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"Je rends chaque coup dans la langue de Césaire". Le texte de rap, entre poésie et récit francophones (Sorbonne Univ., Univ. de Bourgogne, Univ. Libre de Bruxelles)

Publié le par Marc Escola (Source : Florian Alix)

« Je rends chaque coup dans la langue de Césaire »

Le texte de rap, entre poésie et récit francophones

Colloque international

Sorbonne Université / Université de Bourgogne / Université Libre de Bruxelles

« On me tue chaque jour dans la langue de Molière

Je rends chaque coup dans la langue de Césaire »

Kery James, « Le poète noir »

Le rap est un genre musical dans lequel le texte, qui est la responsabilité du MC, est d’une importance cruciale. Très fréquemment, dans les interviews, les rappeur·euses mettent en avant leur activité d’écriture comme partie essentielle de leur art. Nous voudrions par ce colloque rendre compte des phénomènes de continuité qui peuvent exister avec les autres genres poétiques et les genres narratifs des littératures francophones, tout en nous montrant sensibles aux spécificités de l’expression rap. 

Afin d’éviter des approches textualistes qui réduiraient le rap à ses paroles[1], nous souhaitons que la dimension performée et musicale du texte soit prise en compte.  Il nous semble en effet essentiel d’inclure dans toute réflexion sur ce genre cette dimension intermédiale[2]/transmédiale[3], et de faire porter l’analyse à la fois sur le texte, la musique, l’image et les conditions de la performance, voire l’influence des circuits de distribution et de leurs acteurs et actrices[4]. Cette hybridité médiatique du rap est d’autant plus cruciale qu’elle peut amener à le voir comme une « contre-littérature[5] », telle que Bernard Mouralis a établi le terme pour de tout autres corpus. C’est une pratique qui se fait en opposition à la littérature, parce que le rap intègre d’autres procédés d’expression et parce qu’il s’est construit sur une « illégitimité paradoxale »[6] ; mais il ne cesse d’entretenir une relation avec la littérature, soit explicitement en la citant, soit implicitement en adoptant des stratégies d’écriture qui peuvent y faire écho, soit en affirmant ostensiblement ses distances avec une certaine littérature présentée comme canonique. 

Interroger cette relation à la littérature francophone et confronter le rap aux outils d’analyse des études francophones nous semblent ainsi à même de révéler des éléments de continuité et de rupture susceptibles d’enrichir la compréhension des spécificités d’écriture de ce genre, tout en l’inscrivant dans une histoire de la pensée qui ne s’est jamais réduite à l’objet livre. Par exemple, se pencher sur la textualité du rap demande de considérer une hybridité formelle à l’aune d’une histoire culturelle marquée du sceau du politique, toutes choses que les études francophones ont développées au fil de leur évolution. Il ne s’agit donc pas de considérer le rap comme relevant des littératures africaines, caribéennes ou maghrébines, mais d’éprouver l’analyse de la textualité du rap à l’aune de méthodologies francophones, et de voir en retour ce que cette intégration du rap apporte à ces méthodologies. 

Plusieurs axes peuvent être envisagés : 

1)     Le texte de rap, entre récit, poésie et arts de la scène. La forme courte du texte de rap ainsi que sa réalisation orale invitent de prime abord à classer le rap dans le genre poétique, ce qui a pour intérêt de souligner la façon dont les textes de rap travaillent les rythmes des mots et leurs potentialités évocatrices. La trap par exemple propose souvent des textes sans continuité thématique évidente, dans lesquels la rupture syntaxique et thématique met en valeur la capacité d’évocation des termes[7]. Nous espérons des communications qui porteront sur les spécificités poétiques des textes de rap. Pourtant, force est de constater que les textes de rap construisent aussi des récits. Ainsi, la réflexion pourrait concerner la pratique du storytelling dans des albums (JVLIVS de SCH, L’Etrange histoire de Mr. Anderson de Laylow, Lipopette Bar d’Oxmo Puccino, pour ne citer que quelques exemples) ou des morceaux (J’pète les plombs de Disiz, Petit Frère d’IAM, la série des « Enfants du destin » de Médine), pour étudier la façon dont ces formes construisent le récit. Sans chercher à catégoriser les textes de rap, il s’agira de se montrer sensible aux dimensions poétiques et narratives des textes et à leur entremêlement. L’importance des performances scéniques invite aussi à penser l’influence des arts de la scène sur l’écriture, qui pourrait faire l’objet de communication. L’influence de l’évolution des pratiques d’écoute et des supports de diffusion, de la radio aux CD au streaming, sur les pratiques du texte pourrait aussi faire l’objet de communications. On pourrait également réfléchir à divers emprunts à l’esthétique rap, que l’on peut trouver dans des romans, des pièces de théâtre, des arts séquentiels… 

