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Fantômes : rites, mythes et discours (Lyon & revue Textures)

Fantômes : rites, mythes et discours (Lyon & revue Textures)

Publié le par Faculté des lettres - Université de Lausanne (Source : Valentine Piéplu)

Appel à communications pour un colloque

Fantômes : rites, mythes et discours 

La revue Textures (Laboratoire LCE, Université Lumière Lyon 2) organise un colloque qui donnera lieu à un numéro thématique sur la notion de spectralité. Ce projet vise à regrouper des articles de toutes les langues et cultures présentes dans le laboratoire LCE, concernant des travaux littéraires ou civilisationnistes. https://publications-prairial.fr/textures/

En 2009, une étude du Pew Research Center affirmait que 18% des habitants des États-Unis étaient certains d’avoir déjà vu un fantôme et que 51% croyaient fermement en leur existence. Ainsi, au moment même où la société étasunienne entrait dans une nouvelle révolution technologique repoussant les limites cognitives et médicales dans la course vers l’homme augmenté, plus de la moitié des Étasuniens n’avait pourtant pas trouvé dans le discours scientifique la preuve que les morts ne cohabitent pas avec nous. Les plus sceptiques, nourris d’arguments positivistes, n’ont que rarement envie de tenter le sort et de déranger les morts : « Est-ce que je crois aux fantômes ? Non mais j’en ai peur », affirmait, non sans esprit, Mme du Deffand.

Ambivalent car dans un entre-deux tant spatial que temporel qui interroge la frontière du réel, le fantôme représente cette irréconciliable réunion du présent et de l’absent qui ne lui permet, a priori, d’exister qu’en tant qu’expérience de pensée ou dans la fiction et le mythe (politique, littéraire, religieux, psychique). Souvent maudit (les équipages des vaisseaux fantômes sont condamnés à errer indéfiniment), parfois vénéré en tant qu’ancêtre, et dans d’autres cas esprit vengeur, il lui reste toujours quelque chose à régler ou à transmettre dans le monde qu’il a laissé et où il ne compte pas se faire oublier. Les enjeux ne sont pas tant la question de son existence mais plutôt de ses manifestations : présence a priori invisible et inaudible, comment le fantôme se manifeste-t-il (au sens propre ou figuré) par une voix, un discours, un/e imag(inair)e, depuis un espace ou un temps « au-delà » ?

Il n’y a de fantômes que des disparus mais s’il peut s’agir d’une personne, le fantôme peut également être celui d’une idée, d’un texte, d’un discours : il représente la survivance face à la mort, la disparition ou l’oubli. Il est à la fois le spectre, l’âme ou l’esprit ou encore le fantasme. Naturel ou surnaturel ? Condition ou invention humaine ? Né de la crainte ou né du besoin ? La fascination qu’a exercé le fantôme sur toutes les sociétés se glisse entre ces questions sans réponses et pourtant sans cesse répondues par la science, la philosophie, l’art ou la religion.

Par définition, la figure du fantôme est atemporelle et pourtant elle semble surexploitée depuis quelques décennies. Plusieurs séries à succès très récentes la réinventent (The Hunting of Hill House, The Leftovers) et on la retrouve même dans le dessin animé avec Coco ou encore Soul, ainsi qu’au cinéma avec La Llorona ou The Others par exemple. Il est l’une des grandes figures de la littérature contemporaine , comme à travers le personnage éponyme de Beloved (1987) de Toni Morrison. Le fantôme semble avoir un pouvoir infini de métaphores. La hantologie derridienne en particulier a ouvert tout le champ des “Études spectrales”. Pour la théorie littéraire contemporaine, le fantôme fonctionne comme une métaphore très vive, par exemple, de l’intertexte ou du métatexte. La métaphore spectrale est de la même façon invoquée pour parler de la traduction ou de l’histoire.

Nous nous proposons, dans ce colloque, de faire intervenir des communications travaillant différentes disciplines des sciences humaines et différentes aires géographiques et culturelles pour étudier la figure du fantôme sous toutes ses formes, manifestations et représentations (anthropologiques, artistiques, politiques, linguistiques, etc), des fantômes que l’on fabrique aux fantômes qui nous fabriquent. En effet, le fantôme prend forme dans un imaginaire et des imaginations tout comme il donne lui-même forme, cimente des croyances et des pratiques sociales, politiques et artistiques.

