Questions de société
Dorothee Elmiger, Sucre, journal d'une recherche (trad. Marina Skalova & Camille Luscher)

Dorothee Elmiger, Sucre, journal d'une recherche (trad. Marina Skalova & Camille Luscher)

Publié le par Marc Escola

Traduit de l'allemand par Marina Skalova & Camille Luscher

Guidée par l’ascension sociale aussi fulgurante qu’éphémère d’un ouvrier devenu millionnaire, Dorothee Elmiger mène une enquête minutieuse et vorace. De la Suisse à Saint-Domingue, de Saint-Nazaire à Montauk et Philadelphie, elle déplie l’histoire coloniale européenne en interrogeant notre relation à l’autre, au désir, au pouvoir, à la faim, à l’argent. En quête d’un chemin lumineux, elle nous confie le journal de sa recherche, qui juxtapose images, citations éclectiques, bribes de rêves, extraits de films et conversations avec des proches. Le lecteur, grisé, ressort de cet essai-fiction avec un regard sur le monde plus intuitif et plus attentif.

Dorothee Elmiger est née en 1985 à Zurich, elle vit aujourd'hui à New York. Elle a reçu de nombreux prix, dont le prix littéraire Aspekte pour le meilleur roman en langue allemande et le Prix suisse de littérature. Sucre, journal d'une recherche a gagné le prix Franz-Hessel 2021 et le prix Nicolas-Born 2022. Dorothee Elmiger est une auteure majeure de la jeune littérature germanophone. Ses textes sont intelligents, sensuels et exigeants.

Extrait

— Ça donne à peu près ça : je traverse des broussailles. Il y a quelques oiseaux qui gazouillent aussi.
— Et après ?
— Rien, c’est toujours la même chose.
— Mais elles te plaisent, ces broussailles.
— Qu’est-ce que tu veux que je te dise ?
— Tu dois quand même pouvoir dire si elles te plaisent, ces broussailles ; ce que tu espères y trouver, ce qu’elles représentent pour toi.
— Mais je suis en plein dedans, on voit bien que tu n’as aucune idée de ce que c’est.
— J’imagine quelque chose de très désordonné. Un grand bazar, sans vue d’ensemble. Mais c’est beau aussi parce que tout peut y trouver sa place, et la lumière change au cours de la journée et tombe tantôt ici, tantôt là-bas, et parfois il y a de la neige, et parfois c’est énervant car on n’arrête pas de s’accrocher aux branches des buissons, surtout si elles ont des épines, et comme tu adores porter ce pantalon en velours…
— Bon d’accord.
— Donc dans ces broussailles tu marches, tu erres ou tu fais quoi ?
— Rien, rien du tout. Enfin peut-être que j’avance un peu des fois, et puis je m’arrête et je fume une cigarette.
— Et les oiseaux ?
— Oui, eux ils me plaisent bien.