Colloque international organisé par Guillaume Linte et Dorine Rouiller
Université de Neuchâtel, Faculté des lettres et sciences humaines Fonds national suisse de la recherche scientifique
13-14 mars 2025
(IN)HABITABILITÉS
Écrire les environnements extrêmes de l’expansion océanique à l’exploration spatiale
Ce colloque étudiera les conceptions et représentations des “environnements extrêmes” du 15e au 20e siècle à travers une approche interdisciplinaire au croisement de la littérature et de l’histoire. À l’heure de l'anthropocène, des vols spatiaux habités et de l’exploration des abysses, ce sujet soulève des questions d’une actualité brûlante. Une perspective de longue durée permet de saisir l’évolution des savoirs et des représentations qui ont porté sur les extrêmes au fil du temps. Nous souhaitons interroger cette question dans le détail des textes, qu’ils soient littéraires, scientifiques ou encore techniques. Écrire les environnements extrêmes, réels comme fictifs, passe en effet par deschoix génériques, formels et rhétoriques qui participent pleinement de l’évolution des représentations.
Les environnements dont il sera question ici s’entendent comme des espaces ou des lieux conçus comme “extrêmes” en raison de leurs caractéristiques particulières. C’est donc un objet à la fois socialement, culturellement etscientifiquement construit, dépendant du point de vue de l’individu ou du groupe humain qui l’observe. Il s’agiranotamment d’analyser l’évolution du rapport des sociétés à la notion d’(in)habitabilité, durant une période marquée par des bouleversements majeurs dans l’histoire européenne et mondiale : l’expansion océanique, la colonisation, les voyages d’exploration vers les pôles, l’industrialisation, la conquête spatiale, etc. Comment se sont (re)configurés nos rapports aux environnements proches et lointains jugés “extrêmes”, voire inhabitables ? De quelle manière ces derniers ont-ils été décrits, conçus ou imaginés par les géographes, voyageurs ou auteurs de fictions depuis le 15e siècle ?
Nous invitons à explorer cette problématique à travers quatre principaux axes de recherche :
1. Définir et délimiter les extrêmes. La définition d’un environnement ou d’un lieu comme extrême peut être le fait d’une caractérisation savante, fondée sur des mesures, expérimentations et observations (Pfäffli, 2021). Elle peut également être régie par une expérience sensible et subjective, ou encore être le fruit d’une projection imaginaire (Bertrand et al., 2020). Cet axe souhaite explorer la diversité des critères retenus par les auteurs pour déterminer le caractère extrême d’un milieu. Quels sont les paramètres évalués ? À partir de quelles normes ? Sur quelles bases théoriques ou empiriques ? La notion d’habitabilité et ses évolutions au fil du temps seront au centre de notre réflexion. Il s’agira ainsi de comprendre comment le concept d’extrême s’articule à la question de la viabilité d’une région, d’un espace ou d’un lieu.
2. Narrativiser l’expérience des extrêmes. Les traités géographiques anciens, la littérature ou les œuvres descience-fiction ont souvent projeté un regard préalable aux entreprises humaines sur des espaces tenus pourinaccessibles ou inhabitables : Jean de Sacrobosco et Albert le Grand pour la “zone torride” au 13e siècle(Gautier Dalché, 2017) et, pour l’espace et la lune, Giordano Bruno, Savinien de Cyrano de Bergerac ou encore Jules Verne. D’autres écrits s'appuient quant à eux sur la fréquentation directe ou indirecte desenvironnements extrêmes, donnant lieu à des récits de voyage et traités savants (Rouiller, 2021). Nous souhaitons ici analyser les différentes formes de mise par écrit d’expériences (réelles ou fictives) d’exploration, de conquête, de colonisation, de séjour ou d’établissement dans les milieux extrêmes.
3. Santé et “conquête” des extrêmes. La notion d’habitabilité est intimement liée à celle de santé, et les “environnements pathogènes” (Linte & Tortosa, 2023) forment un pan important de la définition des environnements extrêmes. L’expansion océanique et la colonisation européenne ont notamment entraînél'émergence de savoirs, de pratiques et de techniques plaçant les enjeux sanitaires au cœur des préoccupations(Anderson, 2006). La “conquête” d’un environnement extrême dépend avant tout de la capacité de maintenir en santé, sinon en vie, les individus qui l’entreprennent. Qu’elle soit coloniale, maritime ou spatiale, lamédecine a ouvert des champs de spécialisation sur les environnements extrêmes depuis l’époque moderne. Elle n’a cependant pas le monopole de la santé : les savoirs profanes ou empiriques la précèdent bien souvent (Earle, 2012). Cet axe prendra donc la santé comme prisme d’appréhension des environnements extrêmes sans en limiter la définition à la seule médecine.
