Confluences littéraires québécoises. Aspects inter- et transculturels de l’extrêmecontemporain au Québec (Passau, Allemagne)
Appel à communications pour le
14e Congrès de l’Association allemande des Francoromanistes
"Confluences: croisements et convergences".
Section "Confluences littéraires québécoises – Aspects inter- et transculturels de l’extrême contemporain au Québec".
L’identité culturelle quant à elle est un processus plus fluide qui évolue de lui-même et qu’il ne faut pas tant percevoir en termes d’héritage du passé qu’en termes de projet d’avenir. UNESCO (2009) Investir dans la diversité culturelle et le dialogue interculturel. Paris, Rapport mondial de l’UNESCO (résumé), 7.
En 2009, l’UNESCO a choisi de recourir, non par hasard, à une sémantique fluide pour souligner le dynamisme et la prospective des négociations des identités culturelles postcoloniales et postmigratoires des issues à la fois des individus et collectifs, et qui s’expriment par des processus complexes. Il existe déjà de nombreux concepts tels que le mestizaje, la créolisation et l’hybridité, la transculturalité, la perméabilité et l’interpénétration, la fluidité et l’émergence, les croisements (par exemple dans les mémoires croisées) et les palimpsestes, les rhizomes, les structures en archipel et la relationnalité, la transformation et la transmutation. Ce sont des concepts renommés, forgés à leur tour par des auteurs eux- aussi reconnus, tels que José Vasconcelos, Fernando Ortiz, Néstor García Canclini, Édouard Glissant, Homi K. Bhabha, Arjun Appadurai ou Wolfgang Welsch, entre autres. Ces théories et leurs métaphores conceptuelles sont certes toutes des contre-projets à l’idée d’une culture hermétique et potentiellement homogène, mais elles font usage de différentes imageries qui soulèvent, chacune à leur manière, des rapports spatio-temporels spécifiques, sur la tension entre l’homogénéité et l’hétérogénéité, la frontière et son dépassement, voire sa dissolution, le statique et le dynamique, etc.
Dans ce contexte, l’espace culturel québécois se révèle particulièrement intéressant, car les négociations culturelles s’y déroulent dans un contexte spécifique qui associe une histoire coloniale, marquée par la violence et des conflits, à des récits qui, dès le début de l’invasion européenne, sont aussi des récits d’entente, de coexistence et d’alliances. Le Québec, en tant que « collectivité neuve » (Bouchard 1998, voir aussi Bouchard 2021), avec sa diversité culturelle héritée du passé colonial (plusieurs « nations » sur un même territoire), un taux de migration annuel très élevé (de nombreuses « communautés ethnoculturelles ») et sa position particulière de minorité francophone sur le continent nord-américain, veut faire de la québécitude une identité commune reconnaissable pour tous.tes, tout en préservant la diversité et l’hétérogénéité culturelles internes comme une valeur et une richesse. En conséquence, depuis la fin des années 1980, la « transculture » selon Nepveu ainsi que, plus tard, l’interculturalisme spécifiquement québécois selon Bouchard/Taylor (2013) misent résolument sur la négociation, la communication, la rencontre, le mouvement et la « convergence ». Dans les propositions de la Commission Bouchard-Taylor sur l’interculturalisme en 2008, lors du débat autour de la Charte des valeurs québécoises en 2013 et dans la reconsidération des relations avec les membres des communautés autochtones en réaction aux rapports de la Commission de vérité et réconciliation publiés en 2015, l’accent est de plus en plus mis sur la préservation des différences culturelles, en plus de l’accent mis sur le commun.
