Appel à communications
« Faire corps avec… la terre »
Journée d’études organisée le 19 avril 2023, sur le site Denis Papin, Université Jean Monnet, Saint Etienne.
Avec le soutien du laboratoire ECLLA (Etudes du Contemporain en Littératures, Langues, Arts)
Faire corps avec… la terre, non pas comme une plante verte ayant besoin de plonger ses racines dans l’humus pour trouver ses nutriments mais bien comme un humain qui creuse les sols pour y trouver des matières ressources, pour construire son habitat et aussi pour enterrer ses morts. Les théories de Giambattista Vico dans La Science nouvelle (1894) rapprochent le terme latin humanitas de la racine humando « celui qui enterre ». Par ailleurs, l’adjectif qui correspond à homo est humanus, un terme qui renvoie vers l’humus, la terre et le sol. Par rebond étymologique, l’humain apparaît intrinsèquement lié à la terre. Les mots hébraïques désignant l’homme, adam, et la terre, adamah, indiquent également cette proximité en rappelant que, d’après la Genèse, le premier homme a été façonné dans l’argile et qu’il retournera au limon dont il a été tiré. En malaxant la terre, le créateur informe cette pâte et modèle ainsi sa créature. Ce rapprochement de l’humain et de l’argile a été porté par de nombreux récits qui convoquent la création du premier homme, la figure du Golem ou bien encore celle de l’Homonculus des alchimistes. Cette pâte qui devient chair a pu inspirer de nombreux.ses poète.sses, auteur.rices et artistes et elle occupe encore nos esprits aujourd’hui, en nous amenant à reconsidérer nos relations aux sols qui nous supportent, aux terres qui nous façonnent.
Serait-il possible alors d’envisager que la terre ne soit pas un matériau inerte, qu’il y a « une vie propre à la matière » tel que l’entendent Gilles Deleuze et Félix Guattari dans Mille plateaux (1980 : 512). Pourrions-nous imaginer que l’argile conduit le corps du danseur, du modeleur, du regardeur vers une prise de conscience de sa propre corporéité ? Comme si nous étions issu.es d’un même sol, fait d’un corps boueux et d’une chair terreuse, à l’image des deux personnages modelés par Jan Švankmajer qui, dans Dimensions of dialogue (1982), fondent l’un dans l’autre pour former un tas de terre en mouvement. Des dialogues et des confusions avec les argiles que l’on retrouve dans le spectacle Paso doble (2006) de Miquel Barcelo et Josef Nadj. Ces artistes engagent leur corps sans chercher à dominer la matière molle et malléable. Car l’approche qui nous intéresse écarte cette idée envisageant qu’une forme s’impose avec vigueur à une matière inerte, pour préférer des réflexions considérant une relation avec les matériaux manipulés, une communion comme Tim Ingold peut l’évoquer dans Faire (2018).
Cette journée d’étude propose donc de se concentrer sur la terre malléable, les argiles, les glaises, les boues et les barbotines, sur ces éléments souples, plastiques et parfois visqueux qui s’offrent à la réciprocité du toucher, dans une expérience intime de la terre.
L’intitulé « Faire corps avec… la terre » nous permettra de considérer les deux pistes que soulève la polysémie de cette expression. C’est-à-dire d’être avant tout dans cette proximité avec des matières argileuses qui enlisent et dont nous cherchons à nous extraire à l’instar de Kazuo Shiraga pour Lutter dans la boue (1950). Plus récemment Alexandra Engelfriet travaillait un corps à corps avec la terre au sein de la briqueterie de Ciry-le-Noble pour sa performance Sonorité d’Argile (2013). Ce contact physique, voire érotique avec cette materia prima, peut aussi se comprendre comme une nouvelle naissance. Lorsque par exemple Charles Simonds s’enfonce dans les carrières d’argile du New Jersey afin de réaliser d’étranges rituels où on perçoit le corps de l’artiste qui s’extirpe d’une terre maternelle. Dans Landscape/Body/Dwelling (1973) il semble ainsi construire un Corps-Habitation brique après brique. On imagine alors d’autres devenir pour tenter de nouvelles relations au monde, pour devenir géosolidaire (O. Remaud, 2023), devenir avec… (D. Haraway, 2020). Cette confusion charnelle avec la terre laisse apparaître une double caresse qui alimente le tendre fantasme de pouvoir se fondre dans la matière, dans l’argile, afin de devenir ce que l’on travaille en suivant les rêveries de Gaston Bachelard (1948), en adhérant à « la chair du monde » de Maurice Merleau Ponty (1988).
