Née le 18 avril 1841 en Dordogne, Georges de Peyrebrune débute sa carrière littéraire à la fin des années 1870 par des textes au caractère provocateur et progressiste : du court texte anticlérical Les Vierges de Feu (1876) au roman Gatienne (1882), relatant le meurtre d’un violeur par sa victime mineure, l’autrice s’immisce rapidement dans les milieux littéraires parisiens. Après les succès de Marco (1882) et de Victoire la Rouge (1883), roman naturaliste sur les malheurs d’une jeune fille victime des lois misogynes, on en vient à déclarer que : « C’est au premier rang dans l’histoire du roman moderne qu’il faudra placer Mme de Peyrebrune1 ». Syndrome de Cassandre ou pas, force est de constater que les paroles d’Eugène Brieux, élu en 1909 à l’Académie française, ne furent pas crues : Georges de Peyrebrune (1841-1917) a été reléguée aux annexes de l’histoire littéraire. Encore bien active dans les dernières années du XIXe siècle, notamment avec Les Ensevelis (1887) et Le Roman d’un bas-bleu (1892), l’écrivaine tombe ensuite dans la pauvreté et l’indifférence.
À l’époque à laquelle écrit Peyrebrune, nombreuses sont les femmes qui se livrent à une pratique assidue, et pour certaines, professionnelle, de l’écriture. De nombreux travaux, dont ceux incontournables de Christine Planté et de Martine Reid, se sont penchés sur la situation de la femme auteur au XIXe siècle. Pourtant, malgré leur présence indéniable sur la scène littéraire et le succès de librairie que nombre d’entre elles connaissent, les femmes qui écrivent se voient reléguées à la pratique de certains genres et styles considérés « naturellement » féminins (Planté, 2015). Elles seraient intrinsèquement douées pour traduire les sentiments et l’intériorité, éloge à double tranchant qui les confine aux « espaces intimes, domestiques et privés » (Planté, 2015) de la littérature, comme le journal intime, la correspondance et certaines déclinaisons du roman (roman sentimental, champêtre…). Parallèlement, les femmes sont découragées d’expression dans la sphère publique et tenues à l’écart des domaines que sont l’histoire, la politique ou encore la religion, ainsi que les genres et mouvements littéraires les plus élevés, comme la poésie ainsi que, plus tard, le réalisme et le naturalisme. Dans les faits, ces contraintes, en partie érigées par le milieu littéraire de l’époque, n’empêchent pourtant pas certaines écrivaines de transgresser sciemment les limites qui leur sont imposées. Elles s’exposent alors à de virulentes critiques et courent le risque d’être exclues des espaces littéraires, au nombre déjà restreint, où leur présence est tolérée (Zanone et Planté, 2018).
Georges de Peyrebrune, écrivaine prolifique parmi tant d’autres à ne pas avoir accédé à la postérité, s’est illustrée dans l’exercice de plusieurs genres littéraires et sous-genres romanesques, y compris certains traditionnellement réservés aux hommes. Par exemple, avec Victoire la Rouge et Les Ensevelis, elle s’inscrit dans une pratique rare, voire unique, d’un naturalisme au féminin. Toutefois, elle ne s’y limite pas, et s’approprie également, tout au long de sa carrière, des thèmes plus traditionnellement féminins (amour, intériorité, rêve…). Sa trajectoire incarne alors parfaitement celle de l’autrice auréolée subissant progressivement la mise en annexe par les mécanismes plus ou moins subtils d’exclusion du champ littéraire : victime de ce « bas-bleuisme » aurevillien et du succès de ses premiers romans, Peyrebrune, si on la mentionne au début du XXe siècle, est majoritairement présentée comme l’écrivaine de Victoire la Rouge ou comme romancière écrivant sur l’amour, cette « seule préoccupation de la femme dans la vie2 ». C’est ainsi que la vision peyrebrunienne du roman comme « but sérieux et utile », « étude âpre et terrible du vrai, du réel, du poignant, afin d’en tirer un enseignement, une clarté peut-être, pour les consciences3 », a été occultée, pour ne retenir de ses romans qu’une « sympathie sentimentale dont notre littérature est prise pour les simples4 ». La pratique littéraire de Peyrebrune, parfois normative, parfois transgressive, lorsque considérée par rapport à la « loi du féminin » (Planté, 2015) qui encercle l’écriture des femmes au XIXe siècle, nous semble un terreau fertile pour étudier la question du croisement entre genre littéraire et gender, entendu comme « identité tissée avec le temps par des fils ténus, posée dans un espace extérieur par une répétition stylisée d’actes » (Butler, 2005, p. 256).