Ces discours politico-culturels se reflètent également dans la production littéraire québécoise. À côté des textes de Dany Laferrière ou de Marie-Célie Agnant, qui appartiennent à la littérature dite migrante (et dont l’étiquette est aujourd’hui contestée), on trouve de plus en plus de textes qui situent les négociations culturelles non pas (seulement) dans le contexte des mouvements d’immigration, mais les localisent à différents niveaux d’appartenance culturelle et dans des zones de contact au sein des littératures du Québec. Monique LaRue, par exemple, saisit le facteur mobile lié à la pénétration de l’espace, et donc un des moments fondateurs du Québec, avec la métaphore aquatique du « navigateur » (1996). L’auteure sino- québécoise Ying Chen fait s’effondrer l’opposition entre le statique et le dynamique et utilise le flottement dans l’eau comme chiffrage de cette problématique. Dans le roman Tiohtiá:ke (2021) de Michel Jean, des membres de différentes nations autochtones « confluent » dans les artères de Montréal, où ils forment une communauté de destin et de solidarité. Dans Shuni (2019) de Naomi Fontaine, un bain de mer donne l’occasion de contempler l’horizon ensemble, sans que les regards aient forcément à se croiser. Dans les recueils de poèmes bilingues de poètes et poétesses autochtones comme Joséphine Bacon ou Rita Mestokosho, les flux textuels dialoguent, sans non plus se croiser. Dans Chisasibi (2011) de Richard Vézina, les autochtones et les allochtones sont qualifiés d’« îles flottantes » qui ne se toucheront jamais malgré des vents favorables. Le roman d’Abla Farhoud, Le sourire de la petite juive (2011), traite du contournement ‘fluide’ et respectueux de l’Autre culturel dans l’animation de la rue. Enfin, des textes littéraires comme Atlantique Nord (2023) de Romane Bladou témoignent du fait que des personnes de Terre-Neuve sont reliées par les courants marins de l’Atlantique à des parcours de vie en Ecosse, en Islande et en Bretagne, dans leur diversité.
Dans ce contexte, la section pose la question de la valeur épistémologique que pourrait ajouter la métaphore conceptuelle des « confluences » pour les littératures québécoises du 21e siècle et de la force esthétique du « fluide » pour la narration littéraire des négociations culturelles. Dans quelle mesure l’image fluide des eaux (fluviales et autres) peut-elle encadrer théoriquement les processus de négociation identitaires et être rendue méthodologiquement fructueuse pour les analyses textuelles ? Dans quelle mesure les « confluences » littéraires peuvent-elles accentuer la différence culturelle, c’est-à-dire signifier, outre la confluence fusionnelle, un écoulement parallèle du divers ? Ou visent-elles une image trop harmonieuse du contact culturel (cf. Omhovère 2018), qui devrait être remise en question ? Le regard porté sur un moment confluent – par analogie avec la convivialité – offre-t-il la possibilité de penser et de rendre visibles les nouveaux récits culturels en tant que négociation fluide, sans synthétisation ni amalgame ? Et dans quelle mesure, en mettant l’accent sur la même matière, à savoir l’eau, peut-il faire passer la mince frontière entre le relativisme culturel et l’universalisme dans un lit de rivière plus large ?
La métaphore conceptuelle des confluences sera examinée dans la section en tant que paradigme analytique et motif littéraire à l’aide de lectures concrètes de textes de différents genres (narratif, essayiste, poésie, slam poétique, textes de chansons, théâtre, bande dessinée) du Québec au 21e siècle, afin d’évaluer son potentiel en matière de théorie culturelle et d’analyse textuelle.
Les contributions de la section, de préférence en français, mais également en allemand pourront porter sur :
- des perspectives sur les traditions littéraires, les motifs, les topoï et les procédés des « confluences »
- des différences diachroniques des images ‘fluides’ du contact culturel depuis les années 1980 dans les littératures et la théorisation
- les contributions littéraires à la renaissance autochtone et ses métaphores spécifiques pour le contact, le conflit et la concurrence culturels
- de l’imagerie et des stratégies littéraires spécifiques aux différents genres
- la ‘fluidité’ propre de l’oralité et de l’art de la performance, en particulier dans la poésie
- la fluidité des relations texte-image en BD
- le théâtre comme scène de négociation des identités auprès d’un large public québécois
Nous demandons des propositions de contribution en allemand ou en français, les résumés n’excédant pas 500 mots (bibliographie exclue). La soumission des résumés se fait à l’aide du formulaire ci-joint. Veuillez envoyer votre proposition jusqu‘au 31 janvier 2024 (date limite) aux adresses suivantes : dagmar.schmelzer@ur.de, struve@uni-bremen.de.
Les notifications d’acceptation seront envoyées avant le 28 février 2024.