Métamorphoses des mythes
Le site En attendant Nadeau revient sur l’édition 2023 du festival de science-fiction de Nantes « Les Utopiales », dans deux livraisons de sa chronique « Hypermondes » : entretiens avec deux écrivaines — Claire North et Nina MacLaughlin — qui questionnent les mythes fondateurs de l’Occident d’un point de vue féminin et proposent des univers fictionnels d’une grande originalité.
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« L’acte d’écrire est une métamorphose » : entretien avec Nina MacLaughlin
par Sébastien Omont (en ligne le 4 décembre 2023)
Sur Sirène, debout. Ovide rechanté. Trad. de l’anglais (États-Unis) par luvan. La Volte, 320 p., 22 €
Sirène, debout n’est pas seulement la réécriture d’un point de vue féminin des Métamorphoses d’Ovide. C’est un texte inventif et rythmé, aux accroches surprenantes, remarquablement traduit, dont l’intensité dans la dénonciation des violences faites aux femmes se combine à la variété de ses voix et à l’attention poétique aux éléments concrets du monde. À l’occasion des Utopiales, dont elle était l’une des invitées, rencontre avec son autrice, Nina MacLaughlin.
Comment est né le projet de réécrire les Métamorphoses ? Aviez-vous un rapport particulier avec le livre d’Ovide ?
Après avoir étudié le latin et le grec ancien au lycée, j’ai poursuivi à l’université des études de lettres classiques. Je me suis sentie fortement liée à ces matières et aux Métamorphoses en particulier. C’est un texte magnifique, aux histoires vitales et pertinentes encore aujourd’hui. Pendant que j’écrivais mon premier livre, qui racontait comment j’avais quitté mon travail de journaliste pour devenir charpentière, j’avais besoin de lire un texte très différent du matériau sur lequel je travaillais : je me suis dit que ce poème de douze mille vers n’influencerait pas mon projet en cours. Cependant, de manière complètement inattendue, les Métamorphoses se sont intégrées à la colonne vertébrale de mon livre autobiographique, autour de l’idée de se transformer en charpentière après avoir été journaliste. Puis, quand j’ai décidé d’arrêter le travail du bois pour davantage me consacrer à l’écriture, comme un exercice, pour remettre en forme mes muscles d’écrivain, je me suis mise à réécrire l’histoire de Callisto. En faire un livre n’était pas un projet conscient, mais, dès que j’ai commencé, quelque chose s’est déclenché et, en trois mois, les histoires se sont enchaînées. […]
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« Que l’égalité des genres soit reconnue ! » : entretien avec Claire North
par Sébastien Omont (en ligne le 4 décembre 2023)
Dans une trilogie en cours, dont Pénélope, reine d’Ithaque est le premier tome, Claire North étudie avec ironie et subtilité les problèmes qui se posent aux femmes exerçant le pouvoir dans des sociétés patriarcales. En même temps, elle fait vivre de manière très évocatrice une île de la Méditerranée à la période mycénienne. En 2022 et 2023, ont également été traduits les trois tomes (Le serpent, Le voleur et Le maître, éd. Le Bélial’) de La maison des jeux, dont l’écriture témoigne de la finesse et de la maestria d’une autrice parmi les plus intéressantes de la science-fiction et de la fantasy actuelles. Pendant le festival des Utopiales, elle a répondu aux questions d’En attendant Nadeau.
Sur Pénélope, reine d’Ithaque. Trad. de l’anglais par Karine Forestier. Hauteville. 512 p., 19,95 €
Comment le projet de réécrire l’Odyssée du point de vue de Pénélope est-il né ?
Deux choses m’intéressaient pour Pénélope, reine d’Ithaque : d’abord, ce que serait une île d’où tous les hommes auraient disparu, ce qui, si l’on réfléchit à l’Iliade et l’Odyssée d’un point de vue géopolitique, aurait pu être le cas d’Ithaque. Ulysse aurait emmené à la guerre la fine fleur des hommes d’Ithaque, puis, pendant dix ans, il aurait mobilisé de plus en plus de garçons et de ressources, qui ne seraient jamais revenus. Ce qui signifie que les seules personnes à même de diriger l’île auraient été des femmes. Je voulais donc voir à quoi cela pourrait ressembler dans une société très patriarcale. L’autre chose qui m’intéressait vraiment était la position de Pénélope en tant que reine. Élisabeth Ire d’Angleterre a eu ce problème d’être une femme régnant à une époque où les femmes n’étaient pas censées exercer le pouvoir. En France, à la même époque, Marie de Médicis était une femme très puissante mais, parce qu’elle avait osé exercer le pouvoir, l’Histoire l’a présentée comme un serpent et une louve. Si une femme exerçait seule le pouvoir, elle risquait d’être considérée comme un tyran. Elle pouvait épouser un homme pour être légitime. Mais si la reine d’Angleterre avait épousé le roi de France, cela aurait entraîné la guerre avec l’Espagne ; si elle avait épousé le roi d’Espagne, la guerre avec la France ; si elle avait épousé le duc de Norfolk, la guerre avec le roi d’Écosse. Et si elle refusait un prétendant, elle courait le risque qu’il décide d’envahir l’Angleterre. Pendant des années, elle a donc jonglé entre ne pas dire tout à fait oui et ne pas dire tout à fait non. Comme je n’étais pas particulièrement intéressée par Élisabeth Ire, j’ai choisi Pénélope. […]