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Faire ou défaire famille (revue Savoirs en lien)

Faire ou défaire famille (revue Savoirs en lien)

Publié le par Marc Escola (Source : Laurence Giavarini)

Faire ou défaire famille

Appel à contributions du numéro 4 de Savoirs en lien

Argumentaire

Pour ce numéro, nous proposons de réfléchir à la manière dont la littérature – loin d’être un simple reflet thématique de ce lieu de vie affective, collective, sociale qu’est la famille – a été bien souvent et est encore, parfois, un élément à part entière de la constitution de la famille comme groupe. En retour, il peut y avoir une « culture familiale » de la littérature et plus généralement de pratiques liées à l’écriture et aux livres (N. Kenny, 2020). Nous proposons donc de réfléchir à la manière dont l’écriture et la littérature ont contribué dans le passé à l’existence de la famille comme groupe et constituent aujourd’hui des modèles ou des contre-modèles mis en circulation dans le monde social et pouvant participer d’une appréciation nouvelle des mœurs. Nous pouvons questionner aussi la manière dont elles ont été et sont encore, pour certains auteurs ou autrices, une voie de la rupture, d’une construction de soi à distance d’un héritage ou de l’ordre social que représente la famille.

L’expression « faire famille », qui apparaît dans le titre de cet appel à contributions, vient de la sociologie du genre et de la sociologie de la famille (G. Richard, 2022, Galabru, 2023). Elle est utilisée aujourd’hui pour analyser les différentes manières de devenir parent (adoption, GPA, homoparentalité, solo ou coparentalité) et de construire le « groupe famille », au-delà de la famille nucléaire hétéronormée biologique. Un intérêt de cette expression est donc qu’elle met en question la naturalité supposée de la famille. C’est à ce titre qu’elle peut intéresser des travaux interdisciplinaires sur la littérature, incluant la linguistique.

Comment, donc, la littérature permet-elle de « faire famille » ou de « défaire famille » ? Une telle question s’inscrit nécessairement dans une réflexion sur ce que la constitution d’un champ littéraire à partir du XVIIe siècle a rendu possible en termes de carrières individuelles (A. Viala, 1985), parfois inscrites dans un héritage familial, parfois coupées de celui-ci, mais elle prend également sens par rapport à la légitimité dont la littérature contemporaine jouit aujourd’hui, dans la recherche comme dans le monde social. Au croisement des études littéraires, de la sociologie, de la linguistique, plusieurs pistes pourront être abordées dans ce numéro :

          * Faire famille avec la littérature : comment, en France et dans les espaces francophones, certaines familles se construisent avec la littérature, autour de la littérature (familles de lettres, familles de lettrés – Anne Wiazemsky/ François Mauriac ; les Bussy-Rabutin / Sévigné pour l’Ancien Régime, les Nothomb aux XXe et XXIe siècles, etc.). Peut-on observer des pratiques familiales avec la littérature ? des pratiques qui consistent à s’écrire des lettres, s’offrir des livres, s’envoyer des billets, archiver des écrits, transmettre bien sûr des écrits pour se perpétuer ? Et comment, dans certains cas, ces pratiques se publient-elles, si tel est le cas, par l’écriture et la littérature, par l’imprimé en particulier ?
On pourra, dans cette perspective, réfléchir à la manière dont certains livres se constituent en « archives familiales », mémoires ou lettres publiés par les descendants, livres réunissant photos, écrits, récits, comment à des époques différentes la littérature est choisie pour garder des traces (L’Art de perdre d'Alice Zeniter) ou pour inscrire, dans une ou des traditions littéraires et religieuses, l’art de retrouver des traces (Les Disparus de Daniel Mendelsohn).

          * Nom du groupe / de l’individu : comment s’articulent une pratique familiale de l’écriture et de la littérature et des régimes de publication indexés sur la « fonction auteur », c’est-à-dire sur la singularité d’un nom ; comment a pu se faire le passage de certains membres de la famille à la publication, à l’institution littéraire ? Cette piste implique les usages du « nom » dans l’espace de la publication, nom patronymique ou nom de seigneurie pendant l’Ancien Régime, nom de famille ou pseudonyme dans la période contemporaine, nom propre ou « impropre » (voir notamment Kripke, 1982 [1972], Noailly, 2000, ainsi que de nombreux travaux de Kleiber) ou stratégies d’évitement du nom. Il s’agit d’envisager le nom d’auteur, non comme une simple « étiquette référentielle » (Mill, 1724), mais comme indice d’appartenance ou de dés-appartenance (à une famille, une lignée ou une certaine vision de la famille), la question pouvant inviter à une approche linguistique ou historique des noms d’auteurs et d’autrices ainsi que leur apparition ou non dans les titres qui les désignent.

