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Les animaux dans les littératures contemporaines de langue française : approches zoopoétiques et écopoétiques (Cluj-Napoca, Roumanie)

Les animaux dans les littératures contemporaines de langue française : approches zoopoétiques et écopoétiques (Cluj-Napoca, Roumanie)

Publié le par Vincent Ferré (Source : Diana Mistreanu)

Les animaux dans les littératures contemporaines de langue française :

approches zoopoétiques et écopoétiques 

Université Babeș-Bolyai de Cluj-Napoca, Roumanie

du 30 mai au 1er juin 2024

  

« Le désir de promouvoir plus de justice envers les animaux exprime le désir de construire des relations où, au lieu d’exercer son pouvoir sur autrui (power over), on cherche à déterminer les règles d’une cohabitation plus respectueuse de chacun et à exercer sa capacité d’agir (power to). C’est pourquoi la cause animale est l’un des éléments pouvant réenclencher un processus civilisationnel. »

Corine Pelluchon, Réparons le monde. Humains, animaux, nature,

Paris, Payot & Rivages, 2020, p. 42.  

« Notre anthropomorphisme, notre empathie, nos égards vis-à-vis de l’autre sont à géométrie variable. Notre façon de percevoir le monde et ses colocataires, nos interactions avec eux doivent être interrogées. […] L’éthologie constructiviste nous aide à considérer les êtres vivants pour ce qu’ils sont : des sujets dont nous devons apprendre à adopter la perspective, à tenir compte du sens qu’ils donnent à leur environnement et que celui-ci confère à leur existence. Nous devons admettre qu’ils vivent à la première personne. »

 Fabienne Delfour, Que pensent les dindes de Noël ? Oser se mettre à la place de l’animal,

Paris, Tana éditions, 2019, p. 14.

Appel à communications :

Après avoir souvent été dévalué par les hiérarchies et les systèmes axiologiques anthropocentriques enracinés dans la civilisation judéo-chrétienne, le statut de l’animal dans la culture occidentale a subi une mutation dans la seconde moitié du XXe siècle. L’activisme et le militantisme pour les droits, la protection ou la libération des animaux, la dénonciation du spécisme, l’émergence d’une conscience environnementale à la lumière de la crise écologique que nous sommes en train de traverser et l’avènement des sciences cognitives et de l’éthologie constructiviste ont engendré de nouvelles conceptions de l’animal. Ces dernières reposent sur une interrogation critique de la valeur accordée à l’existence animale par rapport à la vie humaine, ainsi que du statut d’objet auquel l’animal a longtemps été réduit. Ainsi, à la lumière de recherches en neurosciences affectives portant sur les émotions des animaux [1] et d’œuvres philosophiques comme celles de Philippe Descola [2], Élisabeth de Fontenay [3], Peter Singer [4], ou Corine Pelluchon [5], la vision cartésienne de l’animal-machine, dépourvu d’émotion et de conscience, vision renforcée par le paradigme behaviouriste dans la première moitié du XXe siècle [6], laisse aujourd’hui la place à une nouvelle façon de penser les bêtes, caractérisée par une dé-chosification de ces dernières, ainsi que par un souci de leur rendre leur subjectivité et leur dignité. Cette tendance nous amène à questionner les ressorts et le fonctionnement de notre biophilie, à savoir l’« attention particulière des humains vis-à-vis des autres formes de vie » [7], de même qu’à réexaminer le rapport de coévolution entre l’humain et l’animal. Comme le précise Anne Simon, « les bêtes ravissent les humains. Elles leur procurent de la joie, elles les fascinent, elles les dévorent, elles les délogent, et, parfois, les rendent à eux-mêmes quand leur humanité leur a été arrachée […]. Les animaux frangent le monde humain, en effilochent la trame trop unitaire » [8], ne cessant pas de constituer pour ces derniers aussi bien un sujet de réflexion qu’un objet de représentation.

Ce colloque se propose par conséquent d’interroger les littératures contemporaines d’expression française afin de découvrir dans quelle mesure elles héritent de l’anthropocentrisme pluriséculaire ayant régi la mise en scène des animaux, et jusqu’où elles transmettent une vision plus juste de ces derniers, permettant d’entrevoir la subjectivité et l’altérité radicale de l’animal. Nous nous demanderons jusqu’où « la fin de l’exception humaine » [9] et les mutations contemporaines dans la réflexion sur le vivant promues par la philosophie, les sciences cognitives ou les humanités environnementales se reflètent dans la production littéraire contemporaine. Pour reprendre le titre de l’essai de Vincent Lecomte, nous examinerons la littérature « à l’épreuve de l’animal » [10], articulant les dimensions écologiques, sociales, politiques et culturelles qui accompagnent l’illustration des bêtes dans la fiction. Il s’agit ainsi d’explorer la manière dont la zoopoétique, qui selon Kári Driscoll et Eva Hoffmann, s’intéresse à l’animal en tant que sujet [11], et l’écopoétique, qui étudie les représentations littéraires des nombreux rapports qui existent entre les différentes facettes du vivant, peuvent nous aider à rendre compte du statut de l’animal dans la fiction. Les sillages conceptuels zoopoétiques et écopoétiques tracés dans la critique et la théorie littéraires de langue française par, entre autres, des chercheurs comme Anne Simon, Pierre Schoentjes, Sara Buekens, Lucile Desblanche, Xavier Garnier, Jean-Christophe Cavallin, Alain Romestaing, ainsi que les équipes faisant partie des programmes Animots, Organismes et Animalittérature, serviront de cadre de réflexion à l’analyse de l’illustration des animaux dans la littérature contemporaine de langue française. 

