Ces journées d’études ont pour objectif de mieux comprendre la place de la création poétique et musicale de Leonard Cohen au sein de la modernité, ainsi que la tension entre littérarité affirmée et popularité qui interroge tout à la fois la fabrique du texte et de la musique et leur réception. Malgré sa dimension d’artiste maudit et sa proximité avec des avant-gardes plutôt confidentielles, Cohen est parvenu assez vite au statut de chanteur populaire à l’échelle de la planète. Cette renommée mondiale n’est selon nous pas réductible à quelques « tubes » inspirés et bien diffusés, mais démontre une capacité à articuler de façon singulière une poétique audacieuse et une musicalité puissante, les multiples dimensions de la chanson ayant toujours été indissociables dans une pratique artistique qui est porteuse de divers héritages, parfois très anciens, et qui s’abreuve à divers langages. Enfin, outre les domaines du verbal et du sonore, on notera la prédilection de Cohen pour le champ pictural dans lequel il s’est également illustré en contrepoint des dimensions plus connues de son œuvre.
Même si l’écriture précède le travail musical dans la carrière de Cohen (il a écrit certains poèmes publiés alors qu’il avait entre quinze et vingt ans, et son premier recueil, Let Us Compare Mythologies, paraît en 1956), son activité poétique possède d’emblée une inflexion musicale. Dans Selected Poems 1956–1968 (1968), le mot « chanson » apparaît dans le titre de cinq pièces cependant que deux sont intitulées « Ballade ». L’importance des caractères lyrique, rythmique ou harmonique de la poésie n’est évidemment pas spécifique à Cohen. En revanche, sa conversion systématique de poèmes en paroles de chanson est plus singulière. De même, sitôt qu’il adopte le statut d’artiste-interprète lors des grandes tournées (de 1966 jusqu’aux années 1970), il se met régulièrement à lire ses poèmes en concert.
Les postures d’artiste maudit adoptées par Leonard Cohen, qu’on pourrait aussi bien traiter comme des mises en fiction dramatiques, ont bien souvent incité la critique à juger sa production à l’aune de sa biographie et à attribuer à une humeur dépressive ces évocations musicales de l’abandon, de l’échec et du dégoût de soi. Cohen semble ainsi voué à exprimer la division et la fragmentation intérieure et à exploiter les sentiments dysphoriques comme matériau d’une esthétique. Mais c’est ignorer la part de transvaluation des affects qui s’opère dans son œuvre, qui fait que tout affect négatif est mis en tension avec son opposé. Dès 1966, une notice d’approbation figurant au début de Beautiful Losers présente l’ouvrage comme « une fusion de la sexualité et de la spiritualité, du mystique et du profane, du poétique et de l’obscène… une invitation à jouer à la roulette russe avec un pistolet phallique ». Au sujet de « Suzanne » et de sa prédilection pour les situations d’échec et les humeurs contraires auxquelles il était souvent associé, Cohen observait qu’il s’agissait en dernière analyse d’un morceau dans lequel la solitude et la souffrance du perdant magnifique est transformée en joie. En 1991, il déclarait encore : « On ne s’engage pas dans l’écriture d’une chanson obscure ou détestable… elles commencent toutes par de bonnes intentions teintées de panique. »
On attend des communications proposées qu’elles illustrent la situation paradoxale de Leonard Cohen et de son œuvre, habitée de tensions, de contrastes, de mises à distance, et sa façon unique de traverser les frontières linguistiques, génériques et culturelles. On pourra ainsi tenter d’éclairer l’inscription de l’artiste dans son époque ainsi que les multiples influences qui habitent son œuvre. De même pourra-t-on envisager les adaptations et les réinterprétations dont ses chansons ont toujours fait l’objet, dans le monde francophone ou dans d’autres sphères géographiques et linguistiques, ce qui pourra appeler, entre autres, des considérations d’ordre traductologique. À l’examen de l’ensemble de ce qui constitue cette « seconde main » sonore et verbale pourra s’ajouter la prise en compte de l’iconographie massive suscitée par Cohen et son œuvre.
Dans ces journées pourront ainsi s’exprimer des approches très diverses, et même si l’on attend qu’elles s’inspirent principalement de la poétique et de la musicologie, on pourra considérer les apports de la biographie, de la sociologie de la culture et des cultural studies dès lors que ces champs pourront contribuer à expliquer l’originalité de cet univers, sur lequel les modes ne semblent pas avoir de prise. Le programme inclura un concert, suivi d’une discussion, du trio Secret Chords, formé autour de Lembe Lokk, reprenant le répertoire de Leonard Cohen.
Les personnes intéressées par ce thème et ses différentes déclinaisons sont invitées à envoyer une proposition de communication (en français ou en anglais) d’environ 300 mots accompagnée d’une notice biographique.
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Les propositions sont attendues pour le 12 avril 2025. Elles devront être adressées conjointement aux six responsables de la manifestation :
Nathalie Vincent-Arnaud : nathalie.vincent-arnaud@univ-tlse2.fr
Philippe Birgy : philippe.birgy@univ-tlse2.fr
Jérôme Cabot : jerome.cabot@univ-jfc.fr
Stéphane Escoubet : stephane.escoubet@univ-tlse2.fr
Pierre Soubias : pierre.soubias@univ-tlse2.fr
Jean-Pierre Zubiate : jean-pierre.zubiate@univ-tlse2.fr