde libre dans la protection du plus faible. La guerre et son discours se nourriraient-ils du silence des nations ? Le droit international, s’il ne s’encombre pas de telles questions, et s’il ne semble pas être à même d’apporter de réponse à une telle crise humaine, présente du moins l’avantage de mettre les acteurs internationaux face à leurs responsabilités morales.
Dimensions culturelles et identitaires
Comment les conflits influencent-ils les identités culturelles ? La mémoire collective des guerres peut contribuer à la paix ou nourrir des divisions durables au sein des sociétés. Des études sur le cas du Maghreb peuvent offrir un éclairage pertinent sur ces questions, notamment à travers l’analyse des récits historiques qui façonnent l’identité nationale. Les travaux sur le nationalisme et son rapport aux conflits armés sont essentiels pour comprendre comment les identités culturelles se construisent souvent en réaction aux menaces perçues. Il serait également intéressant d’étudier la manière dont une identité peut être façonnée par l’expérience continue du conflit. Les récits personnels et collectifs jouent un rôle fondamental dans la construction identitaire, mais aussi dans la compréhension mutuelle entre les peuples.
Dimensions psychologiques et sociales
Les chercheurs sont également invités à analyser la manière dont les sociétés sont amenées à gérer l’après-guerre par le biais de processus de réconciliation par exemple. L’étude des processus de paix en Afrique du Sud post-apartheid, au Rwanda après le génocide, au Liban après la guerre civile ou encore en Palestine, offre des perspectives précieuses sur la manière dont les sociétés tentent de reconstruire leurs identités nationales tout en affrontant leur passé traumatique. Les recherches sur l’impact psychologique des conflits prolongés peuvent offrir une compréhension approfondie des défis auxquels font face ces sociétés dans leur quête de paix.
Approches géopolitiques
Dans quelle mesure la géopolitique contemporaine redessine-t-elle les frontières entre guerre et paix ? Les travaux sur le néo-réalisme portent notamment sur la manière dont les États naviguent entre coopération et conflit dans un monde globalisé. Des théoriciens comme Kenneth Waltz ont soutenu que le système international pousse les États à agir principalement par intérêt national, souvent au détriment de solutions pacifiques. Les contributions pourraient également examiner le rôle, souvent critiqué, des organisations internationales dans la promotion de la paix, l’ONU et le Conseil de sécurité fournissant de bons exemples. Dans le cadre des conflits armés les plus récents par exemple, il serait pertinent d’étudier les interventions internationales et leur influence sur le cours des conflits. Quelles sont les implications géopolitiques des alliances régionales ? Comment ces dynamiques affectent-elles les perspectives d’une paix durable ?
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Le numéro 234 des Cahiers de Tunisie vise donc à encourager une pluralité de perspectives afin d’enrichir le débat sur la guerre et la paix. Sans se limiter aux axes susmentionnés, les contributions pourront refléter les expériences historiques et culturelles variées ; de même elles pourront intégrer des approches innovantes qui interrogent les narrations dominantes. L’exploration des narrations alternatives et des récits souvent marginalisés peut offrir un éclairage nouveau sur les conséquences des guerres et sur les processus de paix. En intégrant des voix issues de contextes souvent oubliés ou sous-représentés comme celles des femmes, des minorités ethniques ou des populations déplacées, nous pouvons développer une compréhension plus nuancée des défis contemporains liés à la guerre et à la paix. Enfin, si cet appel à contributions vise à susciter un dialogue interdisciplinaire, il ne se limite pas aux conflits armés traditionnels, mais inclut également les luttes sociales, économiques et environnementales.
Modalités de soumission
- Les chercheurs, enseignants et doctorants (en Lettres, en sciences humaines et sociales mais pas exclusivement) sont invités à soumettre des articles originaux en arabe, en anglais ou en français.
- Leurs contributions peuvent également prendre la forme d’études de cas, d’analyses critiques ou de recensions d’ouvrages en lien avec le thème proposé.