Les axes et questions envisagés, à travers les cadres théoriques de la zoopoétique et de l’écopoétique, mais ouverts également à des approches éthiques, esthétiques, stylistiques, narratologiques, cognitivistes ou empiriques, peuvent être les suivants (liste non exhaustive) : 

1)    la relation entre l’animal, l’humain et la transition écologique : dans un monde abîmé et dépourvu de cohérence [12], quelles sont les relations entre les animaux, l’éthique du care et la « réparation du monde », au sens de Corine Pelluchon et d’Alexandre Gefen [13] ? Comment la prédation et l’exploitation, la pêche intensive, la chasse et la pollution sont-elles prises en charge par la fiction ? Le rapport à l’animal influence-t-il les habitudes de consommation des personnages contemporains, se reflète-t-il dans leur diète et leurs choix alimentaires, et contribue-t-il à l’émergence d’une nouvelle éthique du rapport humain-animal ?

2)    animaux, affect et attitudes : quels sont les comportements, les émotions et les sentiments ressentis envers les animaux, et comment sont-ils représentés ? Quelles sont les illustrations de l’activisme, du militantisme et de la lutte pour les droits des animaux ? Quels sont les affects accompagnant la mise en scène de l’animal ? 

3)    l’animal entre objet et sujet : dans quelle mesure et par quels outils narratologiques et stylistiques les représentations littéraires des animaux réussissent-elles à s’émanciper du regard et des projections des humains ? La littérature contemporaine se libère-t-elle de « the human gaze » dans l’illustration de l’animal, pour faire émerger l’individualité, l’altérité et la subjectivité de ce dernier ? 

4)    animaux et empathie : quelles sont les illustrations de l’empathie des humains envers les animaux, et quelles en sont les limites ? De même, quelle est la relation entre les animaux et la capacité à ressentir de l’empathie ? Comment cette dernière est-elle représentée, quel en est l’objet, et quand et pourquoi est-elle perturbée, voire absente ?

5)    l’esprit animal : en suivant l’injonction de Marco Caracciolo à construire un terrain théorique commun entre les humanités environnementales et les approches cognitivistes de la fiction [14], nous nous proposons d’interroger les illustrations de l’activité mentale des animaux, des processus cognitifs de ces derniers et du fonctionnement de l’esprit animal, par ailleurs négligé par les études littéraires cognitives s’intéressant notamment à la relation entre la fiction et le fonctionnement mental des humains ; 

6)    animaux et langage : comment est restituée la communication entre les animaux, quelles sont les techniques narratologiques et stylistiques de l’illustration du langage animal et des échanges entre ces derniers et les personnages humains ? Quels sont les mécanismes par lesquels la mise en scène de l’animalité informe, pour citer Anne Simon, « ce qui peut être pourtant considéré comme un propre de l’espèce humaine : le langage créateur » [15] ? Comment concilier cette perspective avec les travaux de Baptiste Morizot [16] et de Vinciane Despret [17] qui soutiennent l’existence d’un langage animal doué de profondeur sémantique, ainsi que celle d’une possible écriture animale ?

7)    l’animal dans les mondes diégétiques non naturels : quelles sont les illustrations contemporaines des animaux qui se jouent sur le terrain d’investigation de la narratologie non naturelle, c’est-à-dire des œuvres s’éloignant des lois logiques et physiques du monde réel pour acquérir des attributs dont ce dernier est dépourvu, transgressant les normes et mettant en scène « des éléments non actualisables dans le monde réel » [18], dans l’objectif de défamiliariser et surprendre le lecteur ? Quelles sont les occurrences et quels pourraient être les usages des animaux illustrés dans des mondes diégétiques non naturels ?

Ce colloque s'inscrit dans la continuité des travaux sur la représentation des animaux en littérature menés à l'Université Babeș-Bolyai par Marius Popa et Andreea Bugiac. Mentionnons notamment le colloque « L’animal en littérature, entre fantaisie et fantastique » (2021) et le volume collectif édité par les deux chercheurs, L’animal en littérature, entre fantaisie et fantastique. Actes du colloque de célébration du quatrième centenaire de la naissance de Jean de La Fontaine (1621-2021), Cluj-Napoca, Casa Cărții de Știință, coll. « Limbi și literaturi străine », 2022.

