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Norme et écarts à la norme (revue Les Chantiers de la Création)

Norme et écarts à la norme (revue Les Chantiers de la Création)

Publié le par Marc Escola (Source : Maxime Boeuf)

En vue de sa journée d’étude annuelle, la revue pluridisciplinaire en lettres, langues, arts et civilisations Les Chantiers de la Création s’intéresse au thème « Norme et écarts à la norme ».

La norme, en tant qu’ensemble de règles définies conventionnellement entre les humains dans un groupe donné, garantit l’existence de références communes. Elle est prescriptive et implique des jugements de valeur. C’est donc à partir d’une norme que s’élaborent la transgression, la subversion, expressions de la singularité et de la subjectivité, qui rendent à leur tour la norme mouvante.

Si les points de référence se transforment perpétuellement, il semble qu’une particularité de notre époque est qu’ils tendent à s’estomper autant qu’à se déplacer. Dans la littérature et les arts, l’hybridité et le polymorphisme des œuvres décale ou efface les notions de canon et entrave les tentatives de classification. Sur le plan linguistique, la reconnaissance de l’existence des langues minoritaires, régionales, des idiolectes, des variantes socio-culturelles interroge de plus en plus. Dans la recherche, l’effacement des frontières se perçoit aussi bien dans les modalités de recherche (transdisciplinarité mise à l’honneur), la méthodologie (approches particularisantes), l’intérêt pour la diversification des champs d’études (abandon de la distinction entre arts savants et arts mineurs, intérêt pour les minores en littérature), et les enjeux sociétaux des travaux (études postcoloniales, études de genre). La tendance semble à la pluralité des perspectives et au rejet de l’essentialisation. On peut donc se demander dans quelle mesure il est encore pertinent de parler de référence à la norme.

Mais dans le même temps, les phénomènes de prix, en récompensant des formes artistiques et littéraires originales, continuent de forger des canons en institutionnalisant les auteurs et autrices (pensons au Prix Nobel de littérature décerné à Bob Dylan en 2016). Les médias, les réseaux sociaux, façonnent des goûts communs, faisant basculer la transgression du côté du conformisme (comme c’est le cas pour l’artiste de street art Banksy). En octobre 2023, des sénateurs français ont proposé un projet de loi visant à interdire l’écriture inclusive dans les documents publics, ce qui reviendrait à fabriquer par la loi une norme linguistique, imposant des usages et régulant les discours.

Dans ce contexte ambivalent, nous proposons de réinterroger le concept de norme dans la langue, la littérature et les arts dans le monde. Les travaux peuvent concerner des sujets contemporains, ou s’appuyer sur des exemples du passé pour développer la question de la norme aujourd’hui.

L’effacement apparent de la notion de norme peut-elle conduire à imposer plus ou moins arbitrairement de nouvelles normes ? Une norme réapparaît-elle toujours quand on essaie de l’évincer ? Comment transgresser une norme quand celle-ci tend à s’estomper ? Comment une avant-garde devient-elle normative, ou au contraire, comment la référence délibérée à une norme peut-elle devenir atypique, déroutante, percutante ?

À titre indicatif, plusieurs perspectives pourraient être envisagées :

