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Discours idéologique et discours publicitaire dans les médias et les universités (Baia Mare, Roumanie)

Discours idéologique et discours publicitaire dans les médias et les universités (Baia Mare, Roumanie)

Publié le par Faculté des lettres - Université de Lausanne (Source : Ina Motoi)

Pouvons-nous distinguer dans les discours actuels des médias et des universités leurs rôles dans nos sociétés ? Cette distinction est importante puisqu’il s’agit des savoirs que des journalistes et des professeurs1 mettent de l’avant à travers leurs communications et leurs actions. Participent-ils à développer objectivement la réflexion autonome et éclairée des citoyens d’aujourd’hui et de demain en soutenant démocratiquement leur quête de connaissances ? Ou bien sont-ils devenus les porte-paroles d’une pensée unique, donc partielle et partiale ? Quelles sont la légitimité et la pertinence de cette pensée lorsqu’elle organise les informations transmises selon des intérêts idéologiques comme une campagne de promotion, de publicité ? À titre d’exemple, au Québec et en Ontario, certaines situations types se multiplient et illustrent l’invalidation de la liberté d’expression et de conscience, de la liberté académique, et la présence du clientélisme, du productivisme et de l’autoritarisme : 

1. Divers désaccords scientifiques ou citoyens, dont ceux reliés aux mesures sanitaires2 prises lors de la crise de la COVID, sont exclus3 de l’espace public ;

2. Utilisation de mots (par exemple, celui en « N »)4 ou d’expressions  qui ont entrainé la suspension ou le congédiement5 ;

3. Embauches et nominations selon des critères idéologiques et non pas au mérite6 ;

4. Demande d’épurer7 les bibliothèques jusqu’à brûler8 des livres qui ne correspondent pas aux valeurs politiquement correctes 

5. Promotion d’un « faux consensus » sous forme d’idées et de valeurs qui semblent incontestées, claires et qui sont soi-disant acceptées sans débats ;

6. Posture autoattribuée - de représentation intellectuelle et morale de la majorité - qui ne reflète pas la diversité des intérêts et des points de vue qui sont en jeu.

Mais qu’est-ce que des discours à teneur idéologique ou publicitaire? Ces communications sont-elles signifiantes ou insignifiantes, bénéfiques ou nuisibles, des moyens de faire taire ? Sont-elles des lieux de pouvoir totalitaire où l’endoctrinement se substitue à l’expression d’une pensée réflexive et à son apprentissage qui se nourrissent par le questionnement et le doute pour devenir une analyse critique et même, avec le temps, une pensée critique (Motoi, 2023) ? Ces discours remplissent jusqu’à saturation le territoire public, laissant peu d’espace à la pensée de leurs émetteurs pour délibérer. Ils figent ainsi ce que l’on doit savoir et dissimulent ce que nous ne devons pas savoir. Toutefois, où sont les appels à la prudence des scientifiques et des journalistes par rapport à ce nouvel ordre social imposé silencieusement, sans dialogues ni débats, sans expliquer quels objectifs sont pris en considération pour quelles finalités et pour quels enjeux ? Que deviennent les méthodes scientifiques ou journalistiques de recherche et d’investigation qui explorent différentes hypothèses et pistes tout en les remettant en question afin de comprendre les perspectives en présence et non pas prêcher une pensée unique ? 

