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Appels à contributions
La recherche sensible (revue Inter-lignes)

La recherche sensible (revue Inter-lignes)

Publié le par Marc Escola (Source : Olivier Damourette)

Dans le cadre de son prochain dossier thématique à paraître au printemps 2025, la revue Inter-Lignes lance un

Appel à contributions sur le thème de « La recherche sensible »

Il existe une croyance selon laquelle la recherche universitaire est une recherche objective, soumise à la neutralité du chercheur, laquelle neutralité assure la rigueur des processus de recherche et garantit la qualité des travaux. La sphère émotionnelle du chercheur, qui peut présider au choix conscient ou inconscient de ses objets d’étude, tout comme aux diverses méthodes qu’il emploiera, est rarement évoquée, encore moins étudiée. 

L’aspect intime de la recherche ne semble pas avoir droit de cité à l’Université. L’espace académique ne souffre pas l’intimité du chercheur. 

Or, depuis au moins les travaux de Donna Haraway (Haraway, 2007) une pensée selon laquelle l’objectivité et la rigueur scientifique du chercheur sont insuffisantes, voire contre-productives, a été théorisée. Haraway affirme ainsi que pour échapper à l’asphyxie académique, il faut au contraire engager le « sujet-chercheur ». De là l’autothéorie, (Papillon, 2021) qui analyse la multiplicité des liens entre l’intime et la théorie. 

Nous nous proposons ici de nous focaliser sur les émotions, les sensations dans la pratique de la recherche, pour dire leur pouvoir heuristique ou au contraire mystifiant.

Jean-Pierre Richard énonçait déjà la prédominance du sensible dans l’acte d’écriture. « Tout commence par la sensation. Aucune idée innée, aucun sens intime, aucune conscience morale ne préexistent dans l’être à l’assaut des choses » (Richard, 1954). La sensation dans le texte littéraire devient un effort d’intelligence amenant le lecteur vers la connaissance de l’œuvre. Dans cette façon d’appréhender les choses les sensations sont à la base non seulement de la création littéraire mais aussi de la critique elle-même. 

Ainsi, si l’esthésiologie (ce qui traite des sensations, au vécu sensible et à sa mise en discours) est appliquée aux auteurs, il parait légitime aujourd’hui d’engager une réflexion sur l’appropriation du sensible dans le champ de la recherche elle-même. En effet, loin d’être un frein, les émotions proposent des approches alternatives, réconciliatrices entre différentes méthodologies de recherche, comme le montrent Bouju et Gefen (2013).

L’objet est d’autant plus délicat (et donc intéressant) que notre propre sphère émotionnelle est potentiellement rétive à notre analyse. Nous proposons ainsi quelques pistes de réflexion qui ne prétendent pas à l’exhaustivité : 

-              Dans quelle mesure nos émotions influent-elles sur nos objets de recherche, nos corpus et nos stratégies d’élucidation ? L’émotion est-elle point de départ ou intervient-elle en cours de recherche ? Petit explore par exemple l’itinéraire émotionnel du chercheur. (Petit, 2022)

-              Dans quelle mesure et à quel moment le chercheur a-t-il conscience du rôle de ses émotions ? Une conscience aiguisée du dialogue émotionnel avec son objet d’étude n’entrave-t-elle pas la qualité du travail ? A l’inverse, une prise de conscience à rebours de la relation entre l’intime et l’extime (entendons ici par « extime » le fruit du travail du chercheur livré au monde académique), c’est-à-dire une non-conscience de son engagement émotionnel durant la phase de recherche, est-elle possible ? Et si oui, que dit-elle ?

-              Comment concilier une vision normative de la recherche et son propre rapport au monde, plus intuitif, plus sensible ? Par exemple, sur le plan universitaire, que faire des remarques, voire des critiques ou « barrières » qui jalonnent le parcours du chercheur sensible ? (incitation à revenir à une recherche « sérieuse », refus de publication…) Sur le plan personnel, comment vivre ce décalage avec ses collègues, voire l’humiliation ressentie ?

-              S’il faut faire la part belle au sensible, comment ne pas se laisser déborder voire fourvoyer dans son travail de chercheur par ses propres émotions ? L’historienne Arlette Farge souligne pour sa part que « l’émotion n’exclut pas la raison ». (Farge, 2013) En d’autres termes faut-il avoir recours à la fois à des méthodologies de recherche plus traditionnelles pour éviter les écueils des émotions ? mais quelles méthodes peuvent cohabiter efficacement avec les émotions et à quel dosage si l’on ne veut pas se trahir ? 

-              D’ailleurs, le maintien d’une distance adéquate entre l’objet d’étude et son histoire personnelle est-elle seulement souhaitable ? La production d’un savoir nouveau ne dépend-elle pas justement d’une attention sans limites à ses émotions ?

