Appel à communications du colloque international « Rétif de la Bretonne, George Sand et l’écriture du monde paysan »
Colloque international « Rétif de la Bretonne, George Sand et l’écriture du monde paysan » organisé avec le soutien du CELIS (Université Clermont Auvergne) et de la Société Rétif de la Bretonne les 17 et 18 septembre 2025 à la Maison des Sciences de l’Homme de Clermont-Ferrand.
Chez Rétif de La Bretonne comme chez George Sand, l’écriture du monde paysan s’inscrit dans un projet en rupture délibérée avec les usages littéraires alors dominants. Tout en donnant naissance à des romans et des nouvelles[1], elle étend ses ramifications du côté de l’autobiographie[2], du conte[3], du théâtre[4], des libelles politiques[5] et de textes théoriques – notamment de préfaces qui soulignent son caractère socialement et esthétiquement subversif, mais aussi de courts essais à valeur ethnographique[6].
De fait, tout en s’inscrivant dans une tradition pastorale encore très prisée aux XVIIIe et XIXe siècles[7], les deux écrivains choisissent de placer au cœur de leurs récits respectifs de vrais paysans, dont la représentation se nourrit de leur expérience personnelle. Rétif raconte ainsi dans La Vie de mon père la geste de son père – Edme Rétif – laboureur dans le village de Sacy, en Bourgogne, et s’inspire de sa propre histoire et de celle de sa famille pour camper les protagonistes de ses œuvres rustiques tandis que George Sand revendique volontiers une connaissance directe des modèles de ses personnages, côtoyés aux alentours de sa propriété de Nohant, dans le Berry.
Les implications d’un tel choix sont multiples. Pour Rétif et Sand, il s’agit d’abord de revendiquer la dignité du monde paysan, présenté comme le conservatoire d’une vertu et d’une beauté étrangères au monde moderne. Mais révéler cette beauté suppose l’invention d’une écriture qui rompe avec les conventions littéraires pastorales pour permettre une représentation plus authentique de ce milieu et, tout particulièrement, du langage paysan. Les tentatives de Rétif à cet égard ont paru suffisamment neuves pour que le libraire Delalain l’aîné ait refusé d’éditer Le Paysan perverti sous prétexte « qu’il y avait remarqué des lettres aussi mal écrites que celles d’un paysan, ce qui ne prendrait pas ». George Sand, quant à elle, élabore dans la série d’ouvrages qui composent « Les Veillées du chanvreur », une langue poétique, compromis entre le patois berrichon et la langue parisienne, qui puisse fournir un équivalent littéraire du parler paysan[8]. Au-delà de la langue, d’autres usages et traditions rustiques s’offrent à la plume de Rétif et de Sand, qui, conscients de la fragilité des communautés rurales, s’efforcent de les recueillir pour en transmettre la mémoire : jeux, contes et croyances[9], danses[10] et chansons, cérémonies sont rapportés avec soin, à l’instar des noces berrichonnes qui concluent La Mare au diable ou des veillées qui structurent Les Maîtres sonneurs (1853). Au volet de l’ethnographie correspond ainsi celui de l’imaginaire : « Le paysan est donc, si l’on peut ainsi dire », note George Sand, « le seul historien qui nous reste des temps trans-historiques[11] ».
La rupture induite par les œuvres rustiques de Rétif et de Sand doit être replacée dans leurs contextes idéologiques et politiques respectifs. Revendiquer la beauté du monde paysan questionne les hiérarchies sociales dominantes. Les deux écrivains dénoncent le mépris dont les paysans font l’objet à leur époque en renversant totalement la perspective qui les ravale au plus bas de l’échelle sociale. Mais ce renversement est rendu possible par un contexte favorable – agromanie et mouvement de retour des nobles à la terre à la fin de l’Ancien Régime[12] et révolution de 1848 – qui questionne là aussi le projet littéraire des deux auteurs et la fonction dévolue à leurs représentations de la vie rurale. La prise en compte de la réception des récits rustiques de Rétif et de Sand peut fournir un éclairage intéressant pour rendre compte de l’audace de leur démarche et de leur capacité à faire effectivement évoluer les représentations de la paysannerie française entre 1775 et 1853.
Ce colloque sera l’occasion de mettre en regard deux entreprises comparables quoiqu’aucune influence directe ne puisse être établie entre elles[13]. Les communications pourront envisager les enjeux propres à l’écriture du monde paysan chez l’un et/ou l’autre des auteurs afin de permettre de mieux cerner la singularité de l’entreprise de chacun, ainsi que les points de convergence et les divergences qui existent entre elles.
Les propositions de communications sont à adresser à Pascale Auraix-Jonchière (Pascale.AURAIX-JONCHIERE@uca.fr) et Françoise Le Borgne (Francoise.Le_BORGNE@uca.fr) pour le 2 décembre 2024.
[1] Rétif de La Bretonne, Le Paysan perverti (1775), L’Ecole des pères (1776), La Malédiction paternelle (1780), plusieurs nouvelles des Contemporaines, dont « La femme de laboureur » (1783), La Paysanne pervertie (1784). George Sand, Jeanne (1844), La Mare au Diable (1848), François Le Champi (1848), La Petite Fadette (1848), Les Maîtres sonneurs (1853).
[2] Rétif de La Bretonne, La Vie de mon père (1778 – 2e édition 1788) et les deux premières époques de Monsieur Nicolas (1797). Chez Sand, on trouvera des notations dans Histoire de ma vie (1855) et la Correspondance.
[3] Rétif de La Bretonne, Les Veillées du Marais (1785).
[4] Rétif de La Bretonne, La Prévention nationale (1784) et le début du Drame de la Vie (1793). Pour George Sand, voir les rurodrames (Claudie, 1851 ; Le Drac, 1864…) et le roman dialogué Le Diable aux champs (1857).
[5] Voir George Sand, Lettre d’un paysan de la Vallée Noire – écrite sous la dictée de Blaise Bonnin (1848-1849).
[6] Comme La Vallée Noire (1846, L’Eclaireur de l’Indre) ou Promenades autour d’un village (1857).
[7] Voir Jean-Louis Haquette, Echos d’Arcadie. Les transformations de la tradition littéraire pastorale des Lumières au romantisme, Paris, Classiques Garnier, Perspectives comparatistes, 2009, 409 p.
[8] Les textes préfaciels de ses romans champêtres théorisent cette question fondamentale. Le personnage de Blaise Bonnin, sorte d’alter ego fictif, incarne et suscite cette expérience langagière (voir par exemple L’affaire Fanchette, 1843).
[9] Voir George Sand Légendes rustiques (1858).
[10] Voir notamment Le Meunier d’Angibault (1845).
[11] Légendes rustiques, Saint-Cyr-sur-Loire, Christian Pirot éditeur, 2003, p. 18. Sur ce double plan, voir Simone Bernard-Griffiths, Essais sur l’imaginaire de George Sand, Garnier, 2018, notamment la deuxième partie : « Représentations sociales et ethnographiques », p. 197-369.
[12] Voir Roland Guy Bonnel, Ethique et esthétique du retour à la campagne au XVIIIe siècle. L’œuvre littéraire et utopique de Lezay-Marnésia (1735-1800), New-York, Peter Lang, Eighteenth Century French Intellectual History, 1995, 499 p.
[13] La seule référence rétivienne mentionnée par George Sand est Le Paysan perverti, qu’elle critique dans La Mare au Diable pour son réalisme désespérant.