- Les propositions doivent comporter environ 500 mots incluant le titre de l’article, l’axe choisi, une présentation de la problématique ainsi que la méthodologie employée, accompagnées des principales références bibliographiques.
- Les propositions doivent être envoyées à l’adresse suivante : cahiers.tunisie@fshst.rnu.tn
- Les échéances pour la publication du numéro se présentent comme suit :
o Date limite pour la soumission des propositions d’articles : le 20 décembre
o Date de la réponse du comité de lecture : avant le 30 décembre 2024
o Date limite pour la soumission des articles complets mis aux normes de la revue selon une charte qui sera préalablement communiquée aux contributeurs : le 28 février 2025.
o Publication de la revue : en juin 2025.
Sélection des articles
Chaque proposition sera évaluée par le comité de rédaction des Cahiers de Tunisie selon des critères de rigueur scientifique, d’originalité et de pertinence par rapport à la thématique du numéro. Nous espérons que ce numéro sera une occasion propice pour susciter des réflexions approfondies sur le thème Guerre et paix et pour promouvoir un dialogue scientifique interdisciplinaire entre diverses perspectives théoriques et contextes géographiques.
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Les Cahiers de Tunisie is pleased to announce a call for papers for an upcoming volume entitled War and Peace (issue 234). The chosen theme is particularly relevant in the current context. Indeed, the ongoing conflict in Palestine, highlights how war and peace are often intertwined within complex geopolitical dynamics, raising fundamental questions about the "legitimacy" and justifications of wars, whether viewed through the lens of international law or simply basic human rights. This issue aims to explore the various historical, philosophical, socio-political, and cultural dimensions of war and peace through an interdisciplinary approach, integrating the humanities as well as social sciences, while not limiting itself to these fields. It is worth noting that, in keeping with its tradition, this issue of Les Cahiers de Tunisie will include a "Varia" section to welcome contributions on a wide range of diverse topics.
From this multidisciplinary perspective, limiting the analysis solely to armed conflicts or colonial wars would be restrictive. Instead, examining other forms of struggle and analyzing their justifications and implications will allow for a deeper understanding of the underlying causes of wars and the evolution of their manifestations in political, economic, social, ethical, and artistic terms. This approach seeks to identify the constitutive factors of conflicts and to explore the complex relationships between war and peace. The works of Edward Said, particularly in Orientalism, offer relevant insights into how war and peace are often experienced asymmetrically, depending on the cultural and political perspectives of the conflict and/or peace actors. Said, by focusing on the construction of the Other and imperialist dynamics, emphasizes that conflicts are not exclusively about armed confrontation; they can also be fierce ideological battles aimed at the cultural and symbolic domination of some at the expense of others.
From this standpoint, war, like any form of struggle, ca be seen as a failure of peace and reason, but it can also be considered as a historical or biological necessity. Whether war is defined as the absence of peace or as a natural phenomenon with potentially positive aspects, it is crucial to develop a rational discourse on war, if only to deconstruct its violence. The discourse on peace, on the other hand, is intended to be both critical and constructive. It can serve to denounce conflicts while establishing a normative ideal of peace. However, it is important to ensure that this discourse is neither misleading nor ideological. Peace should not be confused with a form of oppressive power that could lead to renewed conflict.
The issues raised by the theme "War and Peace" are numerous and touch upon concepts such as conflict, legitimacy, collective memory, and cultural identity. The aim is to question how societies, confronted with the aftermath of war, reconstruct their identity. It also involves studying the dynamics of power and representations of war in political and media discourses, as well as examining how literary and artistic works bear witness to individual and collective struggles.
Literary and artistic representations
How do writers, poets, and artists interpret these opposing realities of war and peace? Literature, which is often described as the mirror of human conflict, portrays war not only as a battlefield but also as an exploration of heroism, sacrifice, and human tragedy. Works such as The Iliad exemplify how war narratives shape our understanding of fundamental human values. Virginia Woolf, in Mrs. Dalloway, reflects on the psychological aftermath of World War I on individuals, illustrating how collective memory influences our understanding of peace and how war traumas linger in the daily lives of survivors. This literary approach can be connected to contemporary theories of collective memory and its impact on national identity. Contributions could also explore the resources that cinema and the visual arts bring to bear on these representations.