Le discours publicitaire n’est pas la publicité commerciale. Il promeut « positivement » l'université, ses programmes, son recrutement ou bien la ligne éditoriale soutenue par des croyances et des doctrines politiquement correctes. Et cela, à l’aide de moyens et d’un langage qui ressemblent à ceux déployés par la publicité afin d’influencer en faisant semblant de promettre le bonheur, la satisfaction, la jeunesse pour créer une illusion et vendre de cette manière des « produits », dont des idées. On observe la présence du cycle désirer-acheter-consommer-jeter et l’utilisation des émotions afin d’impressionner avant de raisonner, etc. (Robert, 2018; Motoi, 2021, p. 72-73). Dans ce sens, les résultats de recherche, d’enquêtes ne présentent pas ce qui n’a pas fonctionné, la pluralité des points de vue est absente, l’opinion contradictoire est proscrite, la dimension critique est éliminée. L'on ne se remet jamais en question et l'on ne rend pas visible ce qui ne marche pas et qui est vu comme un « discours négatif ». On parle des résultats, mais peu des processus de recherche. Cela fonctionne pareillement à une entreprise de relations publiques qui prêche la consommation aveugle sans vérification raisonnée de ces informations ou données de recherche marchandisées. C’est la « ligne de parti » qu’il faut suivre! De là découle le besoin de réfléchir et d'étudier les sens produits à partir du silence de certains messages résultant du processus d'énonciation publicitaire. 

 À son tour, le discours idéologique se déroule souvent selon deux conceptions polarisées socialement (Voirol, 2008, p. 62-68): 

-La connotation « négative » donnée par Marx en 1932 qui la critique en tant qu’abus permettant la domination économique, ce qui détermine une distorsion de la réalité ;

-La connotation « positive » culturaliste, reformulée dans un sens acritique par Geertz en 2000 pour être conçue comme un « intégrateur symbolique d’une communauté préservant son identité culturelle ».

Cependant, que devient le point de vue du participant - lecteur, auditeur ou étudiant, mais toujours humain - qui a besoin de comprendre pour agir ? Lui reconnaît-on des habiletés de réflexion et de jugement, une liberté d’expression et de conscience? Est-il doté de « compétences morales » ? (Boltanski et Chiapello, 2009) Prend-on son propos au sérieux? Prend-il son propos au sérieux ? Peut-il faire abstraction des idéologies et des publicités qui proviennent du groupe auquel il appartient et qui lui fournit des modes d’interprétation ? Cela explique-t-il pourquoi certains individus se sentent « à l’aise » dans l’idéologie sans voir « leur adhésion de manière négative » (Voirol, 2008, p. 71) ? 

Van Dijk (2006, p. 1) constate que « les groupes dominés peuvent également avoir des idéologies [...] de résistance et d'opposition », même de conflit ou de glorification formant des « communautés idéologiques ». Mais, lorsque ces discours sont partout, est-il possible d’envisager une solution pour s’en émanciper? Est-ce là le rôle de l’université et des médias ? Klemperer et Soljenitsyne ont dénoncé au péril de leur vie les nazis et les soviétiques qui ont tué des millions de personnes au nom d’idéologies imposées de force pour créer la « société parfaite et juste » (Aubry et Turpin, 2012). Ils ont expliqué comment sur ces territoires s’est opérée de manière totalitariste la rupture entre le réel et l’illusion. 

 En 1960, « la fin de l’idéologie » a été annoncée par Bell. Or, sa promotion a continué d’être reliée à la propagande. D’ailleurs, Voirol (2008, p. 62) pense que dans nos sociétés occidentales, l’absence de critères pour déterminer les « disjonctions idéologiques entre les pratiques sociales effectives et les registres discursifs et prescriptifs s’imposant à elles » a dépouillé toute analyse de son « aiguillon critique ». Ce qui nous a entrainés dans la confusion de l’idéologie avec la réalité et à l’acceptation de son mode publicitaire de communication des idées et de ce qui en découle. Dans ce sens, l'idéologie transmet une certaine combinaison d'idées et de valeurs qui forme un système fonctionnant comme un filtre qui trie ainsi à court terme et à moyen terme les représentations collectives de la réalité pour n'offrir qu'une seule version interprétative. D’où l’importance de faire la différence entre concept comme idée ou représentation abstraites par généralisation et critère comme « caractère, principe auquel on se réfère pour distinguer une chose d’une autre, pour émettre un jugement, une estimation » (CNRTL). Cela nous permettrait-il de cerner plus facilement les discours idéologiques et publicitaires?

