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Devenirs de l’idylle : la nature en trompe l’oeil de l’Antiquité à nos jours (Lorient, mai 2024)

Devenirs de l’idylle : la nature en trompe l’oeil de l’Antiquité à nos jours (Lorient, mai 2024)

Publié le par Esther Demoulin (Source : Floriane Daguisé)

Colloque international

Devenirs de l’idylle : 
la nature en trompe l’oeil de l’Antiquité à nos jours
(littérature – théâtre – arts visuels) 

14 et 15 mai 2024
Université de Bretagne-Sud (Lorient)

Organisation :
Floriane Daguisé (Université de Rouen / CEREdI)
Yann Mortelette (Université de Bretagne-Occidentale / HCTI)
Juliette Peillon (Université de Bretagne-Sud / HCTI)
Marie-Cécile Schang-Norbelly (Université de Bretagne-Sud / HCTI)

La poésie de l’idylle est celle d’une « petite forme » vouée à saisir la naissance du sentiment amoureux dans un cadre pastoral qui offre une représentation idéalisée de la nature. Dès l’origine (dans la Genèse comme chez Théocrite ou Virgile), cette petite forme à l’intrigue extrêmement ténue se détourne de l’illusion mimétique et met à distance les codes des « grands genres », au profit d’une recherche de vérité de l’émotion qui passe, paradoxalement, par le jeu et l’artifice.
Définir l’idylle est une tâche complexe, puisqu’elle tient à la fois du genre (il s’agit étymologiquement d’un « petit poème » visant à saisir les premiers émois de jeunes bergers ingénus), et du motif (caractérisé par des invariants, comme un décor champêtre qui relève du locus amoenus, la présence de jeunes bergers ou de jeunes villageois qui jouent de la flûte, l’organisation d’un concours de chant pour départager deux rivaux...). L’intrigue, sommaire donc, s’organise généralement en une série de tableaux sensibles, qui donnent à l’idylle une dimension théâtrale, servie par l’importance de la musique et du chant dans l’univers idyllique.
Or cette esquisse définitionnelle ne suffit pas à rendre compte de la grande variété des textes et des réalisations artistiques qui relèvent de l’idylle : l’idylle circule d’un genre à l’autre, et le motif antique et topique connaît des traitements divers, parfois contradictoires.
Dès lors, il semble que l’on gagne à appréhender l’idylle à partir de modalités discursives, de procédés d’écriture, d’éléments de langage communs aux différentes productions artistiques qui s’y réfèrent, et qui permettent, notamment, de la distinguer de la pastorale avec laquelle elle entretient une proximité sans assimilation absolue. On retiendra en particulier de l’idylle :

- sa dimension picturale,

- sa dimension fugitive,

- sa dimension artificielle,

- la place accordée à la spontanéité et au hasard,

- sa dimension théâtrale et son affinité avec le jeu,

- ses liens avec le petit et le mineur,

- le décalage qu’elle produit bien souvent vis-à-vis de la norme, jusqu’à la mise à distance des codes et leur détournement,

- le traitement possiblement ironique et dégradé de représentations contemporaines qui remet en cause l’idée d’âge d’or sans renoncer à rêver la nature.

Dans cette perspective, l’idylle présente un rapport illusionniste à ses propres codes : l’adhésion émotionnelle originelle se double d’une distance ludique, qui rejoue certaines conventions pour mieux les déjouer, les déstabiliser, voire les disqualifier. Depuis ses origines antiques jusqu’à ses réécritures contemporaines, l’idylle tend ainsi à incarner une poésie du petit, de l’artificiel, du faux, du suranné, de l’illusoire, du trompe-l’oeil, du mauvais goût, du kitsch. Du moins s’agit-il là d’acceptions dont il convient d’examiner la fécondité littéraire et artistique comme les limites historiques et théoriques.
Les éléments suivants pourront orienter la réflexion, sans prétention aucune à l’exhaustivité :

