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Barreaux, barrières, barricades (Lille)

Barreaux, barrières, barricades (Lille)

Publié le par Marc Escola (Source : Laboratoire CÉDILLE (labo junior CECILLE))

Journée d'études " Barreaux, barrières, barricades " (19 avril 2024)

CÉDILLE, Université de Lille

Cette manifestation scientifique sous le signe de l’interdisciplinarité a vocation à intéresser les doctorant.es en sciences humaines et sociales en France ou à l’international.

Barreaux, barrières, barricades, barrages, blocages, blocus et embargos, sont des obstacles matériels ou idéologiques en travers du passage des corps, des mots et des idées. Volontairement ou non, ces dispositifs scindent une situation complexe en côtés — le moi et l’autre, le dedans et le dehors, le bien et le mal — et en normes — genre, sexualité, classe, race. Ces différences, distinctions et oppositions sont tour à tour considérées comme nécessaires, manifestes, naturelles voire immanentes ou injustes, arbitraires, totalitaires ou transcendantales. Le titre « Barreaux, barrières, barricades » souhaite recouper de multiples réalités et attirer des travaux issus de différents domaines en sciences humaines et sociales. Ces trois termes créent une tension entre les natures, les objectifs et les conséquences des nombreuses divisions de l’espace social, matériel et immatériel, de l’infrastructure à la superstructure.

La barrière dénote un morcellement du commun : les enclosures, les colonies, et les gated communities protègent la propriété face à l’altérité jugée improductive, sauvage, voire dangereuse ou incontrôlable. Sur le plan des échanges et des transactions, les politiques économiques néolibérales préservent un ordre social à l’aide de quotas, de taxes, de barrières tarifaires et non tarifaires. Ces dernières se prolongent en dispositifs physiques derrière lesquels les états-nations se barricadent, en particulier dans les régions frontalières stratégiques, tels Lampedusa en Méditerranée, Calais face aux côtes anglaises ou Eagle Pass à la frontière entre le Mexique et les États-Unis. Si Frontex inspecte humains et marchandises aux limites de l’espace Schengen, le développement de la mondialisation rend toutefois ses propres barrières vulnérables, comme observé pendant la pandémie de coronavirus où les gestes barrières devaient faire barrage au Covid-19. Les causes et la propagation de cette zoonose renvoie également à d’autres barrières entre l’humain et le non-humain, tandis que le repli sur soi sanitaire observé à la faveur des confinements de 2020 en évoque d’autres encore, sociales notamment. De Marx à Bourdieu, des barrières difficilement franchissables ont été identifiées entre les classes et mettent à mal l’idéal de mobilité sociale. Comme le dit la maxime « diviser pour mieux régner », la barrière est une tentative de fixité pour conserver le contrôle, comme celle, linguistique, qui devait empêcher la construction de la Tour de Babel. Signe concret d’une imposition, elle indique le pouvoir de son créateur mais révèle également celui qu’elle entrave.

La barricade s’oppose au système dont elle fait encore partie. Elle implique un type particulier de relation à l’ordre du présent, marqué notamment par la résistance, la non-conformité et la non-obéissance. Sur le plan spatio-temporel, elle renvoie à une zone de lutte, voire deux ou plusieurs zones, dont le seuil reste en jeu. Par là même, elle renvoie au temps de lutte d’une durée indéterminée, dont l’avenir reste insondable mais lourd à la fois de l’espoir et de l’angoisse. En tant que concept, la barricade est directement liée à son histoire concrète, celle d’un dispositif érigé lors des combats urbains parisiens, comme l’insurrection des communards de Paris en 1871. Les émeutes à Hong Kong en 2019 et 2020 témoignent de son déploiement plus large à l’échelle européenne et mondiale. Érigée à des fins pratiques, elle manifeste au monde réel des relations sociales dynamiques, ce qui englobe des désirs subjectifs, des investissements affectifs, et des réclamations collectives. Elle porte notamment sur les limites du propre, à la fois comme bien moral et comme manière d’agir. Menée par ceux aux marges de l’ordre social de leur temps, la barricade a formé le monde politique d’aujourd’hui, où elle constitue alors le symbole d’un outil démocratique de transformation radicale.
 
Si les barricades peuvent symboliser une lutte pour la défense de la démocratie, le terme « barreaux » évoque la répression étatique que celles-ci peuvent engendrer. Mentionnons à titre d’exemples la suspension de l’Habeas Corpus décidée à plusieurs reprises au Royaume-Uni, autorisant ainsi l’emprisonnement sans jugement préalable, lorsque le pays craignait, en 1792, que les idéaux de la Révolution française ne s’exportent outre-Manche, ou encore lors des conflits anglo-irlandais en 1848. Au dix-neuvième siècle également, les enclosures et le développement du capitalisme agricole ont exproprié la paysannerie des terres communales. En quête de travail, une classe désormais considérée comme « laborieuse », voire « dangereuse » se concentra dans les villes et leur périphérie. Les plus miséreux furent alors contraints d’intégrer des workhouses, ces prisons des pauvres, comme l’évoque Charles Dickens dans Oliver Twist (1838). On le voit, cette thématique incite par conséquent à étudier la prison comme un reflet de la société et de ses évolutions. Le concept du panoptique (dont l’architecture permet une surveillance permanente des individus en milieu carcéral) développé par le philosophe Jeremy Bentham, et repris par Michel Foucault dans Surveiller et punir (1975), accompagne par exemple les évolutions de la société britannique mentionnées précédemment – Bentham lui-même aurait ainsi recommandé la construction de workhouses sur le modèle du panoptique. Les évolutions techniques et sociétales continuent de produire de nouvelles formes de surveillance et d’oppression – pensons, par exemple, au système de crédit social mis en place dans la Chine de Xi Jinping, qui repose sur les nouvelles technologies pour évaluer en continu le comportement des citoyens, selon une logique répressive totalitaire qui n’est pas sans rappeler 1984 (George Orwell, 1949). Cette journée d’étude sera également l’occasion d’examiner les systèmes répressifs ne requérant ni prisons ni barreaux, tels que les bagnes instaurés par les pays occidentaux dans la période coloniale : l’Australie ou la Guyane devenant ainsi de véritables prisons à ciel ouvert.

Les propositions des doctorant.es (sous la forme d’un abstract en français de 300 mots maximum), accompagnées d’une brève biobibliographie sont à envoyer avant le 7 avril 2024 à l’adresse suivante : cedille.labo@gmail.com.