Mais « Faire corps avec... la terre » peut également s’entendre dans la fabrication d’un autre corps, fait de terre et d’os, un corps-sculpture qui renvoie à la fois à notre propre organicité et à la structure des sols. Un corps qui se construit dans les ambiguïtés de la matière, avec les imaginaires de l’argile, avec les métamorphoses possibles de la chair. Des confusions métaphoriques entre la terre et la chair que l’on retrouve auprès des artistes qui se détournent des savoir-faire traditionnels de la céramique en présentant par exemple des terres crues ou bien en révélant une relation physique au matériau. Des artistes contemporains qui mêlent la genèse des statues à celle des humains, comme Prune Nourry avec ses projets d’envergure tels que Mater Earth (2023) employant les techniques de construction en terre crue, ou bien réalisant une armée de petites filles inspirées des célèbres soldats de Xi’an pour Terracotta Daugther (2012-2030). Une armée en céramique qui, après avoir été exposée à travers le monde, a été enterrée en 2015 pour ne ressortir de terre qu’en 2030. Car si l’humain enterre ses morts, l’artiste enfouit parfois ses œuvres pour créer une archéologie du futur…
Ces différents questionnements nous permettront de croiser les arts plastiques à d’autres disciplines en s’ouvrant à la géologie, l’anthropologie, la philosophie, la littérature, le cinéma, la danse, selon les axes suivants :
- Mythes et créatures d’argile.
- Confusion et fusion des corps et des sols.
- Indépendance et vivacité de la matière terre
- Erotisme de la glaise et Ecosexe.
- Retour à la terre et enfouissement, rites funéraires.
—
Modalités et calendrier :
Les propositions de communication sont à envoyer par courrier électronique avant le 1er février sous la forme d’un résumé (3000 signes espaces compris au maximum) accompagné d’une courte notice bio-bibliographique à l’adresse suivante : celine.cadaureille@univ-st-etienne.fr
—
Bibliographie indicative :
Abram David, Comment la terre s’est tue, Paris, éd. La découverte, 2013.
Bachelard Gaston, La terre et les rêveries de la volonté, [1948], Paris, éd. Corti, 2007
Bachelard Gaston, La terre et les rêveries du repos, [1946], Paris, éd. Corti, 2010
Bouffartigue Jean, « Le corps d'argile : quelques aspects de la représentation de l'homme dans l'Antiquité grecque », in Revue des Sciences Religieuses, tome 70, fascicule 2, 1996
Chelebourg Christian (dir.), « Imaginaires de la boue », Figures, Cahier n° 16/17, Dijon, Université de Bourgogne /Centre Gaston Bachelard, 1996
Collot Michel, La matière-émotion, Paris, PUF, 2005
Coltice Nicolas, Jolivet Romain, Olive Jean-Arthur, Schubnel Alexandre, La terre à l’œil nu, Paris, CNRS éditions, coll. « À l’œil nu », 2019
Dagognet François, Rematérialiser, Matières et matérialismes, Paris, Librairie Philosophique J. Vrin, coll. « Problèmes et controverses », 1989
Dagognet François, Le corps multiple et un, Paris, éd. Les empêcheurs de penser en rond,1992
Deleuze Gilles et Guattari Félix, Mille plateaux, Paris, éd. de Minuit, 1980
Foucault Michel, Le corps utopique, Les hétérotopies, Paris, éd. lignes, 2009
Gosselin Sophie, Gé Bartoli David, Le toucher du monde, Technique du naturer, Bellevaux, éd. Dehors, 2019
Haraway Donna, Vivre avec le trouble, trad. (américain) Vivien Garcia, Vaulx-en-Velin, éd. Des mondes à faire, 2020
Ingold Tim, Faire Anthropologie, archéologie, art et architecture, Bellevaux, éd. Dehors, 2018
Jeanneret Michel, « Narcisse, Prométhee, Pygmalion : trois figures de la folie selon Nerval », in Romantisme, n°24. Écriture et folie, 1979
Lécole Solnychkine Sophie, Dans la boue des images, Milan, éd. Mimésis, 2023
Louis-Combet Claude, Né du limon, Saint Clément de rivière, éd. Fata Morgana, 2018
Merlau ponty Maurice, Le visible et l’invisible, Paris, Gallimard, 1988
Montmolin De Daniel, Par l’eau et le feu, [1972], Vendin -le-Vieil, éd. La revue de la céramique et du verre, 2011
Morizot Baptiste, Manières d’être vivant, Arles, Actes Sud, 2020
Nancy Jean-Luc, Corpus, Paris, éd. Métailié, 2006
Remaud Olivier, Quand les montagnes dansent, Arles, éd. Actes Sud, 2023
Golem, Avatars d’une légende d’argile, Catalogue d’exposition, Paris, Hazan/Musée d’art et d’histoire du judaïsme, 2017
Corps d'argile, corps fragile, Roanne, Musée des Beaux-Arts J. Deschelette, 1999
Le corps en morceaux, Paris, Musée d'Orsay, Francfort, Schirn Kunsthalle, 1990
Corps réel et corps imaginaire, éd. Dunod, Paris, 1998