-              Comment le sensible participe-t-il d’une « rencontre », au sens où l’entend Deleuze (sentir est avant tout rencontrer), entre un auteur et le chercheur ? Quelles formes peut prendre cette rencontre ? (Dialogue consensuel, confrontation… ?) De même, une recherche sensible est intrinsèquement liée à une déterritorialisation des disciplines, à une dynamique qui lutte contre toute systématisation totalisante. Ainsi, toute discipline peut-elle être convoquée pour mieux comprendre (prendre avec soi) l’objet de sa recherche ?

En définitive, nous souhaitons recueillir votre expérience, vos réflexions sur la relation émotionnelle que vous entretenez avec votre sujet de recherche, quel qu’il soit. Si l’on ne peut faire l’impasse sur le biographique, celui-ci devra toujours être rattaché à votre posture de chercheur, pour dire la valeur heuristique ou encombrante de vos émotions. 

Ainsi, il sera possible de cerner la place des émotions dans votre itinéraire de chercheur, de mesurer la conscientisation de vos émotions, d’évoquer les entraves académiques liées à ce type de recherche, d’aborder les mariages possibles entre une recherche sensible et les autres méthodologies, les autres disciplines, de réfléchir à ce que dit cette rencontre entre deux individus sensibles : l’auteur et le chercheur. 

Bibliographie indicative

BOUJU E., GEFEN A. (dir.), 2013, L’émotion, puissance de la littérature ? Presses universitaires de Bordeaux.

DAVID J., 2015, « Engagement (ontologique) », dans BOUJU E. (dir.), Fragments d’un discours théorique : Nouveaux éléments de lexique littéraire, Éditions Cécile Défaut, p. 63-87.

FARGE A., 2013, « La part de l’émotion », Socio-anthropologie, no 27, p. 99-101.

HARAWAY D., 2007 [1988], « Savoirs situés : la question de la science dans le féminisme et le privilège de la perspective partielle », Manifeste cyborg et autres essais, Exils Éditeurs. 

PAPILLON J., 2021, « Autothéorie », dans BOUJU E. (dir.), Fragments d’un discours théorique : Nouveaux éléments de lexique littéraire, Éditions Cécile Défaut, p. 27-43.

PETIT E., 2022, Science et émotion. Le Rôle de l’émotion dans la pratique de la recherche, Éditions Quae.

QUÉRÉ L., 2021,  La Fabrique des émotions, Presses Universitaires de France.

RICHARD J-P, 1954, Littérature et sensation, Editions du Seuil.

TCHOLAKOVA A., 2021, « Composer avec les émotions : réfugiés et chercheuse dans la relation d’enquête », HÉAS S., ZANNA O. (dir.), 2021, Les émotions dans la recherche en sciences humaines et sociales. Épreuves du terrain, Presses universitaires de Rennes. 

Les articles en français, anglais ou espagnol ne dépasseront pas 30 000 caractères (espaces, notes, notice biographique et résumés inclus) en caractères Times New roman 11 pour le corps du texte et Times New Roman 9 pour les notes de bas de page.

Ils devront être accompagnés d’une notice de l’auteur de 500 caractères maximum, ainsi que de trois résumés (avec 5 mots clés) en français, anglais et espagnol de 500 caractères chacun.

Charte typographique disponible sur demande.

Les propositions devront être adressées avant le 20 février 2025 (pour parution au mois d’avril 2025) par mail à :

Olivier Damourette : olivier.damourette@ict-toulouse.fr

Marie-Christine Seguin : 162059@ict-edu.fr

Eric Hendrycks : 162045@ict-edu.fr

Les textes proposés feront l’objet d’une double évaluation à l’aveugle

Les articles incomplets ne seront pas examinés par le comité de lecture

Revue Inter-Lignes

Institut catholique de Toulouse

31 rue de la Fonderie

31000 Toulouse

Responsables de la revue

Directeur de la publication : Olivier Damourette

olivier.damourette@ict-toulouse.fr

Directrice de la rédaction : Marie-Christine Seguin

162059@ict-edu.fr

Url de référence : https://www.puict.fr/interlignes

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Présentation de la revue

La revue Inter-Lignes s’inscrit dans les champs disciplinaires des sciences humaines et sociales, les arts, les lettres, la linguistique ou encore les études cinématographiques. La revue est étroitement associée à l’unité de recherche Céres à travers sa thématique de recherche N°1, « Culture, Herméneutique et Transmission ».

Elle privilégie donc les articles qui s’appuient sur des recherches scientifiques dont l’objectif est d’éclairer des sujets liés aux problématiques des SHS et connexes.

Inter-Lignes publie deux numéros par an. Ils sont thématiques (avec l’élection d’un dossier) et complétés par des varia et des recensions auxquelles s’ajoutent trois rubriques (actualités francophones, cinéma et une sitographie recensant les meilleurs sites sur la question traitée).

Si les articles des numéros thématiques sont coordonnés et articulés par le rédacteur, les varia sont gérés par le comité de rédaction et peuvent être insérés dans n’importe quel numéro.

Elle se veut donc un espace d’échanges et un outil au service des chercheurs.