Les propositions devront s’intégrer dans sur une période allant du milieu du XVIIIe siècle, c’est-à-dire l’avènement du roman gothique en Occident, d’Horace Walpole à Mary Shelley, jusqu’à nos jours. Si les bornes choisies reflètent une chronologie axée sur une histoire politique, sociale et littéraire européenne, ce colloque invite justement, avec des contributions variées représentant toutes les aires géographiques extra européennes, à décentrer et déconstruire, enrichir et contraster notre conception du fantôme intimement liée à la conception occidentale du rapport de l’homme à la mort.

Propositions d’axes de réflexion : 

Vivre avec les morts

Les fantômes sont des membres de nos sociétés, cohabitant avec les vivants dans un espace partagé. Un fantôme, de par son inconsistance physique, habite un lieu ou un réceptacle : maisons hantées, esprits des carrefours comme Papa Legba, esprits maléfiques qui « possèdent » un innocent ou plus largement être chers et disparus qui hantent le sommeil et les pensées. Ils sont donc intégrés aux rituels et aux croyances propres à chacune des sociétés d’hier et d’aujourd’hui. Largement étudiés au prisme de l’anthropologie (notamment structuraliste) et des travaux sur l’animisme, ils apparaissent comme des éléments centraux voire fondateurs des constructions (et cohésions) sociales. Réactivés par l’ésotérisme, ils interrogent nos rapports avec le présent, l’environnement, le passé et l’inexplicable.

La cohabitation est bien au centre de cette question de la place du fantôme dans nos têtes et dans nos sociétés : le fait même de « hanter », du vieux norrois « heimta », avait originellement le sens de « fréquenter un lieu » (avant de prendre son sens actuel en français au XVIIIe siècle, très certainement sous l’influence du « haunt » anglais avec la circulation européenne des grands romans gothiques). Un lieu hanté est avant tout un lieu visité et ces visiteurs sont d’ailleurs de toute sorte et entrent par différentes portes : les fantômes se cachent dans les reflets et les miroirs, les esprits sont libérés par le ouija, les morts-vivants sortent de terre, les spectres flottent au-dessus des vivants et les revenants reprennent leur place comme s’ils n’étaient jamais partis. Un lieu peut lui-même être un lieu fantôme quand il est laissé à l’abandon (on pense aux villes fantômes d’Hashima au Japon, ou celles des Amériques, de Bodie en Californie, aux salitreras du Chili septentrional en passant par Winnipeg au Canada - témoins d’un passé extractiviste aboli et de cycles économiques révolus -, aux stations de métro fantômes de Paris, de Madrid, de Berlin, etc.) : source d’inquiétude et de malaise, ces lieux abandonnés des vivants deviennent l’habitat d’êtres errants et les lieux de prédilection de l’urbex.

Les religions du monde ont presque toujours eu pour fonction de répondre à la question de l’après, de l’au-delà. In fine, il n’y a de supérieur à la peur de la mort que la peur de l’après la mort. Cette obsession pour trouver une solution à la condition humaine s’est cristallisée dans la figure du fantôme (sous toutes ses formes, de la trace à la résurrection). Questionnement ontologique et principe d’organisation sociale, le fantôme se pose également comme un enjeu de la représentation : peinture, cinéma, littérature ou même musique. Comment, en effet, représenter ce que l’on ne peut représenter, ce qui hante, ce qui n’est plus ? Comment certains genres comme les ghost stories se développent et traitent cet élément ? Comment certains espaces, comme les cimetières, se présentent à la fois comme des espaces sacrés de lien avec la mort et des espaces de fantasmes de présence de fantômes ?

Combattre ou convoquer les fantômes du passé

Les sociétés produisent leurs fantômes, dans une axiologisation positive, par le biais de la réappropriation de grandes figures, de grands personnages, d’éléments des mythes fondateurs et récits nationaux, mais également dans une axiologisation négative. Le fantôme, spectre, est alors ce que l’on craint, ce qui plane comme un danger. La récupération, création ou convocation du fantôme se présente comme une stratégie politique et donne alors lieu à la création de discours et d’imaginaires, qui rassemblent autour d’une figure, ou contre cette dernière. Le fantôme est ainsi lié à ce spectre qui plane comme une menace, réelle ou fantasmée, mais également à la mémoire.

Face à la surexploitation des figures, le fantôme peut également être perçu comme ce qui manque, ce qui fait défaut et dont la société a perdu la trace et ils sont aussi des marqueurs des conflits qui traversent ces sociétés. Nous pensons notamment aux disparus de guerre, des camps, des dictatures ou encore des différents conflits liés aux cartels ou aux mafias, qui affectent le cercle familial, social mais aussi sociétal. La quête du disparu, du fantôme, tout comme celle des peuples invisibilisés, notamment par le colonialisme, devient un élément de reconstitution des faits, une manière de comprendre l’Histoire et son histoire. Ces figures se manifestent alors comme des revenants. Recherchés, ils dérangent, étant des témoins parfois de l’indicible et de l’inavouable. La présence du revenant, ou l’existence paradoxale du fantôme devient un symptôme de la société et du politique.

