
À quoi fait référence l’expression « Y a embrouille » ? Une bagarre ? Une joute verbale ? Un conflit sans grande importance ? L’embrouille apparaît comme omniprésente dans nos quartiers, dans la bouche des jeunes et leurs conversations Snapchat, WhatsApp… dans les salles de classe au collège ou au lycée, jusque dans les procès-verbaux tapés par les policiers pour des affaires criminelles.
Certains diront que l’embrouille est l’arbre qui cache la forêt d’une violence en pleine recrudescence chez nos jeunes. « Regardez comme ils se parlent mal et se battent pour un rien. » Les émissions de télévision aux voix off inquiétantes fleurissent et relèguent petit à petit celle-ci au simple statut de menaces servant les discours politiques méprisant les pauvres et les minorités et n’envisageant pas d’autre solution que le contrôle, la surveillance et la répression. Mais l’embrouille est bien plus que ça, bien plus qu’un fait divers.
En repartant du terrain, interrogeant les protagonistes et intervenants locaux, le sociologue Marwan Mohammed nous apporte de nouveaux éclairages, fruit d’une quinzaine années de recherches sur ce phénomène à la fois très ancien et en constante transformation. L’embrouille permet aux jeunes d’exprimer leur loyauté, leur identité sociale, une quête de respectabilité dans un contexte d’échec : "Je m’embrouille donc je suis."
Un essai sociologique incarné et accessible qui ne se contente pas de décrire et d’analyser, mais permet également de construire des stratégies d’action éclairées par la recherche.
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On peut lire sur en-attendant-nadeaufr un article sur cet ouvrage :
"Derrière les rivalités entre quartiers", par Wajdi Limam (en ligne le 2 décembre 2023).
Depuis trente ans, les « embrouilles » ont fait au moins cent vingt morts en France. Comme dans le cas de Veli, un adolescent de quinze ans, tué par arme blanche « par des individus en fuite », dit le rapport de police, ce qui entoure ces drames a été rarement explicité. L’ouvrage du sociologue Marwan Mohammed fera date, tant il satisfait notre besoin de compréhension de ce qui se passe sur l’autre scène, celle, comme on l’appelle, du « quartier ». Cette scène qui alimente les rubriques des faits divers, par la comptabilité morbide qui est présentée. Cette scène qui ne se donne pas à voir et qui est vue du côté des médias, des institutions, des appareils sécuritaires uniquement comme des espaces physiques et symboliques de violences, de trafics, d’illégalité. Cette scène qui nourrit les inquiétudes sur le plan de l’ordre public et qui irrigue les territoires de dispositifs visant à mettre fin aux « rixes ».