À lire sur larepubliquedeslivres.com, le blog de Pierre Assouline :
Quels écrivains seront lus en 1640 ?
En ligne le 20 novembre 2023
"En 1979, alors qu’il était tout à l’écriture de ses Petits traités, chef d’œuvre dans l’art du fragment bien tempéré, Pascal Quignard disait : « J’espère être lu en 1640 ». Pourquoi le choix d’une telle date ? Cette année-là furent frappés les premiers louis d’or en France, Jansenius publiait son Augustinus à Louvain, Strosskopff peignait la Grande vanité de Strasbourg… Toutes choses que rappelle l’écrivain dans Les heures heureuses (229 pages, 19,90 euros, Albin Michel), douzième tome du cycle « Dernier royaume » paru tout récemment, vertigineuse et chaleureuse méditation sur le Temps. Il y précise ceci :
« Espérer que soit lu en 1640 ce qu’on écrit en 1979, c’était inverser, non pas la direction du temps, car il n’a pas de direction, mais la coutume de cette orientation. Ce fut arracher toute continuité au progrès supposé, ou atroce, ou dérisoire, ou superstitieux, de l’Histoire ».
Et Pascal Quignard de définir in fine 1640 comme le vide mental qui suivit l’effondrement de l’Europe renaissante- la replongeant d’un coup dans la guerre civile et la guerre religieuse.
Lesquels de nos contemporains à plume seront-ils encore lus en 1640 ? La charité impose, n’est-ce pas… Alors silence ! Quoi de plus audacieux, de plus risqué, de plus téméraire pour un critique que de dresser l’inventaire des cent écrivains français du XXème siècle qui seront encore lus en 2100 ! Déjà, en 2023, ils ne le sont plus guère de leur vivant même, alors à titre posthume. Tous ne se sortent pas du purgatoire ; beaucoup n’existent que par leur présence médiatique, ô mânes de Jean d’Ormesson, de Françoise Sagan et de tant d’autres ! Un inconscient, Bernard Morlino, a osé. Son recueil Les cent qui restent (416 pages – 25 euros, Ecriture) devrait lui valoir autant d’ennuis que d’ennemis. Le genre d’entreprise où il n’y a que des coups à prendre. Car la population qu’il chatouille est susceptible. Ceux qui y sont tempêteront de voir leur vie&œuvre réduite en fiche cuisine ; ceux qui n’y sont pas ne pourront concevoir les raisons de cette exclusion. Le principe en est bien évidemment partial et arbitraire. On peut même dire que l’injustice en est l’essence même d’autant que Morlino a le goût de la formule assassine. […]"
(Illustr. : « Françoise Sagan au théâtre » photo D.R.)