- L’idylle à travers l’histoire. Étudier l’idylle et ses réécritures suppose une mise en perspective historique : au théâtre, par exemple, Le Jeu de Robin et Marion, bergerie médiévale, la pastorale dramatique et l’opéra au XVIIe siècle, l’opéra-comique au XVIIIe siècle, sont autant de genres dans lesquels il semble pertinent d’examiner ou de réexaminer la présence de l’idylle et ses enjeux. On pourrait élargir l’étude aux manifestations picturales et plastiques de l’idylle, des pastorales peintes aux arts décoratifs qui en conservent certaines allusions emblématiques. Dans une optique diachronique, l’évolution de l’idylle pourrait être envisagée à travers les Fêtes galantes de Watteau et de Verlaine, mais aussi dans la prose poétique de Nerval, par exemple, pour que se dessinent des constantes et des déplacements signifiants.

- Idylle, artifice et vérité. Au XVIIIe siècle, chez Gessner en particulier, l’idylle exprime la simplicité et la vérité des émotions, mais elle est aussi associée au jeu, à l’artifice. Elle devient un horizon esthétique autant qu’éthique : les ornements végétaux et pastoraux recomposent artificiellement une nature stylisée qui accompagne, sinon suscite, une nostalgie du paradis perdu. Sa mise en scène, dans des espaces souvent reclus ou intimes, réels ou fictionnels (alcôves, boudoirs, cabinets…), en renforce l’attrait et en circonscrit l’illusion, en lien avec les tendances rococo. À la fin du siècle, l’idylle devient terrain de jeu, celui de Marie-Antoinette dans son hameau ; plus tôt, elle constitue le cadre de petites bergeries aristocratiques représentées dans la peinture de Boucher et dans l’opéra-comique ; toutes ces productions sont vouées à saisir et à restituer les mouvements de la sensibilité. Au XIXe siècle, le refus du naturalisme invite les symbolistes à se tourner vers l’idylle pour chercher, dans une représentation paradoxalement artificielle et idéalisée du réel, à s’approcher d’une forme de vérité qui tient surtout à la vérité de l’effet produit.

- L’idylle comme opérateur d’un renouvellement des formes et des codes. L’idylle au théâtre se déploie dans de petites formes, dans un théâtre en mode mineur, qui occupe un espace laissé vacant par le théâtre académique et par les grands genres. Elle peut alors être considérée comme le lieu d’une avant-garde dramaturgique et poétique, parce qu’elle oppose à l’officiel le petit et le marginal, à la narration la sensation, à la mimèsis le symbole. Sous l’Ancien Régime, elle se déploie par exemple dans la pastorale dramatique et dans l’opéra-comique mêlé d’ariettes, puis réapparaît au XIXe siècle dans de petites pièces symbolistes (L’Après-midi d’un faune de Mallarmé, L’Île du rêve de Reynaldo Hahn…) en rupture avec l’esthétique naturaliste et ses formes monumentales.

- Détournements, déplacements, transpositions de l’idylle. Dès le XVIIIe siècle et jusqu’à nos jours, on peut parler avec Jean-Louis Haquette d’un « mode idyllique » se déployant paradoxalement loin de la nature (comme dans le poème « Zone » de Guillaume Apollinaire). Durant le XIXe siècle, l’idylle fait l’objet d’une double réception, reflet des débats idéologiques de l’époque ; elle témoigne de la nostalgie des uns et cristallise le rejet des autres. Les deux points de vue se rejoignent dans le sentiment d’une impossibilité de l’idylle, rêve empêché par la modernité et par le triomphe d’une bourgeoisie qui promeut le mauvais goût, de l’avis de ses détracteurs. Ce mode idyllique transpose certains traits de l’idylle, des motifs et des procédés d’écriture qui permettent de tracer une postérité de l’idylle au-delà des frontières génériques.

