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Poétique du bar dans le roman africain (Revue de l'Université de Moncton)

Poétique du bar dans le roman africain (Revue de l'Université de Moncton)

Appel à contributions

Poétique du bar dans le roman africain

L’évocation du mot « bar » renvoie d’abord à sa fonction première comme lieu de beuverie, car le bar est par essence un débit de boissons. Cependant, son histoire montre que même à sa naissance, du moins dans le contexte européen, le bar représentait déjà un lieu polyvalent. Dans son essai Les bars populaires de Libreville. Des construits de sociabilité (2017), Jean-Emery Étoughé-Éfé insiste sur le lien entre les « comportements d’alcoolisation et les origines du bar […] en Europe » (2017, p. 41). À la suite de la défaite de la France face à la Prusse en 1871 s’installent « des formes de misère sociale » qui vont essentiellement affecter les classes populaires et le prolétariat, qui se voient poussés à une consommation excessive d’alcool. Ainsi, le bar devient pour ces couches sociales le seul exutoire à leur vie. Mais en même temps, il acquiert, de manière dialectique, une nouvelle signification, notamment politique, car, durant la révolution industrielle, il incarne aux yeux des classes dominantes non seulement le « lieu de débauche des classes populaires », mais aussi l’endroit où se tiennent « les réunions politiques d’où la révolte s’élève » (Étoughé-Éfé, 2017, p. 42).

En ce qui concerne l’espace géographique africain, le sociologue gabonais souligne que le bar est une « création du pouvoir colonial », étant donné que « l’anthropologie africaine traditionnelle ne reconnait pas le bar dans son symbolisme » (Étoughé-Éfé, 2017, p. 18). En effet, depuis la période coloniale, le bar a connu un développement significatif dans nombre de pays africains au point d’y marquer de son empreinte la culture et le paysage urbains. En d’autres termes, il est difficile de faire abstraction de son influence dans la dynamique existentielle en Afrique, tout comme ailleurs. 

Cette dynamique du bar n’échappe pas au regard du romancier africain, qui en fait un lieu de créativité à tous égards. Il est à noter que ce lieu devient récurrent dans la littérature africaine. Déjà à l’époque coloniale, le bar apparait dans les œuvres comme Le Docker Noir (1956) de Sembene Ousmane et Ville cruelle (1954) de Mongo Beti. Dans l’univers fictionnel, chaque écrivain réinvente, à sa manière, le bar comme lieu polyvalent. Par exemple, on assiste à la construction d’une esthétique de la vulgarité et de l’obscène (Verre Cassé (2005) d’Alain Mabanckou; Canailles et Charlatans (2005) de Kangni Alem; Hermina (2003) de Sami Tchak). À vrai dire, cette poétique de l’obscène s’inscrit dans l’écriture jubilatoire : ici aussi, la tournée des bars vise à rendre hommage aux grands artistes de la musique africaine comme dans Silikani (2006) d’Eugène Ébodé. Par ailleurs, le bar devient un lieu de narration de récits de vie, de circulation de toutes sortes de rumeurs (L’invention du beau regard (2005) et Temps de Chien (2001) de Patrice Nganang) ou un « lieu de deuxième naissance » pour certains personnages du roman Les Écailles du ciel (1986) de Tierno Monénembo, ou un espace de démocratie dans le roman Petit pays : 

Le cabaret était la plus grande institution du Burundi. L’agora du peuple. […] Chaque quartier, chaque rue possédait ces petites cabanes sans lumières. […] Le cabaret offrait aux buveurs le luxe d’être là sans être reconnus, de participer aux conversations, ou pas, sans être repérés […], seul le cabaret permettait de libérer la parole, d’être en accord avec soi. On y avait la même liberté que dans un isoloir.  (Faye, 2016, p. 88) 

Malgré cette présence accrue du bar dans la littérature africaine, la critique s’y intéresse à peine. Aussi ce numéro de la Revue de l’Université de Moncton vise-t-il à combler cette lacune en accordant une attention particulière à la polyvalence du bar ainsi qu’à ses diverses articulations esthétiques dans la production romanesque en Afrique. Outre l’examen des enjeux de sa représentation, les analyses pourront s’intéresser aux rapports entre le bar et les manifestations culturelles, artistiques et politiques, à l’imaginaire social construit autour du bar et à la figure de l’ivrogne.

Axes d’analyse

Sans être exhaustifs, voici quelques axes où pourront s’inscrire les propositions d’articles : 

Formes et enjeux de la représentation du bar dans le roman africain

Poétique du bar et écriture jubilatoire

Représentation du bar et réinscription des savoirs et des discours sociaux

Narrativités et inventions linguistiques d’un lieu de sociabilité

Bar comme lieu de naissance de révolutions


 
Contacts

Kodjo Attikpoé, Associate Professor, Department of Modern Languages, Literatures and Cultures, Memorial University of Newfoundland (kattikpoe@mun.ca)

Adama Togola, Maitre-assistant, École supérieure de journalisme et des sciences de la communication de Bamako (togola034@yahoo.fr)

Veuillez soumettre votre résumé de proposition (250 mots maximum) accompagné d’une brève notice bibliographique (10 références  max.) d’ici le 30 août à : Larevue@umoncton.ca

Note : les auteur.rice.s dont les propositions auront été acceptées devront soumettre leur article en décembre 2024.

Références bibliographiques 

Attikpoé, K. (2014). Le bar : poétique d’un lieu populaire. Dans F. Naudillon (dir.), Les littératures francophones au miroir du populaire. Par le peuple, pour le peuple ou contre le peuple? (p. 343-359). Palabres Éditions.

Bikanda, P. J. (2021). Les rapports de genre dans les bars en milieux urbains africains. Analyses socio-anthropologiques de la sociabilité de séduction. Éditions Cheikh Anta Diop.

Compaoré, G. (2008). Une activité industrielle d’aval au Burkina Faso. Les débits de boissons à Ouagadougou. Les travaux de l’ISSP, 23, 3-24.

Desjeux D., Jarvin M. et Taponier, S. (dir.) (1999). Regards anthropologiques sur les bars de nuit. Espaces et sociabilités. L’Harmattan.

Étoughé-Éfé, J.-E. (2017). Les bars populaires de Libreville. Des construits de sociabilité.  L’Harmattan.

Hoffmann, B. (2013). Les représentations hybrides de la mort dans le roman-africain. Représentations négro-africaines, islamiques et occidentales. Ibidem.

Maupeu, H. et Wa-Mûngai, M. (2006). La politique des bars Kikuyu de Nairobi. Cahiers d’Études africaines, 46(182), 313-331.

Meyo-Me-Nkoghé, D. (2001). Les enseignes de bars, bistrots de Libreville (Gabon) : Contribution à l’histoire des mentalités? (1960-2000). Plurilinguismes, 18, 147-168.

Ossebi, H. (1988). Un quotidien en trompe-l’œil. Bars et « nganda » à Brazzaville. Politique africaine, 31, 67-72.

Ziati, O. et Boumaajoune, J. (2023). Le bar, lieu de création littéraire ou refuge d’une génération en décadence? Cas de « Le Crédit a voyagé » dans Verre Cassé d’Alain Mabanckou. Journal of Humanities and Social Science, 28(4), 41-49. DOI: 10.9790/0837-2804094149.