Penser femmes et relations dans l’espace en crise
Colloque annuel de l’APFUCC (15 au 19 juin 2024)
Université McGill, Montréal
Responsables d’atelier
Amel Chiheb, Université Laval
Anaïs Metoukson, Université laval
L’urgence écologique est indéniablement plus qu’un épiphénomène. La crise climatique se manifeste par un changement drastique et irréversible de l’espace immédiat dans lequel se négocient les identités contemporaines, également dépendantes des faits sociopolitiques et socioculturels. Quand l’ordre établi d’un territoire donné est perturbé par des changements environnementaux catastrophiques, ou même par l’avènement d’idéologies ou systèmes hégémoniques (patriarcat, choc des civilisations à travers le colonialisme et l’immigration, esclavagisme, fascisme, capitalisme, terrorisme) aux effets semblables, il se produit un réagencement de la part des individus quant à la manière de concevoir l’espace devenu étrange. Dans le cadre de cette rencontre scientifique, nous voudrions plus particulièrement nous intéresser à la manière dont différents personnages féminins réagissent à des bouleversements au sein des textes postcoloniaux anglophones ou francophones écrits par des femmes. En effet, si « l’espace et l’organisation politique de l’espace traduisent les relations sociales mais réagissent aussi à elles » (notre traduction ; Harvey 306), comment une crise peut-elle mettre en lumière les phénomènes, les institutions, les valeurs ou les rôles socio-politiques en vigueur ? Cette même crise force-t-elle des redéfinitions qui auront, en retour, un effet profond sur l’espace, tel que le (dé) ou le (re) légitimer, en retracer les frontières, créer ou défaire des alliances politiques et intimes, favoriser de nouvelles représentations du monde ou en faire la métaphore d’expressions identitaires originales ? Y-a-t-il un rôle et un sens (apparents ou latents) quant à la performance et à l’identité des personnages féminins au courant des mutations et remaniements à l’oeuvre ? En l’occurrence, notre atelier veut examiner le type de dialectiques (statique, chaotique, dynamique, révolutionnaire, etc.) se dessinant entre une situation d’urgence et la dynamique des relations humaines via le point de vue des actants féminins.
La singularité de la perspective féminine nous interpelle pour deux motifs complémentaires. La subjectivité humaine est faite de « l’intériorité close, qui vise à s’assurer de soi dans la maîtrise et la transparence, et une intériorité ouverte faite d’aventures » (Housset 15), c’est-à-dire transcendante, tournée vers autre chose que soi, comme autrui ou l’objet (artificiel ou naturel). « [En] ce sens », dit aussi le philosophe Charles Taylor, « la genèse de l’esprit humain n’est pas monologique, n’est pas ce que quelqu’un accomplit par ses propres moyens, mais dialogique. » (notre traduction ; 32) Or, des psychanalystes et éthiciennes féministes comme Nancy Chodorow, Elizabeth Abel, Phyllis Chesler ou Carole Gilligan ont pu arguer que l’identité des femmes relève davantage de l’entrée et du maintien continu des relations, voire d’un désir de symbiose. Le soi féminin craindrait la séparation et irait « de pair avec une quête de l’Autre. C’est une quête pour la communauté, pour une appartenance qui rétablirait la continuité interrompue entre l’intériorité et l’extérieur qui lui était refusé. » (notre traduction ; Gilligan 31) Pour autant, cette quête est confrontée à bien des défis – il existe, par exemple, une « inhumanité des femmes envers les femmes » (notre traduction ; Chesler 25) – car, pour peu qu’elle soit essentielle, l’entrée en relation n’est ni une aptitude innée, ni intrinsèquement profitable: l’action peut être maladroite, non informative, manquée, coercitive ou véritablement cruelle, l’échange se révélant blessant pour l’identité et infernal à l’échelle de la collectivité. L’on peut donc se demander comment des intériorités portées par le désir de l’interaction et de la communion composent avec des espaces où de graves perturbations (pandémies, exodes, émigration et immigration massive des peuples, destructions cataclysmiques, guerres, etc.) contrecarrent davantage la possibilité de rapprochements entre êtres vivant, de bâtir de (saines) communautés.