. On trouve au théâtre des motifs, objets ou tournures poétiques qui disséminent l’idylle dans l’univers des salons et en font un accessoire de mondanité ou de faux-semblant (Labiche, Musset).
. L’idylle se déplace sur le terrain de la vie ordinaire, qu’elle transfigure. Le développement des techniques de reproduction et de la consommation de masse dégrade en partie l’idylle, que l’on peut accumuler. Au prix de détournements et de réappropriations qui pourront être approfondis, elle s’incarne alors dans les nains de jardin, les boules à neige et les parcs d’attraction. Autant de propositions artificielles qui mettent à la portée du plus grand nombre une évasion bon marché dans un univers de fiction qualifié de « kitsch », où l’on peut jouer à être enfant.
. Au XXe siècle, le cinéma fait la part belle au détournement du fantasme sur fond champêtre, qu’il s’agisse de déplacer en ville des ersatz d’amours parfaits vécus à la campagne (L’Aurore de Murnau) ou de se réapproprier le mode idyllique pour figurer des amours non conventionnelles (les films d’Alain Guiraudie ou de Kelly Reichardt).

- Idylle et naturalisme critique. Les genres narratifs, notamment le roman et l’autobiographie, ont presque toujours accordé une place à la mise en scène naïve ou codifiée des émotions dans un cadre naturel. Ces romances bucoliques prêtent souvent attention au cadre naturel qu’elles représentent, entrevoyant en celui-ci une puissance critique d’ordre politique ou social, ce que Laurence Giavarini a nommé la « distance pastorale ». On peut songer aux romans urféens ou scudériens, aux brèves idylles présentes chez Rousseau, à certaines pages d’onirisme enfantin des récits champêtres de George Sand, de Colette ou de Pagnol. Depuis une cinquantaine d’années, en particulier, les micro-utopies sentimentales et enfantines fleurissent sur fond de désastre dans la littérature américaine (Dans la forêt de Jean Hegland) ou québécoise (Les Filles bleues de l’été de Mikella Nicol) ou bien les réalités de la détérioration des campagnes se révèlent à la lumière des jeux de l’enfance (Marguerite Yourcenar, Jean-Loup Trassard, Gisèle Bienne). La peinture idéalisée de scènes campagnardes se déploie dans un contexte épistémique nouveau marqué par l’annonce de la fin du vivant. C’est alors que le jaillissement des émotions dans la nature s’avère une façon de comprendre les dynamiques écologiques reliant l’humain à son environnement, ce que Michel Collot a nommé « un nouveau sentiment de la nature ». L’heure serait à la « post-pastorale » (Terry Gifford) et à l’« écopoétique » (Nathalie Blanc, Denis Chartier, Thomas Pughe), c’est-à-dire au refus simultané de croire en l’âge d’or et de renoncer au rêve bucolique. L’idylle représenterait alors un précieux moyen d’expression pour dire ce pastoralisme critique. Elle prend la forme d’une parenthèse hypothétique à visée heuristique où la nature s’éprouve par l’intermédiaire de l’artifice.

Il s’agira d’étudier les réécritures de l’idylle dans la littérature, le théâtre et les arts visuels de l’Antiquité à nos jours, en considérant à la fois la postérité des textes antiques et celle d’un langage, d’une dramaturgie, d’un certain rapport au réel, en mettant l’accent sur la nature volontiers subversive de l’idylle, et sur les vertus paradoxales de l’artifice dans la recherche d’une vérité de l’expression.

Bibliographie succincte : 

Georges Banu (dir.), « Le théâtre de la nature », Alternatives théâtrales, mai 1992.

Julie Boch, Françoise Gevrey, Jean-Louis Haquette (dir), Écrire la nature au XVIIIe siècle, Paris, PUPS, 2006.

Nathalie Blanc, Denis Chartier, Thomas Pughe, « Littérature & écologie : vers une écopoétique », Écologie & politique, 2008/2 (N°36), p. 15-28. https://www.cairn.info/revue-ecologie-et-politique-sciences-cultures-societes-2008-2-page-15.htm

Violaine Boneu, L’Idylle en France au XIXe siècle, Paris, PUPS, 2014.

Pierre Causse, Léonor Delaunay et Laure Fernandez (coord.), « La Fabrique du paysage », Revue d’Histoire du Théâtre, N°296, t.1, 2023.

