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"Les bibliothèques de Senghor", par Claire Riffard (en-attendant-nadeau.fr)

Publié le par Marc Escola

Le 16 avril 2024, devait se tenir, à l’Hôtel des ventes de Caen, la mise aux enchères d’une partie de la bibliothèque personnelle du poète-président Léopold Sédar Senghor – un ensemble de 1 200 ouvrages, dont 343 comportant des envois autographes. L’alerte donnée par les chercheurs du Groupe international de recherche Senghor, relayée par une forte mobilisation sur les réseaux sociaux et par des tribunes de personnalités, tant en France qu’au Sénégal, a permis d’obtenir une réaction rapide des nouvelles autorités sénégalaises pour stopper la vente. L’ensemble des ouvrages vient d’être acheté par l’État du Sénégal et pourrait constituer le noyau symbolique de sa future Bibliothèque nationale. Pourquoi la préservation de cette bibliothèque revêt-elle une telle importance ?

"Les travaux de l’ITEM l’ont abondamment montré, l’étude des bibliothèques d’écrivains peut se révéler d’une très grande richesse pour approfondir l’analyse des processus de création littéraire. Dans cette même rubrique « Archives et manuscrits », Jean-Pierre Orban présentait en 2019 la bibliothèque d’André Schwarz-Bar et détaillait l’usage singulier que le romancier faisait des livres des autres, écrivant à même les pages, transformant les livres de sa bibliothèque en carnets, voire en brouillons rédactionnels. L’étude des bibliothèques senghoriennes ne fait que commencer. Une première cartographie permet d’en décrire sommairement les pôles majeurs, certaines ayant été dispersées. 

La première bibliothèque du poète est une sonothèque, bruissante des chants et des poèmes sérères entendus pendant l’enfance villageoise à Joal, auxquels succède l’univers sonore, très prégnant lui aussi, de la liturgie catholique au petit séminaire.  De la bibliothèque étudiante de Senghor, à Dakar puis à Paris, largement partagée avec les amis, seuls quelques volumes sont parvenus jusqu’à nous : un Cicéron annoté (Les Catilinaires), ou encore un roman de Claude McKay de 1934, Banana Bottom, sur lequel Senghor appose sa signature. L’essentiel de sa bibliothèque, Senghor le constitue, jeune professeur puis député (de 1945 à 1960), dans ses appartements parisiens, rue Lamblardie, rue de la Grande-Truanderie, puis square Tocqueville. Jusque récemment, cet ensemble constituait un point aveugle dans la cartographie car deux ensembles massifs, bien plus tardifs, les bibliothèques du président conservées dans ses résidences de Dakar (propriété de l’État sénégalais) et de Normandie (léguée par Mme Senghor à la mairie de Verson), en occultaient l’importance. La vente d’avril 2024 vient opportunément révéler une part de cette bibliothèque de la décennie 1950, si fervente. Une part seulement, mais la plus belle, puisqu’il s’agit de livres soulignés ou annotés par Senghor et de volumes comportant une dédicace de leurs auteurs. À bien des égards, c’est un miroir de la célèbre photographie du premier Congrès des écrivains et artistes noirs de 1956. […]

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