De surcroît, nombre d’autrices postcoloniales voient « un lien inextricable entre une conscience féministe [ou, tout du moins, une conscience soucieuse du sort des femmes] et une orientation socialiste – toutes deux engagées pour la liberté totale de tout peuple. » (notre traduction ; Boyce Davies & Adams Graves 11) Pensons à Eyabe dans La saison de l’ombre de Léonora Miano qui, à la suite d’un incendie ravageur et de l’enlèvement de jeunes enfants, renverse le statu quo de l’immobilisme assigné aux villageoises. Prélude à la Traite transatlantique, le rapt déclenche un périple féminin qui renforce la relation entre les défunts et les vivants (l’Histoire et le présent), redéfinit la notion de territoire culturel et renverse l’inéquitable paradigme d’autorité entre hommes et femmes. Évoquons également Amina, dans Surtout ne te retourne pas de Maïssa Bey, qui questionne sa place et son rôle au sein de sa famille et de la société suite à un tremblement de terre. La catastrophe naturelle déclenche une quête identitaire féminine qui met en exergue une crise sociopolitique préexistante: le fondamentalisme religieux de la décennie noire en Algérie. Dans La servante écarlate de Margaret Atwood, la pollution environnementale mène la république de Gilead vers un régime totalitaire, poussant Defred vers une pratique épistolaire dans laquelle elle se révolte contre un patriarcat qui réduit les femmes à leur fonction reproductrice et les prive de leur agentivité. Enfin, dans Poste restante, Beyrouth de Hanan El-Cheikh, Asmahan vit dans un Beyrouth ravagé par la guerre. Elle écrit alors des lettres dans lesquelles elle déconstruit et réévalue ses relations à diverses entités au socle de son identité: amie, amants, guerre, objets, ville, évènements. Ainsi donc, la focalisation narrative et discursive féminine n’est pas exempte de préoccupations et d’élucidations d’ordre post-humaniste, politique, historique, éthique ou même écologique qui interpellent l’ensemble des consciences humaines.
Au prisme de diverses crises, les relations suivantes peuvent, entre autres, faire l’objet d’analyses:
- Relations entre femmes
- Relations entre femmes et famille
- Relations entre femmes et monde intérieur
- Relations entre femmes et hommes
- Relations entre femmes, faune et flore
- Relations entre femmes, urbanité et/ou ruralité
- Relations entre femmes d’origines et de milieux différents
- Relations entre femmes et monde spirituel
- Relations entre femmes et monde inanimé
- Relations entre femmes et espaces physique, virtuel, publique et/ou intime.
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Modalités de participation :
- Date limite pour l’envoi des propositions (titre, résumé de 250-300 mots, adresse, affiliation et notice bio-bibliographique de 150 mots) à amel.chiheb.1@ulaval.ca et à anais.metoukson-delangue.1@ulaval.ca avant le 15 janvier 2024.
- Le colloque annuel 2024 de l’APFUCC sera en personne. Il se tiendra dans le cadre du Congrès annuel de la Fédération des sciences humaines du Canada et la Fédération n’offre pas de soutien pour des interventions en ligne cette année.
- Les personnes ayant soumis une proposition de communication recevront un message des personnes responsables de l’atelier avant le 30 janvier 2024 les informant de leur décision.
- L’adhésion à l’APFUCC est requise pour participer au colloque. Il faut également régler les frais de participation au Congrès des Sciences humaines ainsi que les frais de conférence de l’APFUCC. De plus amples informations vous seront envoyées à ce sujet. Vous ne pouvez soumettre qu’une seule proposition de communication, présentée en français (la langue officielle de l’APFUCC), pour le colloque 2024.
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Ouvrages cités
Al-Shaykh, Hanan. Beirut Blues. Anchor, 1996.
Atwood, Margaret. The Handmaid’s Tale. Anchor, 1998.
Bey, Maïssa. Surtout ne te retourne pas. Éditions de l’Aube, 2005.
Chesler, Phyllis. Woman’s Inhumanity to Woman. Lawrence Hill Books, 2009.
Davies, Carole Boyce, and Anne Adams Graves. Ngambika: Studies of Women in African Literature. Africa Research and Publications, 1986.
Gilligan, Carol. In a Different Voice: Psychological Theory and Women’s Development. Harvard University Press, 1993.
Harvey, David. Social Justice and the City. University of Georgia Press, 2010.
Housset, Emmanuel. L’intériorité d’exil: Le Soi au risque de l’altérité. Cerf, 2008.
Miano, Léonora. La saison de l’ombre. Grasset, 2013.
Taylor, Charles. Multiculturalism: Examining the Politics of Recognition. Princeton University Press, 2017.