Ces discours accompagnent et illustrent la mutation qui est en train de s’opérer dans nos sociétés, une mutation mise en place depuis les années 1975 par un rapport différent à la modernité, un rapport postmoderniste. Dans ce sens, selon une pratique totalitariste du « soupçon », ces discours sont-ils par définition seulement le propre « des autres » ? Dans cette conception peu questionnable, ce qui est avancé c’est « une distinction entre une posture de « fausseté » et d’illusion, d’une part, et une posture de vérité et de connaissance, d’autre part » (Voirol, 2008, p. 64). Cette distinction permet de « définir les savoirs et les actes appropriés, indépendamment des convictions et des actes des sujets concernés » (p. 65), rejetés d'avance. Cette distinction pose aussi la démarcation entre « des sujets [qui savent agir] en leur nom pour leur émancipation » et « ceux qui ne [le] savent pas », des sujets ordinaires sous l’emprise de l’idéologie. D’où l’importance de comprendre, situés comme nous sommes entre autonomie individuelle et contrôle social, comment « prendre possession de la réalité » et conférer un caractère actif à notre pensée et à sa portée cognitivo-sociale sur nos vies humaines. 

 Voici quelques thèmes à approfondir lors de ce colloque :

-Tensions et débats interdits ;

-Distinctions entre liberté de conscience, liberté d’expression et liberté académique ;

-Multiples angles de vue sur la réalité : perspective partielle, perspective contradictoire, perspective d’ensemble, etc. ;

-Injonctions des discours idéologique et publicitaire et rapports au savoir humain ;

-Distinctions entre pensée unique, pensée intersubjective, pensée disciplinaire et pensée critique ; 

-Enjeux actuels : la causalité, la directionnalité, la standardisation de la pensée, l’atomisation et la massification des individus, etc. ;

-Diversité de la diversité et pluralité non relativiste des points de vue sur le monde ;

-Déficit démocratique axé sur une crise des représentations et de non-reconnaissance des journalistes et des professeurs ;

-Silence comme producteur de sens dans le discours publicitaire ; 

-Résistances et quêtes de sens présentes dans ce contexte de conformisme idéologique publicitaire.

Les propositions de communication doivent nous parvenir avant le 15 mai 2024.

Elles auront environ 250- 450 mots (équivalent à 1,000-2,000 caractères, espaces compris). 

Elles peuvent être transmises en roumain, en français ou en anglais. Les critères d’évaluation seront :

  • ✓  Pertinence par rapport à la thématique et aux objectifs du colloque ;

  • ✓  Explicitation du contexte de la recherche, de la réflexion critique ou de la pratique exposée ;

  • ✓  Cohérence des fondements théoriques ou méthodologiques les soutenant.

    Une réponse quant à l’acceptation ou non de votre proposition vous parviendra au plus tard le 15 juin 2024, à la suite de l’évaluation par le comité scientifique. Les communications seront ensuite rassemblées par thématique pour la constitution des différents ateliers. Chaque communication sera d’une durée de 20 minutes, suivie de 10 minutes de discussion. Pour déposer les propositions de communication: ina.motoi@uqat.ca

[1] Le masculin sera utilisé pour alléger le texte.
[2] https://www.revueargument.ca/article/2021-05-06/771-regard-critique-sur-la-crise-sanitaire-du-coronavirus.html et https://www.journaldemontreal.com/2022/03/10/stephan-bureau-brise-le-silence
[3] https://libre-media.com/articles/luniversite-laval-menace-patrick-provost-de-congediement
[4] https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1741520/plainte-mot-en-n-universite-ottawa-suspension-professeure
[5] https://agora.qc.ca/chroniques/francine-pelletier-et-le-devoir
[6] https://fqppu.org/la-ministre-de-lenseignement-superieur-pascale-dery-confirme-son-ingerence-politique-dans-le-refus-de-la-nomination-de-la-prof-denise-helly-au-ca-de-linrs/
[7] https://www.journaldemontreal.com/2015/03/08/epurer-les-bibliotheques--des-livres-inappropries
[8] https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1817537/livres-autochtones-bibliotheques-ecoles-tintin-asterix-ontario-canada