          * Façonner le social : comment la littérature contemporaine (mais on peut trouver des exemples dans le passé, dans les vies de religieuses en particulier) propose-t-elle des modèles « alternatifs » de la famille, dénaturalise (tel Sade, qui met à nu – dans tous les sens du terme – l’ordre politique et social de la famille noble) ou au contraire « surnaturalise » la famille ? L’idée ici est que la littérature façonne des représentations (plutôt qu’elle ne les reflète) et qu’un de ses « pouvoirs » est de mettre en circulation des formes anthropologiques du collectif familial, par et pour lui-même ou aux prises avec les institutions. La périodisation joue un rôle important dans une telle perspective. On pourra interroger en ce sens le roman du « héros social » au xixe siècle ; mais aussi des livres récents qui disent la violence dans la famille et se situent par là au cœur d’une révolution des mœurs (La Famiglia grande de Camille Kouchner ; Triste tigre de Neige Sinno).
            La question du nom revient ici encore. Le titre de Little Women de Louisa May Alcott (1868-1869) a été traduit par Les Quatre Filles du Dr March en français (1880) : alors que l’original n’indique à aucun moment le nom du père, les personnages sont directement désignés en tant que filles de dans la traduction française. Dans la même perspective d’une configuration littéraire des rôles sociaux véhiculés par les représentations de la famille, on peut également penser à l’évolution des noms et pseudonymes dans les contes ou la littérature de jeunesse : que deviendraient Cendrillon, Blanche-Neige, Finette Cendron de Mme D’Aulnoy, etc. dans des œuvres plus actuelles ? Dans une optique linguistique on pourra se demander ce que révèle l’évolution morphologique, référentielle voire sémantique et socialement connotative du prénom au sein des familles.

NB : il est également possible de proposer pour ce numéro le compte rendu d'un ouvrage critique (récent ou moins) lié à la question du numéro (la famille), en histoire, lettres, linguistique, sociologie. 

Bibliographie indicative

André Burguière et al. (dir.), Histoire de la famille, Paris, Armand Colin, 1986, 2 vol.

Yohann Deguin, L’Écriture familiale des Mémoires. Noblesse 1570-1750, Paris, H. Champion, 2020.

Nathalie Freidel, Le Temps des « écriveuses ». L’œuvre pionnière des épistolières au XVIIe siècle, Paris, Cl. Garnier, 2023.

Sophie Galabru, Faire famille. Une philosophie des liens, Allary Editions, 2023.

Laurence Giavarini et Camille Nous (dir.), Écriture du groupe, écriture en groupe. Pour une histoire du fait social de la littérature sous l’Ancien Régime, Les Dossiers du Grihl [En ligne], 15-1 | 2022, URL : http://journals.openedition.org/dossiersgrihl/8103

Nicolas Gueguen, Maya Dufourcq-Brana & Alexandre Pascual, « Le prénom : un élément de l’identité participant à l’évaluation de soi et d’autrui », Les Cahiers Internationaux de Psychologie Sociale, n° 65, 2005, p. 33-44.

Kerstin Jonasson, Le nom propre : constructions et interprétations, De Boeck Supérieur, 1994.

Neil Kenny, Born to write. Literary Families and Social Hierarchy in Early Modern France, Oxford University Press, 2020.

Georges Kleiber, Problèmes de référence : descriptions définies et noms propres, Paris, Klincksieck, 1981.

Georges Kleiber, « Sur la définition des noms propres : une dizaine d’années après », Michèle Noailly (éd.), Nom propre et nomination, Paris, Klincksieck, 11-36, 1995.

Georges Kleiber, « Peut-on sauver un sens de dénomination pour les noms propres ? », Functions of Language, 11 / 1, 2004, p. 115-145.

Saul Kripkpe, La logique des noms propres, trad. de Pierre Jacob et François Recanati. Paris, Minuit, 1982 [1972].

Camille Lefebvre, À l’ombre de l’histoire des autres, Pars, Éditions de l’EHESS, 2022.

John Stuart Mill, A System of Logic [1729], Londres, Longman, 1949 [8e édition].

Denise Morel, Porter un talent, porter un symptôme : les familles créatrices, Paris, Éd. Universitaires, coll. Émergences, 1988.

Michèle Noailly, « “Ce même Bajazet” : nom propre et principe d’identité », Lexique, 15, 21-34, 2000.

Gabrielle Richard, Faire famille autrement, Binge Audio Editions, La Collection sur la Table, 2022.

Alain Viala, Naissance de l’écrivain. Sociologie de la littérature à l’âge classique, Paris, Minuit, « Le sens commun », 1985.

Florence Weber, Penser la parenté aujourd’hui, Editions Ulm, 2013.

Soumission et calendrier prévisionnel

Les propositions d’article doivent être envoyées à Laurence Giavarini (laurence.giavarini@u-bourgogne.fr) et Isabelle Monin (isabelle.monin@u-bourgogne.fr).

Date limite d’envoi des propositions : 1er janvier 2025

Remise des articles : mars 2025