- On pourra réfléchir à la manière dont la norme oriente et fabrique les phénomènes de réception des œuvres, dans une perspective aussi bien synchronique que diachronique. La conformité d’une création artistique ou littéraire à une norme préexistante garantit-elle son succès auprès de ses contemporains ou risque-t-elle d’être attaquée pour son manque d’originalité, voire sa servilité à la norme ? À l’inverse, une œuvre s’écartant des normes de son époque peut dérouter et ainsi être perçue comme défectueuse, imparfaite, ou simplement mauvaise. Aussi, les artistes et écrivains aujourd’hui considérés comme avant-gardistes ont commencé par être âprement critiqués : le titre du tableau de Monet, Impression soleil levant, qui donna son nom au mouvement impressionniste, aura été inspiré par la moquerie du critique d’art Louis Leroy ; le tableau, aujourd’hui conservé au musée Marmottan à Paris, est unanimement regardé comme l’une des plus grandes œuvres de la peinture française. Normes et écarts à la norme modèlent ainsi des effets de réception qui évoluent dans le temps, jusqu’à s’inverser parfois. Aussi, si le théâtre de Voltaire, en accord avec l’esthétique dramaturgique du siècle précédent est particulièrement apprécié du public au XVIIIe siècle, il tombe dans l’oubli dès le XIXe siècle et est de nos jours encore pas ou peu lu. À l’inverse, des œuvres passées inaperçues au moment de leur publication sont aujourd’hui considérées comme des chefs-d’œuvre. On s’interrogera ainsi sur la notion de canon littéraire et sur les processus de canonisation – ou, au contraire, d’exclusion – de certaines œuvres.

- Ainsi, on pourra également s’intéresser à l’origine de la norme et à son établissement : qui sont les instances normatives ? Qui est-ce qui crée et institue une norme, une règle ou un modèle ? Les critiques et les médias, les pairs, mais aussi le grand public sélectionnent et excluent les œuvres selon leur conformité à une norme, mais leurs critères normatifs seront probablement divergents ; on pourra ainsi s’interroger sur la coexistence de plusieurs normes. L’institution scolaire joue également un rôle clef dans la mise en place d’un canon artistique et littéraire : le choix de certaines œuvres dans les programmes scolaires ainsi que dans les programmes de concours édicte la norme en proclamant la valeur de certaines productions culturelles contre d’autres qui seront mises de côté.

- La dimension politique de la norme : la fabrique d’un « canon » culturel et la promotion de certains modèles peuvent entrer dans des logiques politiques plus ou moins explicitées. La célébration nationaliste d’un·e auteur·ice, la mise en avant d’une identité, d’un patrimoine culturel sous-tendent les processus de canonisation de certaines œuvres, l’éviction d’autres. La composition des programmes scolaires répond quant à elle à un besoin d’affirmation et de consolidation de valeurs républicaines à tendance conservatrice, comme l’a montré par exemple l’imposition d’un choix limité de textes littéraires pour les classes de lycée en français ; les œuvres de Montaigne, La Bruyère, Molière ou Balzac, entre autres, apparaissent ainsi comme les « classiques » de la littérature française, que tout élève doit connaître.

- Normes et logiques économiques : la norme possède aussi des implications économiques non négligeables. La valeur artistique attribuée à une œuvre commande ainsi souvent sa valeur marchande. Le marché de l’art, les logiques éditoriales dans le monde du livre montrent assez que la norme est liée à des préoccupations commerciales. Le prix élevé d’un livre dans une édition luxueuse – Pléiade, par exemple – apparaît ainsi comme le gage de sa canonisation. Pourtant, un prix très bas peut avoir le même effet : les éditions scolaires de « classiques » sont aussi des acteurs importants dans l’institution de la norme. Aisément reconnaissables et très bon marché, à l’instar des iconiques livres jaunes de l’éditeur allemand Reclam, elles sont omniprésentes en librairie, sur les bancs des écoles et des universités. Des liens ténus se tissent donc entre ces phénomènes de publication, de vente et d’achat des productions culturelles et les questions de normes et d’écarts à la norme.

- Le rapport de l’œuvre elle-même à la norme : comment l’œuvre se pense-t-elle par rapport à la norme ou aux normes qui l’entourent ou qui la précèdent ? Existe-t-il un métadiscours propre aux œuvres elles-mêmes qui formulerait ce rapport – qu’il soit consensuel ou conflictuel – par rapport à la norme et à ses modèles ? Si ce métadiscours semble plus fréquent dans le cas des écarts à la norme, puisque c’est précisément cette déviance qui est revendiquée, il faudrait aussi sonder les œuvres qui se pensent en conformité à la norme.