Philosophy and ethics
The dialectic of war and peace invokes other dialectics, notably the notion of just and unjust wars, as conceptualized by philosopher Michael Walzer. An analysis of the ethical norms governing armed conflict raises crucial questions about the legitimacy of military interventions during humanitarian crises, international humanitarian law, and the moral and ethical implications of both the actions taken and the lack of intervention by the "free world" in protecting the vulnerable. Does the discourse on war thrive on the silence of nations? While international law may not fully address these questions, it does hold international actors accountable for their moral responsibilities.
Cultural and identity dimensions
How do conflicts influence cultural identities? Collective memory of wars can contribute to peace or, conversely, to lasting divisions within societies. Studies on the Maghreb, for instance, can shed light on these issues, particularly through the analysis of historical narratives that shape national identity. Research on nationalism and its relationship to armed conflicts is essential to understand how cultural identities are often constructed in response to perceived threats. Additionally, it would be interesting to examine how continuous conflict experiences shape identities. Personal and collective narratives play a fundamental role in identity construction as well as in fostering mutual understanding between peoples.
Psychological and social dimensions
Researchers are also invited to examine how societies address post-war reconciliation, for instance, through peace-building processes in post-apartheid South Africa, post-genocide Rwanda, post-civil war Lebanon, and Palestine. Such studies offer valuable insights into how societies attempt to rebuild national identities while coming to terms with their traumatic pasts. Research on the psychological impact of prolonged conflicts can provide an in-depth understanding of the challenges these societies face in their quest for peace.
Geopolitical approaches
To what extent does contemporary geopolitics redefine the boundaries between war and peace? Neorealism research examines how states navigate between cooperation and conflict in a globalized world. Theorists such as Kenneth Waltz have argued that the international system encourages states to act primarily out of national interest, often at the expense of peaceful solutions. Contributions could also explore the often-criticized role of international organizations in promoting peace, with the UN and the Security Council serving as prime examples. In the context of the most recent armed conflicts, for example, it would be relevant to study international interventions and their influence on the course of conflicts. What are the geopolitical implications of regional alliances? How do these dynamics affect the prospects for lasting peace?
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The 234 issue of Les Cahiers de Tunisie thus aims to encourage a diversity of perspectives to enrich the debate on war and peace. Without limiting itself to the themes outlined above, contributions may reflect varied historical and cultural experiences and include innovative approaches that challenge dominant narratives. Exploring alternative narratives and often marginalized voices may provide new insights into the consequences of war and peace processes. By including voices from often overlooked or underrepresented contexts, such as those of women, ethnic minorities, or displaced populations, we can develop a nuanced understanding of contemporary challenges related to war and peace. Finally, while this call for papers aims to foster interdisciplinary dialogue, it extends beyond traditional armed conflicts to include social, economic, and environmental struggles.
Submission guidelines
Researchers, teachers, and doctoral students (in the humanities, and social sciences, but not limited to these fields) are invited to submit original articles in Arabic, English, or French.
Submissions may also take the form of case studies, critical analyses, or book reviews related to the proposed theme.
Proposals should be approximately 500 words long, including the title of the article, the chosen theme, a presentation of the research question, as well as the methodology used, along with primary bibliographical references.
Proposals should be sent to the following address: cahiers.tunisie@fshst.rnu.tn
Deadlines for the issue are as follows:
Deadline for proposal submission: December 20, 2024
Notification of acceptance by the editorial board: by December 30, 2024
Deadline for submission of complete articles, formatted according to the journal's guidelines (which will be provided to contributors): February 28, 2025
Publication date : June 2025
Selection of articles
Each proposal will be evaluated by the editorial board of Les Cahiers de Tunisie based on scientific rigor, originality, and relevance to the issue’s theme. We hope that this issue will provide an opportunity for in-depth reflections on War and Peace and to promote an interdisciplinary scholarly dialogue across diverse theoretical perspectives and geographical contexts.