2)     Le texte de rap comme pratique intermédiale. Dans la continuité des travaux sur la place de l’oralité dans les poésies francophones, il pourra s’agir d’étudier la façon dont le texte performé de rap joue de cette oralisation pour produire des formes textuelles nouvelles. On pourra ainsi s’intéresser à des morceaux dans lesquels le texte tient a priori une place minime, se réduisant à l’évocation disparate de thèmes et faisant la part belle aux répétitions, pour voir comment l’intérêt du texte peut tenir dans son oralisation et dans sa mise en musique, voire dans sa possible dramatisation[8]. On appréciera particulièrement les communications inscrivant ces pratiques de l’oralité dans la continuité d’autres pratiques poétiques francophones, ou en opposition avec elles. 

3)     Les références du texte de rap. L’inscription du rap dans les poétiques francophones tient aussi aux choix des références : les travaux de Virginie Brinker ont d’ores et déjà montré la façon dont certains rappeurs et rappeuses citent les penseurs des études francophones[9], et Bettina Ghio a révélé la place de la culture littéraire scolaire dans les textes de rap[10]. Reste à étudier la façon dont le texte de rap construit des systèmes de références piochant dans divers domaines des cultures populaires, films, séries, sports, pour construire des identités francophones ouvertes à des influences mondialisées. Il ne s’agit sans doute pas uniquement de chercher une légitimité littéraire qui se ferait par clins d’œil – geste susceptible de reconduire une hiérarchisation des genres que nous souhaitons éviter – que de déplacer les références en les reconfigurant. On pourrait ainsi interroger la place des mémoires afro-descendantes et des cultures afro-américaines par l’étude des références choisies par les rappeurs et rappeuses et lire ce phénomène comme l’ouverture d’un « cosmopolitisme vernaculaire[11] », selon l’expression de Homi K. Bhabha. Dans les textes de rap, on fait allusion à des poètes français en même temps qu’à Frantz Fanon, le tout sur des musiques influencées par exemple par la rumba congolaise. S’ajoutent à ce mélange des références à des productions audiovisuelles diverses, des films de Scorsese aux séries Netflix, pour étudier les passages transmédiaux auxquels se prête le rap.

4)     Texte de rap et persona. Dans la continuité de l’étude de la dimension narrative des textes de rap, on pourrait interroger la façon dont le corps du ou de la MC est travaillé et mis en scène pour produire du récit. Il semble ainsi évident que les rappeuses et/ou les rappeur·ses queer, minoritaires dans le rap comme dans de nombreux genres musicaux, se saisissent des opportunités et des limites imposées par leur genre pour construire des persona spécifiques. De même, les différentes performances de la masculinité[12] s’inscrivent dans la création de persona variées. Et la diversification des esthétiques liées à la pratique du rap conduit aujourd’hui à une pluralité de manières d’être une rappeuse, de Casey à Shay, en passant par Chilla. On pourrait établir le même constat sur la façon dont la race, pensée comme une construction sociale, influe sur les persona produites par les artistes. De plus, ils ou elles en jouent en fonction de positionnements esthétiques, qui dépendent des sous-genres dans lesquels chacun·e cherche à s’illustrer. Ces sous-genres impliquent des thématiques et un ton spécifique et variera ainsi la persona de qui choisit la voix du rap conscient, de la trap, du troll rap, etc. Il faudrait se rendre sensible aux stratégies de l’excès, du second degré, de la farce[13], de la figure du trickster, qui appellent à une réception interprétative des morceaux. Une réflexion sur les dynamiques genrées et racialisées à l’œuvre dans l’invention esthétique de persona sera particulièrement appréciée. 