 Le fantôme semble donc être constitutif de la société, tant discursivement que socialement et historiquement, il est ce à quoi on se réfère, ce qu’on craint, à la fois imaginaire et réel. Que faire alors des fantômes du passé, comment se manifestent-ils dans les discours ou dans l’espace ? Comment sont-ils évoqués et invoqués ? Quelle place prennent-ils dans le temps présent, à l’ère de la modernité ? Que disent-ils du monde contemporain ? La présence de ces fantômes, par ailleurs, implique une superposition des temps, du temps mythique, du passé et du présent, se cristallisant dans ces imaginaires, et ces mémoires. Leur présence diffuse peut également refaire surface lors d’événements et de commémorations, dans des espaces précis, des manifestations, comme ces marches en l’honneur des “disparus” des dictatures latino-américaines où sont brandies leurs photographies, quand elles existent, comme des vestiges de présences qui ne sont plus. Le moment et le lieu apparaissent alors comme des marqueurs de la disparition, des espaces d’inscription, de façon directe ou indirecte, par la représentation ou l’évocation. La monumentalisation marque par exemple cette absence et la rend visible, de façon parfois paradoxale, soit invisible, comme avec 2146 pierres, Monument contre le racisme (1993) qui se compose de pavés où sont gravés sur la face cachée, les noms des cimetières juifs allemands qui existaient en 1939.

 Les voix et les images qui viennent de plus loin

Le fantôme parle rarement la langue commune, et pourtant il communique. Ainsi, parler avec les morts est une obsession qui a occupé les scientifiques comme les artistes, les sceptiques comme les croyants. La parapsychologie a cherché dans les recoins de l’inconscient, du sommeil, des hallucinations, les traces de messages verbaux ou non-verbaux. Dans une perspective moins mystérieuse mais tout aussi fascinante, la langue que nous parlons et les images qui nous entourent sont autant de messages laissés par les disparus. Le locuteur a l’habitude de considérer la langue qu’il parle et qu’il comprend comme l’état unique et définitif de cette langue. Or, un état de langue n’est jamais qu’un moment dans son histoire puisque la langue varie dans l’espace et dans le temps. À quel moment considère-t-on qu’une langue disparaît et qu’une nouvelle est née ? La langue pensée en diachronie nous invite à la considérer avec tous ses fantômes du passé : ses formes disparues, ses emprunts oubliés. La langue meurt et revit indéfiniment (Quand le latin est-il « mort » ? À quel moment le mot « week-end » a-t-il cessé d’être un emprunt de l’anglais pour devenir un mot français ?) et porte en elle toutes les traces de son histoire. Dans le discours, l’acte d'énonciation fait intervenir un ensemble de voix ou points de vue. Du côté du texte, l’intertexte nous donne à entendre et à lire les textes et les voix derrière le texte. En traduction, le texte absent, en filigrane du texte présent, se présente comme un spectre, tout comme le traducteur est lui-même un fantôme (une sorte de ghost writer), invisibilisé et pourtant jamais transparent. Comment et pourquoi retrouver les traces de nos langues et de nos discours (passés) ?

Observer et photographier le fantôme est également un défi populaire chez les chasseurs de fantômes depuis plus d’un siècle. L’œuvre de Simon Marsden, notamment, est connue pour ses clichés de lieux hantés. Néanmoins, photographier n’est-ce pas déjà par essence mettre à mort un moment à peine saisi ? « La photographie a quelque chose à voir avec la résurrection » disait Roland Barthes. Inversement, l’apparition de la photographie ou l'intrusion de l'appareil dans des sociétés où celui-ci n'est pas commun provoque également la crainte, celle que ce dernier renferme l'âme du sujet dont l'image est capturée.

