Actualité
Appels à contributions
Jocelyne Saab, reporter, cinéaste, au service de l’histoire (Aix-en-Provence)

Jocelyne Saab, reporter, cinéaste, au service de l’histoire (Aix-en-Provence)

Publié le par Marc Escola (Source : Léa Polverini)

Jocelyne Saab, reporter, cinéaste, au service de l’histoire

Deux journées d’études organisées par Mathilde Rouxel, Léa Polverini et Aude Locatelli

14-15 Février 2024 – Aix-Marseille Université, laboratoire du Cielam (Aix-en-Provence)

«[En 1976, après la diffusion de mon film Les Enfants de la guerre,] je me suis fait condamner à mort comme traître à ma communauté. J’étais poursuivie et je n’oublierai jamais cette scène. J’avais fait ce film qui était passé sur France 2, au journal télévisé, donc à une bonne heure d’écoute. Le même jour, alors que j’étais à Beyrouth, je passe dans la rue Hamra, celle qu’on appelait les Champs-Élysées, près du Horse Shoe le café des intellos, et là-bas les marchands de journaux étalaient les journaux sur des petites caisses en carton, et je vois la une : « Condamner Jocelyne Saab », « Juger Jocelyne Saab ». Sur l’illustration, j’avais un bandeau sur l’œil et une tête de prostituée. J’ai eu peur et j’ai compris la guerre à ce moment-là. J’ai remonté toute la rue et j’ai acheté peut-être cinquante exemplaires du journal, comme si je voulais me sécuriser. J’ai lu et relu cet article insultant, injurieux, intolérant.»

Après son décès le 7 janvier 2019, Jocelyne Saab a laissé une œuvre riche et trop peu connue de son vivant. Journaliste dès 1970 au Liban, reporter de guerre à partir de 1973 pour la télévision française, elle prend son indépendance en tant que documentariste à partir de 1974. Elle réalise plus d’une vingtaine de documentaires, courts et longs-métrages, en 16 mm entre 1974 et 1989, se lance dans la fiction dès 1984, puis continue de proposer des films documentaires à la télévision française, tournés en vidéo dans les années 1990. En 2005, elle réalise après sept ans de travail acharné sa grande fiction Dunia, son premier film en numérique, étouffé par une censure insidieuse en Égypte, pays où il a été tourné. Saab se saisit alors d'autres formes d’expression : la vidéo d’art, l’installation mix-médias et la photographie, jusqu’à sa dernière œuvre, un livre d’images, Zones de guerre (2018).

Témoignage d’un monde disparu, ces images étaient essentielles pour Jocelyne Saab. À chaque étape de sa carrière prolifique, Jocelyne Saab revient sur les films qu’elle a réalisés durant la guerre civile qui a déchiré son pays, le Liban. D’une œuvre à l’autre, les images reviennent. Après la guerre lancée en 2006 par l’armée israélienne contre le Liban, Jocelyne Saab construit l’installation Strange Games and Bridges (2007) dans laquelle les images des infrastructures détruites par les Israéliens en 2006 croisent celles de la guerre civile de 1975-1990, trente ans après avoir été tournées. Son dernier projet de long-métrage, un documentaire hybride dans lequel elle souhaitait raconter l’histoire de la fondatrice de l’armée rouge japonaise au Liban, Fusako Shigenobu, et du destin de sa fille Mei dissimulée pendant 27 ans pour la protéger du Mossad, avait encore pour projet de donner à voir ces images d’une Beyrouth disparue.

Fondamentales pour l’écriture de l’Histoire, les images de Jocelyne Saab présentent un autre point de vue, libre et audacieux, qui a su s’exporter sur les chaînes de télévision et dans les festivals du monde entier et qu’il est utile aujourd’hui de revoir avec attention. Ses films, tournés à travers le Maghreb et le Machreq, sur une période au long cours où se reconfiguraient les équilibres et déséquilibres de la région, ont immortalisé une époque et un monde en recomposition. Restés longtemps dans l’ombre, peu accessibles et difficiles à diffuser, ils suscitent aujourd’hui un intérêt grandissant, dont la cinéaste n’a malheureusement pu connaître que le balbutiement.

Accompagnant la rétrospective intégrale des films de Jocelyne Saab présentée à Marseille dans différentes salles de cinéma du 7 au 28 février 2024, ainsi que la sortie d'une partie de sa filmographie chez les Mutins de Pangée, qui regroupe les 15 premiers films documentaires de Jocelyne Saab ayant récemment fait l’objet d’une restauration (période 1975-1982), ces journées d’études ont pour objectif d’offrir une contextualisation historique, artistique et politique à l’émergence de ces images. Regroupant des chercheurs et chercheuses de différentes nationalités, proposant des approches transversales pour analyser l’œuvre protéiforme de Jocelyne Saab, cette rencontre permettra de parcourir le travail de Saab dans son intégralité, de ses premiers documentaires à ses dernières œuvres de photographe. Ces travaux seront poursuivis par une prochaine journée d’étude qui se tiendra à l’IESAV de Beyrouth, au Liban, les 18 et 19 mars 2024.

