La représentation du désir sexuel féminin dans le roman de mœurs du second XIXe siècle soulève des enjeux cruciaux: elle fait apparaître les paradoxes d’un second XIXe siècle écartelé entre des visions des femmes contradictoires, créatures hantées par la sexualité ou vierges-mères; elle nous renseigne sur les processus de construction des genres masculins et féminins; elle nous fait réfléchir aux scandales d’hier et d’aujourd’hui que suscitent le corps féminin désirant et les regards portés sur lui; elle interroge la poétique du roman de mœurs et ses prétentions à l’objectivité.
Ces romans ambitionnent de tout dire du réel, revendiquant une rationalité scientifique. Et pourtant, ils se livrent lorsqu’ils abordent le désir féminin à un voilage stylistique, exigeant du lecteur un travail de décodage.
Nous avons entrepris d’analyser ce voile de mots qui recouvre les corps féminins, afin de percer les ressorts de cette mauvaise foi. La méthode sociocritique permet de montrer les interactions entre nos romans et les différents discours sociaux de leur temps (médicaux, religieux, juridiques ou encore pédagogiques), et ainsi de faire apparaître des imaginaires sociaux complexes et cohérents du désir féminin, dont les romans tout à la fois reconduisent et déjouent les stéréotypes.
Dans les textes littéraires, les théories scientifiques se muent en matériaux poétiques, et le double sens devient un véritable art. Ces représentations érotiques obliques font des descriptions du désir féminin un terrain miné de sous-entendus, élaboré le plus souvent par et pour des hommes. Certains romans ménagent toutefois déjà une place à une parole et à un regard de désir au féminin, voire par-delà le genre.