Pourront-être abordées les questions suivantes (la liste n’est pas exhaustive) :

Anthropologie, sociologie, théologie, histoire de la pensée et des représentations :

  •  la réactivation de croyances au prisme de la modernité
  • le lien entre le monde de vivants et le monde des morts, voire la cohabitation, dans la construction des sociétés
  • folklores, transmissions et cultures populaires
  • l’esprit ou le fantôme comme pourvoyeur de sens ou comme figure invoquée quand le sens fait défaut
  • les différences de perceptions selon les aires culturelles et géographiques questionnant les frontières du réel, de la rationalité et de la raison
  • Spectralité et phénoménologie

Littérature, histoire de l’art, iconographie et arts visuels :

  • ghost stories et fantômes dans la littérature
  • le fantôme à l’écran (fictions et reportages)
  • représentation du fantôme ou du spectre en peinture
  • photographie et fantômes

Histoire, sciences politiques, études mémorielles :

  • la création de figures et de fantômes comme stratégie discursive dans la création des identités nationales
     la figure du citoyen fantôme
  • la mémoire comme élément structurant ou porteur de divisions
  • la création d’une crainte de menace planante comme outil politique
  • le disparu comme présence et absence, comme compensation affective ou politique

Sciences du langage, analyse du discours, linguistique textuelle, traductologie :

  • intertextualité et mémoire textuelle
  • invisibilité et visibilité du traducteur
  • texte traduit, entre texte absent et texte présent
  • voix, narrateurs et points de vue dans le récit
  • traces et indices de discours passés dans le langage contemporain

Les propositions de communication (300-500 mots environ ; en français, anglais ou espagnol), accompagnées d’une brève notice biographique, devront être envoyées d’ici le 1er septembre 2024 à Marine Berthiot (mcberthiot.recherche@proton.me) Valentine Piéplu (valentine.pieplu@sorbonne-nouvelle.fr) et Marie Schaeverbeke (marie.schaeverbeke@univ-lyon2.fr).

Les réponses pour la participation au colloque seront envoyées à la mi-octobre 2024.

Les communications du colloque organisé les 13 et 14 février 2025 à l’Université Lumière Lyon 2 donneront lieu à une publication dans la revue Textures du laboratoire LCE. 

Les communications ne devront pas excéder 25 minutes. Les articles, eux, sont attendus pour le 15 janvier 2025, selon les modalités de la revue. 
Voir les instructions aux auteurs : https://publications-prairial.fr/textures/index.php?id=327

Comité scientifique :

Aurélie CHONÉ (Université de Strasbourg)

Alvar DE LA LLOSA  (Université Lumière Lyon 2)

Vincent DURAND DASTÈS (Inalco)

Camillo FAVERZANI (Université Paris 8 Saint Denis)

Enrique FERNANDEZ DOMINGO  (Université Paris 8 Saint Denis)

Marie FRANCO (Université Sorbonne Nouvelle)

Laurence GUILLON (Université Lumière Lyon 2)

Sandra HERNANDEZ ((Université Lumière Lyon 2)

Joao PEREIRA (Université Lumière Lyon 2)

Catherine ORSINI-SAILLET (Université Grenoble Alpes)

Xavier TABET (Université Paris 8 Saint Denis)

Pascale TOLLANCE (Université Lumière Lyon 2)

Bibliographie : 

AMENÁBAR, Alejandro, The Others, 2001, 1h45min.

BAKHTINE, Mikhaïl, Problèmes de la poétique de Dostoïevski, Paris, Seuil, 1970 pour la traduction française [1929].

BARTHES, Roland, La Chambre claire, Paris, Gallimard, 1980.

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BORGES, Jorge Luis, Historia de la eternidad, Buenos Aires,  Viau y Zona, 1936.

BOZZANO, Ernest, Les Phénomènes de hantise, Lyon, Les éditions Philman, 1929.

BRONTË, Emily, Wuthering Heights, Londres, Penguin Books, 2003 [1847].

BUSTAMENTE, Jayro, La Llorona, Guatemala, 2020, 1h37min.

DEL PILAR BLANCO, María, PEEREN, Esther, The Spectralities Reader: ghosts and haunting in Contemporary Cultural Theory, ‎ Bloomsbury, Bloomsbury Academic, 2013.

DELAPLACE, Grégory, "Les fantômes sont des choses qui arrivent”, Terrain, 69, 2018, 4-23.

DERRIDA, Jacques, Spectres de Marx, Paris, Galilée, 1993.

DESCOLA, Philippe, Par-delà nature et culture, Paris, Gallimard, 2005.

DIOP, Mati, Atlantique, France, 2019, 1h45min.

DOCTER, Pete, POWERS, Kemp, Soul, États-Unis, 2020, 1h40min.

DUCROT, Oswald, Le Dire et le Dit, Paris, Éditions de Minuit, 1985.

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FLANAGAN, Mike, The Hunting of Hill House, États-Unis, 2018, 60min.

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