Axes de recherche

Ces deux journées d’études s’attacheront à investiguer plusieurs thèmes marquants de l’œuvre de Saab, parmi lesquels les rapports entre histoire, mémoire et engagement, la question des archives et de leur portée testimoniale et politique, l’élaboration d’une poétique de l’exil, qui mettra notamment en rapport les médiums cinématographiques et littéraires, eu égard à la collaboration étroite de Saab avec des poètes et écrivains (Etel Adnan, Roger Assaf…), mais également plastiques, relativement à l’influence de son œuvre sur les artistes contemporains libanais de l’après-guerre (Walid Raad, Akram Zaatari, Lamia Joreige…). Cette manifestation scientifique a une ambition interdisciplinaire, qui mettra notamment en valeur les enjeux d’intermédialité inscrits au cœur de l'œuvre de Saab et de sa réception.

Des études plus précises, centrées sur certaines œuvres tant canoniques que marginales de Saab, permettront d’ancrer cette réflexion sur des films, notamment documentaires, qui ont marqué des jalons dans l’histoire du cinéma arabe, tout en constituant des témoignages inédits d’événements historiques majeurs de la région (Iran, l'utopie en marche, Le Sahara n'est pas à vendre, Le Bateau de l'exil, Le Front du Refus…).

Une attention particulière sera apportée aux interventions qui favorisent l’étude de l’écriture scénaristique et poétique, mais aussi testimoniale, des films tant documentaires que fictionnels de Jocelyne Saab, en ce qu’elle occupe une place déterminante dans son œuvre. Ses résonances dans le champ littéraire libanais, et en particulier dans la poésie, seront également valorisées, afin de mesurer la dimension collective des œuvres de Saab, qui se sont élaborées dans un dialogue constant avec les écrivains, artistes et intellectuels de sa génération. Les films de Saab, des débuts de sa carrière, au milieu des années 1970, à ses dernières oeuvres de fiction ou d’art vidéo, à la fin de sa vie, convoquent des auteurs et autrices des deux rives de la Méditerranée (Etel Adnan, Roger Assaf, Lawrence Durrell, Constantin Cavafy, Joumana Haddad, Jalal Toufic, Elias Sanbar, etc.). Ce choix du recours aux mots de la littérature pour accompagner ses images, souvent réalisées en zones de conflit (le Liban de la guerre civile, la lutte du Front Polisario dans le Sahara occidental, les émeutes du pain en Égypte…), ou témoignant des lendemains d’une guerre ou d’un bouleversement politique (l’Iran post-révolutionnaire, le Vietnam des années 1990, l’Égypte post-2011), est un choix profondément politique : dès le début de sa carrière, Jocelyne Saab convoque la poésie pour dénoncer la violence de l’histoire. Loin d’un cinéma voyeuriste ou au service d’un parti politique, le cinéma de Jocelyne Saab tire son engagement de la hauteur de vue que lui permet ce recours fréquent à la littérature et à l’alliance de différentes formes d’arts. Cette particularité fait de son œuvre un héritage important, tant pour la réécriture continue de l’histoire et l’analyse politique du monde contemporain que pour l’analyse formelle des images de l’engagement à travers le monde et les époques.

Publication à venir

Les contributions de ces journées d’études seront publiées sous formes d’actes dans le numéro de mars 2025 de la revue biannuelle Regards (https://journals.usj.edu.lb/regards/index) éditée en trois langues (français, anglais et arabe) par l’Université Saint-Joseph de Beyrouth, au Liban. 

Calendrier

Propositions à envoyer jusqu’au 5 janvier 2024

Notification d’acceptation le 12 janvier 2024

Journées d’études les 14 et 15 février 2024, à la Maison de la Recherche d’Aix-Marseille Université, campus Schuman (Aix-en-Provence)

Les propositions de communication (résumé de +/- 300 mots) sont à envoyer par email à lea.polverini[@]gmail.com et m.rouxel[@]hotmail.fr

 —

Comité scientifique

- Stéphane Baquey, maître de conférences en lettres modernes, Aix-Marseille Université, Cielam

- Fabienne Le Houerou, directrice de recherche au CNRS et historienne fellow à l'Institut Convergences Migrations, Iremam/CNRS

- Alix Beeston, lectrice en littératures comparées, Cardiff University

- Salima Tenfiche, chercheuse post-doctorale en histoire et sémiologie de l’image, EHESS/MuCEM

- Stefanie Van de Peer, lectrice en Film et Médias, Edinburgh University

- Hady Zaccak, enseignant en histoire du cinéma, Université Saint-Joseph de Beyrouth, IESAV

Organisatrices

- Mathilde Rouxel, docteure en études cinématographiques associée au LIRA (Sorbonne Nouvelle) et enseignante à l'université de Lille 

- Léa Polverini, doctorante en littératures comparées à l’Université Toulouse 2 - Jean Jaurès (LLA Créatis) et ATER à Aix-Marseille Université (Cielam)

- Aude Locatelli, professeure de littérature générale et comparée à Aix-Marseille Université, responsable du groupe Transpositions au laboratoire du Cielam.