Modalités de soumission d’une proposition :

Les propositions de communication ne devront pas dépasser 300 mots et seront accompagnées d’une notice bio-bibliographique d’environ 150 mots. Elles seront envoyées par email au format Word à colloque.animallitterature2024@gmail.com avant le 31 janvier 2024. Les frais d’inscription sont de 90 euros, et de 70 euros pour les doctorants. 

Calendrier :

-date limite de la soumission d’une proposition : avant le 20 février 2024 ;

-notification d’acceptation : le 25 février 2024 ;

-dates et lieu du colloque : du 30 mai au 1er juin 2024, Faculté des Lettres de l’Université Babeș-Bolyai de Cluj-Napoca, Roumanie. 

Comité d’organisation :

Sylvie Freyermuth (Université du Luxembourg), Andrei Lazar (Université Babeș-Bolyai), Diana Mistreanu (Université de Passau), Marius Popa (Université Babeș-Bolyai)

Ouvrages cités :

[1] Voir notamment les travaux de Jaak Panksepp, pionnier de la recherche sur les émotions animales dans une perspective neurocognitive. Cf. Jaak Panksepp, Affective Neuroscience : The Foundations of Human and Animal Emotions, Oxford, Oxford University Press, 2004.
 
[2] Entre autres, Philippe Descola, Par-delà nature et culture, Paris, Gallimard, 2005.
 
[3] Élisabeth de Fontenay, Le silence des bêtes : la philosophie à l’épreuve de l’animalité, Paris, Fayard, 1998.
 
[4] Peter Singer, Animal Liberation : A New Ethics for our Treatment of Animals, New York, New York Review/Random House, 1975.
 
[5] Parmi les nombreux travaux de Corine Pelluchon portant sur l’écologie et la cause animale, le lecteur pourra consulter : Réparons le monde. Humains, animaux, nature, Paris, Payot & Rivages, 2020 et « Penser la place de l’expertise et de la délibération éthique en politique. Réflexions sur les conditions d’une plus grande innovation dans l’action environnementale et en bioéthique », in Thierry Martin (éd.), Éthique de la recherche et risques humains, Besançon, Presses Universitaires de Franche-Comté, 2014, p. 131-147.

[6] Fabienne Delfour, Que pensent les dindes de Noël ? Oser se mettre à la place de l’animal, Paris, Tana éditions, 2019, p. 15.

[7] Ibid., p. 23.

[8] Anne Simon, Une bête entre les lignes. Essai de zoopoétique, Marseille, Wildproject, 2021, p. 15.

[9] Jean-Marie Schaeffer, La fin de l’exception humaine, Paris, Gallimard, 2007.

[10] Vincent Lecomte, L’art contemporain à l’épreuve de l’animal, Paris, L’Harmattan, 2021.

[11] Kári Driscoll et Eva Hoffmann, « Introduction : What Is Zoopoetics ? », in Kári Driscoll et Eva Hoffmann (éds.), What Is Zoopoetics ? Texts, Bodies, Entanglement, Londres, Palgrave, 2017, « Palgrave Studies in Animals and Literature », p. 1-13.

[12] Corine Pelluchon, Réparons le monde. Humains, animaux, nature, Paris, Payot & Rivages, 2020, p. 11.

[13] Corine Pelluchon, Réparons le monde. Humains, animaux, nature, Paris, Payot & Rivages, 2020, et Alexandre Gefen, Réparer le monde. La littérature française face au XXIe siècle, Paris, José Corti, 2017.

[14] Marco Caracciolo, « Littérature, inscription corporelle de l’esprit et chemin vers l’espace intérieur », in Sylvie Freyermuth et Diana Mistreanu (éds.), Explorations cognitivistes de la théorie et la fiction littéraires, Paris, Hermann, 2023, p. 151-173, trad. de l’anglais par Rozenn Laurence Bouille.

[15] Anne Simon, Une bête entre les lignes. Essai de zoopoétique, Marseille, Wildproject, 2021, p. 22.

[16] Baptiste Morizot, Les Diplomates. Cohabiter avec les loups sur une autre carte du vivant, Marseille, Wildproject, 2016 ; voir aussi Baptiste Morizot, Manières d’être vivant. Enquêtes sur la vie à travers nous, Arles, Actes Sud, 2020.

[17] Vinciane Despret, Autobiographie d’un poulpe et autres récits d’anticipation, Arles, Actes Sud, 2021.

[18] Jan Alber, Unnatural Narratives. Impossible Worlds in Fiction and Drama, University of Nebraska Press, Lincoln et Londres, 2016, p. 3, notre traduction.