Bénédicte Chorier-Fryd, Charles Holdefer et Thomas Pughe (dir.), « Pastoral Sounds », E-rea [En ligne], 14/2, 2017, https://doi.org/10.4000/erea.5649.

Michel Collot, Un nouveau sentiment de la nature, Paris, Corti, « Essais », 2022.

Aurélia Gaillard, « La Pastorale chez Fontenelle : une idylle sans bergers ni brebis », Expressions, n°11, mai 1998, p.27-39.

Laurence Giavarini, La Distance pastorale. Usages politiques de la représentation des bergers (XVIe-XVIIe siècles), Paris, Vrin-EHESS, « Contextes », 2010.

Terry Gifford, Pastoral, Londres, Routledge, « The new critical idiom », 2019.

Jean-Louis Haquette, Échos d’Arcadie. Les transformations de la tradition littéraire pastorale des Lumières au romantisme, Paris, Classiques Garnier, 2009.

Melissa Hyde et Mark Ledbury (dir), Rethinking Boucher, Los Angeles, Getty Research Institute, 2006.

Alastair Laing, « Boucher et la pastorale peinte », traduit par J. Coignard, Revue de l'Art, 1986, n°73, p. 55-64.

Stéphane Macé, L’Éden perdu : la pastorale dans la poésie française de l’âge baroque, Paris, Champion, 2002.

Christophe Martin, « De l’origine de la pastorale : Fontenelle et le Discours sur la nature de l’églogue », Revue Fontenelle, n°10, « Le siècle pastoral », Mont Saint-Aignan, Presses Universitaires de Rouen et du Havre, 2013.

Claudine Poulouin, Le Temps des origines et « les temps reculés » de Pascal à l’Encyclopédie, Paris, Honoré Champion, « Lumière Classique », 1999.

Thomas Pughe, « Réinventer la nature : vers une éco-poétique », Études anglaises, 2005/1 (Tome 58), p. 68-81. https://www.cairn.info/revue-etudes-anglaises-2005-1-page-68.htm

Marie-Cécile Schang-Norbelly, « L’idylle à l’épreuve du réel dans l’opéra-comique des Lumières », Catherine Gallouet et Elodie Ripoll (dir.), Tomber en amour, Oxford University Studies in the Enlightenment, à paraître.

Marie-Cécile Schang-Norbelly, « Du Livre de Ruth aux Moissonneurs de Favart et Duni (1768) : une héroïne biblique sur la scène de la Comédie-Italienne », Benoît Jeanjean et Isabelle Durand (dir.), Qui est donc cette femme qui surgit comme l’aurore ? Variations autour des femmes de la Bible, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2023.

Marie-Cécile Schang-Norbelly, « Mauvais goût et poésie. La réception problématique de l’opéra-comique de l’Ancien Régime », Renaud Bret-Vitoz, Michel Delon et Sophie Marchand (dir.), Les Lumières du théâtre. Avec Pierre Frantz, , Paris, Classiques Garnier, 2022.

Jean Starobinski, L’Invention de la liberté. 1700-1789, Genève, Skira, 1964.

Michelle Szkilnik (dir.), Idylle et récits idylliques à la fin du Moyen Âge, Cahiers de Recherches Médiévales et Humanistes, n°20, 2010.

Envoi des propositions pour le 30 janvier 2024 : un titre provisoire, un résumé d’une quinzaine de lignes, une brève biobibliographie et les coordonnées électroniques. À envoyer conjointement à marie-cecile.schang@univ-ubs.fr, floriane.daguise@univ-rouen.fr et juliette.peillon@univ-ubs.fr.

La journée d’étude se tiendra à Lorient, à la Maison de la Recherche en Sciences Humaines et Sociales de l’université Bretagne Sud (bâtiment Le Paquebot).

Illustration : F. Boucher, Le Sommeil interrompu, Huile sur toile, 81.9 x 75.2 cm, 1750, New York, The Metropolitan Museum of Art.