Nous souhaitons d’abord et avant tout orienter ce numéro vers l’étude de l’œuvre de Georges de Peyrebrune, longtemps oubliée par l’histoire littéraire et encore largement sous-étudiée aujourd’hui. En second plan, nous proposons néanmoins d’élargir la réflexion au traitement des thèmes et genres littéraires historiquement « masculins » par des femmes, peu importe l’époque à laquelle elles écrivent. Nous proposons ainsi les pistes de réflexion suivantes, qui ne sont évidemment pas exhaustives :
Étude d’une ou de plusieurs œuvres de Peyrebrune (thèmes, personnages, contexte de rédaction/inspiration, réception critique, etc.
Étude comparative entre l’œuvre/la réception de Peyrebrune et celle d’une autre écrivaine
Étude d’une œuvre écrite par une femme (ou toute personne issue de la diversité sexuelle) et qui présente des considérations particulières quant à l’articulation du genre littéraire et du gender, qu’elles penchent du côté de la normativité ou de la transgression (ou des deux)
Par exemple, étude d’un journal intime ou d’une correspondance dont les sujets dépassent les sphères de l’intériorité et du sentiment
Par exemple, étude des caractéristiques réalistes/naturalistes à l’œuvre dans le roman féminin de la deuxième moitié du XIXe siècle
[1] Eugène Brieux, « Les femmes de lettres modernes », La Patrie, 27 juillet 1885, p. 2, col. 2.
[2] J. Ernest-Charles, « La vie littéraire », La Revue politique et littéraire, 30 mai 1903, p. 28, col. 2.
[3] Georges de Peyrebrune, « Le code pénal et le roman », Paris, 16 décembre 1883, p. 1, col. 6.
[4] Paul Bourde, « Le mouvement littéraire », Le Temps, 22 novembre 1883, p. 3, col. 4.
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Date limite de soumission des propositions : 1er décembre 2024
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La revue accepte également des articles hors dossier, dont la proposition peut être envoyée en tout temps.
Direction du numéro : Florence Verreault et Robin Duclos
Rédacteur·ices en chef : Gabrielle Flipot Meunier et Adrien Savard-Arseneault
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Bibliographie sélective
Bertrand-Jennings, Chantal (dir.), Masculin/féminin. Le XIXe siècle à l’épreuve du genre, Toronto, Centre d’études du XIXe siècle Joseph Sablé, 1999.
Butler, Judith, Trouble dans le genre (Gender trouble): le féminisme et la subversion de l’identité, Trad. Cynthia Kraus, Paris, La Découverte, coll. « Sciences humaines et sociales », 2006 [1990].
Dussert, Eric, « Georges de Peyrebrune, femme de lettres et du peuple », Libération, section Chronique « Fières de lettres » pour la Bibliothèque nationale de France, 2 octobre 2020.
Haro Hernández, Lydia (de), « Mots, couleurs et sens : la palette de Georges de Peyrebrune », Anales de Filología Francesa, no 23, 2015, p. 233-248.
Haro Hernández, Lydia (de), « Georges de Peyrebrune et la cause des femmes », Mujeres de letras : pioneras en el arte, el ensayismo y la educación, Murcie, Université de Murcie, 2016, p. 149-162.
Haro Hernández, Lydia (de), « L’œuvre de Georges de Peyrebrune entre deux siècles. Représentations des identités de genre à la Belle-Époque », thèse de doctorat, Université de Murcie, 2017.
Haro Hernández, Lydia (de), « Écrire l’amour comme moyen de subsistance et de revendication au XIXe siècle. Georges de Peyrebrune et la thématique sentimentale », Çédille, no 15, 2019, p. 241-251.
Haro Hernández, Lidia (de) et Jean-Paul Socard, Défense et illustration des femmes de lettres en France au XIXe siècle (réédition critique du texte de Peyrebrune « Jupiter et les Bas-Bleus » avec une introduction, une biographie, une série de notices), Paris / Alberobello, L’Harmattan / Aga, coll. « L’orizzonte », 2020.
Irvine, Margot, « Une Académie de femmes? », @nalyses, no 2, « Les réseaux des femmes de lettres au XIXe siècle », 2008, p. 14‑24, en ligne, .
Larson, Sharon, « “Elle n’est pas un ‘bas-bleu’, mais un écrivain”. Georges de Peyrebrune’s Woman Writer », Nineteenth-Century Contexts, vol. 40, no 1, janvier 2018, p. 19-31.
Lasserre, Audrey (dir.), « Y a-t-il une histoire littéraire des femmes ? », Fabula-LhT, nᵒ 7, 2010, en ligne, , consulté le 1 novembre 2024.
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Planté, Christine, « Le genre des genres : la romance aux XVIIIe et XIXe siècles », dans Mélody Jan-Ré (dir.), Le Genre à l’œuvre, vol. 1, Paris, L’Harmattan, 2012.
Reid, Martine, Des femmes en littérature, Paris, Belin, coll. « L’extrême contemporain », 2010.
Reid, Martine (dir.), Les femmes dans la critique et l’histoire littéraire, Paris, Honoré Champion, coll. « Littérature et genre », 2011.
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