4. Le genre des extrêmes. Quelle est la place des rapports de genre dans les conceptions des environnements extrêmes ? Les femmes ont été largement marginalisées, voire exclues, des entreprises visant à explorer les extrêmes : on compte, par exemple, seulement une soixantaine d'astronautes femmes pour plus de 500hommes, tandis qu’elles sont presques inexistantes dans les projets d’exploration des pôles entre le 18e et le 20e siècle. Cependant, elles ont été partie intégrante de certaines activités humaines liées à des environnements jugés “extrêmes”, telles que la colonisation. Des discours et des pratiques ont ainsi émergé autour du genre (Bourguinat, 2008). Au 18e siècle, par exemple, les corps féminins étaient considérés, par les médecins européens, comme étant mieux à même de s’acclimater à la “zone torride” que ceux des hommes(Dorlin, 2009). Cet axe pourra accueillir toute étude sur le rapport au genre dans l’histoire et la culture écrite liées aux milieux extrêmes.
Toute autre proposition ne trouvant pas sa place dans l’un de ces quatre axes et offrant un éclairage sur la question des environnements extrêmes est bienvenue. Nous encourageons aussi les contributions permettant une ouverture au-delà de l’Europe et se dégageant d’un point de vue occidentalo-centré. Sans partir d’une définition préalable des environnements extrêmes, nous serons sans cesse amené-e-s à la repenser, selon les textes et contextes envisagés. En d’autres termes, la relativisation du concept d’extrême sera pour nous essentielle.
—
Les communications, de vingt minutes, donneront lieu à une contribution dans l’ouvrage collectif qui suivra l’évènement. Les articles (40’000 signes max. espaces comprises) seront à envoyer pour le 30 juin 2025.
Les abstracts, à envoyer avant le 30 septembre 2024 à Guillaume.Linte@gmail.com et Dorine.Rouiller@unine.ch, devront prendre la forme d’un texte de 500 mots au maximum, précisant la problématique, le type d’’approche et les sources employées. Merci également de joindre une courte présentation bio-bibliographique.
—
Bibliographie sélective
Anderson, Warwick, Colonial Pathologies. American Tropical Medicine, Race, and Hygiene in the Philippines, Durham & London, Duke University Press, 2006.
Bertrand Gilles, Chartier Daniel, Guyot Alain, Mossé Marie & Spica Anne-Elisabeth (dir.), Voyages illustrés aux pays froids (XVIe-XIXe siècle). De l'invention de l'imprimerie à celle de la photographie, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise Pascal, 2020.
Bourguinat Nicolas, Le voyage au féminin Perspectives historiques et littéraires (XVIIIe-XXe siècles), Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, 2008.
Dorlin Elsa, La matrice de la race. Généalogie sexuelle et coloniale de la Nation française, La Découverte, 2009.
Earle, Rebecca, The Body of the Conquistador: Food, Race and the Colonial Experience in Spanish America, 1492-1700, Cambridge, Cambridge University Press, 2012.
Gautier Dalché Patrick, “Un débat scientifique au Moyen Âge : l’habitation de la zone torride (jusqu’au XIIIe siècle)”, in Topoi. Orient-Occident. Supplément 15, 2017, p. 146-181.
Goul, Pauline & Usher, Phillip John (dir.), Early Modern Ecologies. Beyond English Ecocristicism, Amsterdam, Amsterdam University Press, 2020.
Linte Guillaume & Tortosa Paul-Arthur, “‘The Most Unhealthy Spots in the World’: Thinking, Dwelling In, and Shaping Pathogenic Environments”, Centaurus, vol. 65, n° 1, p. 9-30.
Miglietti, Sara & Morgan, John (dir.), Governing the Environment in the Early Modern World. Theory and Practice, Abingdon & New York, Routledge, 2017.
Pfäffli Lea, Arktisches Wissen: Schweizer Expeditionen und dänischer Kolonialhandel in Grönland (1908–1913), Frankfurt am Main, Campus Verlag, 2021.
Rémy, Frédérique, Histoire des pôles: mythes et réalités polaires, 17e-18e siècles, Paris, Desjonquères, 2009.
Rouiller Dorine, Des airs, des lieux et des hommes: les théories des climats à la Renaissance, Genève, Droz, 2021.