- Norme linguistique : la langue constitue l’un des lieux privilégiés d’imposition, mais aussi de transgression de la norme. Les questionnements actuels autour de l’orthographe en France témoignent par exemple des polémiques que peut soulever la norme grammaticale. Les débats autour de l’écriture inclusive, la revalorisation des langues dialectales, les recherches autour de l’hybridité et du métissage linguistique mettent également en cause la notion de norme linguistique.

La revue Les Chantiers de la création étant une revue pour jeunes chercheurs et chercheuses, cet appel s’adresse exclusivement aux doctorant.e.s et aux jeunes docteur.e.s (thèse soutenue dans les 2 dernières années).

Les propositions de communications devront être envoyées avant le 26 février 2024 à l’adresse revue.lcc@gmail.com et ne pas dépasser les 500 mots (hors notes de bas de page). Elles seront accompagnées d’une courte notice biobibliographique et de l’institution de rattachement de l’auteur.e. Merci de nommer vos fichiers comme suit : NOM_NORME2024

Les propositions d’installations plastiques sont aussi les bienvenues.

La J.E. se tiendra le vendredi 3 mai 2024 à Aix-en-Provence, sur le campus Schuman de la faculté ALLSH. Elle sera suivie de la publication des actes dans le numéro 17 de la revue, à paraître à l’automne 2024. Les communicants devront donc soumettre leur article (20 000 à 30 000 caractères, espaces comprises) à une date qui leur sera communiquée ultérieurement, en respectant la feuille de style de la revue, disponible sur notre site Internet. L’article sera ensuite évalué par l’équipe de la revue.

Les frais de déplacement des communicant.e.s pourront normalement être pris en charge partiellement (soit le transport, soit l’hébergement). Il n’est donc pas exclu que pour compléter, les communicant.e.s doivent demander une prise en charge partielle à leur institution de rattachement.

Bibliographie indicative :

Audet, René. Enjeux du contemporain. Éditions Nota bene, Fonds (littérature), 2009. 

Audet, René. « Nommer, et faire advenir, les arts littéraires : attestation des pratiques vivantes de la littérature ». Itinéraires, 2023.  https://doi.org/10.4000/itineraires.12515  

Bahar, Saba, Valérie Cossy. « Le canon en question : l’objet littéraire dans le sillage des mouvements féministes ».  Nouvelles Questions Féministes, vol. 22, n°2, 2003, pp. 4-11.  

Boutier, Jean, Jean-Claude Passeron, Jacques Revel (dir.). Qu’est-ce qu’une discipline ? Éditions de l’École des hautes études en sciences sociales, 2006.  https://doi.org/10.4000/books.editionsehess.20041  

Klinkenberg, Jean-Marie. « Normes linguistiques, normes sociales, endogenèse ». Dans : Normes endogènes et plurilinguisme : Aires francophones, aires créoles, Lyon, ENS Éditions, 2008. https://doi.org/10.4000/books.enseditions.30803  

Louis, Annick. Sans objet. Pour une épistémologie de la discipline littéraire. Herman, 2021. 

Merlin-Kajman, Hélène. L’Excentricité académique. Littérature, institution, société. Les Belles Lettres, 2001.  

Naudier Delphine. « La fabrication de la croyance en la valeur littéraire ». Sociologie de l'Art, 2004/2 (OPuS 4), pp. 37-66. https://doi.org/10.3917/soart.004.0037  

Pavel, Thomas. « Les genres littéraires : entre normes et bonnes habitudes ». Dans : L'histoire littéraire à l'aube du XXIe siècle : Controverses et consensus, édité par Luc Fraisse. Presses Universitaires de France, 2005, pp. 579-589.  https://doi.org/10.3917/puf.frai.2005.01.0579  

Piat, Florence, Laurey Braguier-Gouverneur (dir.). Normes et transgressions dans l’Europe de la première modernité. Presses universitaires de Rennes, 2013.