Comité d’organisation : 

·       Florian Alix, CELLF/CIEF – Sorbonne Université

·       Virginie Brinker, CPTC – Université de Bourgogne

·       Marion Coste, CELLF/CIEF – Sorbonne Université

·       Romuald Fonkoua, CELLF/CIEF – Sorbonne Université

·       Laurence Rosier – Université Libre de Bruxelles

Comité scientifique : 

·       Florian Alix, CELLF/CIEF – Sorbonne Université

·       Francesca Aiuti –Université degli Studi Roma tre

·       Virginie Brinker, CPTC – Université de Bourgogne

·       Marion Coste, CELLF/CIEF – Sorbonne Université

·       Romuald Fonkoua, CELLF/CIEF – Sorbonne Université

·       Anaïs Goudmand, CELLF – Sorbonne Université

·       Magali Nachtergael, Plurielles – Université Bordeaux Montaigne 

·       Laurence Rosier – Université Libre de Bruxelles

·       Serigne Seye –Université Cheikh Anta Diop

·       Cyril Vettorato, Cerilac – Université Paris Cité 

Calendrier :

Date limite de soumission des propositions : 20 décembre 2024. 

Les propositions, d’une limite de 300 mots, seront accompagnées d’une brève notice bio-bibliographique. Elles seront envoyées à l’adresse suivante : rapsucolloque@gmail.com

Retour sur les propositions : début avril 2025. 

Date du colloque : 20-21-22 novembre 2025.

— 
[1] Emmanuelle Carinos et Karim Hammou, « Approches du rap en français comme forme poétique », in Stéphane Hirschi, Corinne Legoy, Serge Linarès, Alexandra Saemmer et Alain Vaillant (dir.), La poésie délivrée, Nanterre, Presses universitaires de Paris Nanterre, 2017, p. 269-284.
[2] Karim Hammou, Une histoire du rap en France, Paris, La Découverte, 2012 ; Magali Nachtergael, Poet against the machine : une histoire technopolitique de la littérature, Marseille, Le Mot et le reste, 2020 ; Irina Rajewsky, « Le terme d’intermédialité en ébullition : 25 ans de débat », in Caroline Fischer (éd.), Intermédialités, Paris, SFLGC, 2015. 
[3] Rémi Besson, « Prolégomènes pour une définition de l'intermédialité à l'époque contemporaine », 2014, HAL, https://univ-tlse2.hal.science/hal-01012325v2, consulté le 28 juin 2024. 
[4] Keivan Djavadzadeh, Hot, cool and vicious : genre, race et sexualité dans le rap états-unien, Paris, Les Prairies ordinaires, 2021. 
[5] Bernard Mouralis, Les Contre-littératures, Paris, Hermann, coll. « Fictions pensantes », 2011 [1975].
[6] Karim Hammou, Une Histoire du rap en France, op.cit., p. 12. Voir aussi : Séverin Guillard et Marie Sonnette, « Légitimité et authenticité du hip-hop : rapports sociaux, espaces et temporalités de musiques en recomposition », Volume !, 17 :2, 2020 :2, p. 7-23.
[7] Juliette Hubert, Esthétique de la rupture comme engagement, du corps au lyrisme, dans le rap et la pop urbaine depuis les années 2000, thèse en préparation, sous la direction de Stéphane Hirschi et Serge Lacasse, Université Polytechnique Hauts de France et Université Laval. 
[8] Voir Cyril Vettorato, Un monde où l’on clashe : la joute verbale d’insulte dans la poétique de rue, Paris, Éditions des Archives contemporaines, 2018. 
[9] Virginie Brinker, « Héritages de Césaire, Fanon et Glissant : enjeux politiques et identitaires des références », in Emmanuelle Carinos et Karim Hammou (dir.), Approches formelles des musiques hip-hop, Presses universitaires de Provence, coll. Chants Sons, 2020 ; « Rap français, vers une poéthique cosmopolite », in Guillaume Bridet, Virginie Brinker, Sarah Burnautzki et Xavier Garnier (dir.), Dynamiques actuelles des littératures africaines : panafricanisme, cosmopolitisme, afropolitanisme, Paris, Karthala, 2018, p. 259-270 ; « Actualité de la pensée de Fanon dans le rap de Casey », Mouvements, n° 96, 2018, p. 36-42.
[10] Bettina Ghio, Sans faute de frappe : rap et littérature, Marseille, Le Mot et le reste, 2016. 
[11] Homi K. Bhabha, Les Lieux de la culture, trad. Françoise Bouillot, Payot & Rivages, coll. « Petite biblio Payot », 2019 [1994], p. 17-22. 
[12] Marion Dalibert, « Les masculinités ethnoracialisées des rappeur.euse.s dans la presse », Mouvements, n° 96, 2018, p. 22-28. 
[13] Voir Cyril Vettorato, Un monde où l’on clashe : la joute verbale d’insulte dans la poétique de rue, op.cit.