La revue Turbulences, portée par le LESA (Laboratoire d’Études en Sciences des Arts) d’Aix-Marseille Université, vient de faire paraître son premier numéro, consultable à l’adresse suivante : https://turbulences-revue.univ-amu.fr/. Elle lance pour son deuxième numéro un appel à contribution sur la thématique suivante :
« Esthétiques anarchistes : l’art et le non-gouvernable »
Par « anarchisme », on entendra ici le refus général du « préjugé gouvernemental », de l’idée que gouverner et être gouverné soient indispensables et que toute conduite, individuelle ou collective, ait à s’inscrire dans l’asymétrie du commander et de l’obéir. L’hypothèse anarchiste ne se limite pas à soutenir que gouverner équivaut à dominer ou que les dispositifs gouvernementaux ne sont jamais que des masques (institutionnels, sociaux, psychiques) apposés sur des relations de pure violence. Elle soutient plus radicalement que gouverner est tout bonnement impossible. Son projet consiste dès lors à relever les traces d’une telle impossibilité et à les faire s’étendre à des domaines d’action et de pensée toujours plus vastes. L’objet de l’anarchisme est l’impossibilité du gouvernement rendue manifeste et omniprésente.
Dans Au voleur ! Anarchisme et philosophie, Catherine Malabou propose de distinguer entre l’ingouvernable et le non-gouvernable : « L’ingouvernable désigne ce qui échappe au contrôle, comme un véhicule devenu impossible à conduire. Au sens moral et politique, il suggère l’indiscipline et la désobéissance, le refus d’obtempérer. L’ingouvernable est et n’est que le contraire du gouvernable. La non-gouvernabilité quant à elle ne renvoie ni à l’indiscipline, ni à l’errance. Elle n’est pas non plus la désobéissance, mais ce qui, dans les individus comme dans les communautés, demeure radicalement étranger au commandement et à l’obéissance. […] L’ingouvernable est ce qui peut être, soit entendu, soit dominé. Le non-gouvernable ne peut en revanche qu’être dominé. La seule façon de le traiter est de ne pas traiter avec lui, soit en l’ignorant activement, soit en l’opprimant, en l’écrasant, voire en le mettant à mort. Mais le gouverner est définitivement impossible puisqu’il est, encore une fois, la marque de l’impossibilité et de l’échec de tout gouvernement[1]. »
Si l’ingouvernable se définit par sa résistance et son opposition directes au gouvernement, le non-gouvernable désigne quant à lui une zone d’étrangeté et d’extériorité radicale. En prolongeant cette distinction, on pourrait dire que le non-gouvernable est le lieu de recharge de l’ingouvernable, son assise extra-conflictuelle, sa base arrière : une indifférence et une extériorité au gouvernement si profondes que des gestes concrets de désobéissance et de remise en cause de l’autorité peuvent s’y ressourcer, s’y relancer, s’y assoir positivement. L’ingouvernable ne concerne sans doute que certaines pratiques artistiques et certaines seulement, des pratiques qui par leur mode de production, d’organisation et d’intervention ont d’ores et déjà refusé tout principe de gouvernementalité. En revanche, on pourrait faire l’hypothèse que toute œuvre, si du moins elle doit être autre chose qu’un produit de consommation, de spéculation ou de décoration, a bel et bien affaire à du non-gouvernable, à ce qui dans l’être humain et au-delà demeure irréductiblement étranger à l’être-gouverné. L’objectif principal de ce numéro de la revue Turbulences consisterait alors à relever en art les traces et les manifestations du non-gouvernable, les formes de son déploiement artistique, en les envisageant aussi bien pour elles-mêmes que comme lieux de recharge de l’ingouvernable, comme appelant, ne serait-ce qu’implicitement, à des actes de résistance et de désobéissance concrets.
Modalités de proposition :
La rédaction encourage la diversité des formats et des propositions. Outre les articles universitaires classiques, elle accueille volontiers l’expérimentation artistique sur différents supports (photo, vidéo, son, graphisme, etc.).
Les propositions d’articles (5000 signes maximum) sont à adresser à esthetiques-anarchistes.turbulences@proton.me au plus tard le 15 avril. Une réponse sera donnée mi-mai.
Les articles définitifs devront être reçus pour relecture au plus tard le 15 octobre. La publication est prévue pour février 2025.
—
Comité scientifique :
- Sara Alonso Gómez
- Anna Guilló
- Christophe Longbois-Canil
- Célio Paillard
- Frédéric Pouillaude
—
Renseignements : Frédéric Pouillaude, frederic.pouillaude@univ-amu.fr
—
[1] Catherine Malabou, Au voleur ! Anarchisme et philosophie, Paris, PUF, 2022, p. 51-52.