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De Paris à Paris : cent (vingt-quatre) ans de représentations des Jeux Olympiques

De Paris à Paris : cent (vingt-quatre) ans de représentations des Jeux Olympiques

Publié le par Eloïse Bidegorry (Source : Victor-Arthur Piégay)

De Paris à Paris : cent (vingt-quatre) ans de représentations des Jeux olympiques

Colloque

Nancy : 6-7 juin 2024

 

Le retour des Jeux olympiques à Paris en 2024, cent ans après la précédente édition, mais aussi cent vingt-quatre ans après l’édition de 1900 qui a fait de la capitale française la deuxième ville olympique de l’ère moderne après Athènes, ne manquera pas de donner lieu à de nombreuses analyses diachroniques dans les domaines privilégiés des sciences sociales que sont la sociologie, les sciences politiques, l’économie, ou encore l’Histoire.

Ce colloque propose de faire un pas de côté en interrogeant le phénomène par le prisme des représentations qui en sont faites et de l’imaginaire que celles-ci véhiculent. En un siècle, s’est en effet développé un vaste corpus de productions culturelles mettant en jeu les athlètes, les épreuves reines de l’olympisme, ou encore l’organisation de cet événement planétaire. Ainsi, si le phénomène olympique est assurément un fait géopolitique, médiatique et commercial, il repose également sur des dynamiques de l’imaginaire qui expliquent son importance culturelle et qui permettent de le comprendre et de comprendre ce monde qui lui donne une telle importance.

Il s’agira ainsi d’aborder les représentations de l’olympisme et des Jeux olympiques et paralympiques selon une double perspective : en tant que miroirs pertinents de l’événement, de ses enjeux et de ses significations – que révèlent les représentations olympiques au sujet de l'olympisme lui-même ? –, mais également en tant qu’elles nous informent sur les configurations réflexives et fantasmatiques de nos cultures contemporaines – que révèlent les représentations olympiques des imaginaires et des systèmes de représentations dans lesquels elles s'inscrivent ? En somme : les jeux comme objet autant que matrice de représentations. 

L’étude de l’imaginaire olympique devra prendre en compte un horizon consubstantiel au rêve originel. Historiquement, les J.O. de l’ère moderne sont liés à l’« utopie olympique » d’inspiration coubertinienne : l’olympisme vise un développement harmonieux des individus, de la société et des sociétés entre elles. Mais, de 1900 à 2024, bien des utopies ont péri. « Les J.O. ont réussi à survivre à un XXème siècle meurtrier pour les chimères », a pu par exemple écrire Alain Guiraudo (1996). L’olympisme serait-il la dernière des utopies ? Une utopie résiliente ? C’est ce que semble vouloir suggérer la triade des « valeurs olympiques » volontiers parées d’une majuscule : « Excellence, Amitié, Respect ». Dans le même temps, les J.O., comme le sport en général, apparaissent très largement, aux yeux du grand public comme de bon nombre de critiques universitaires, comme une « contre-société contredite » (Bernard Jeu), voire comme une « pratique anti-éthique » (Eric Billet et Eric Debarbieux). Représenter et/ou imaginer les Jeux implique de se confronter au fait, souligné par le sociologue Sébastien Fleuriel, que les JO « portent à leur acmé la tension paradoxale entre célébration exaltée pour certains et dénonciation révoltée pour d’autres ». D’un côté, les représentations « enchantées » (Les Olympiques de Montherlant, La Fabuleuse histoire des jeux olympiques, Parienté/Lagorce, 2004), de l’autre, les dénonciations virulentes telles que celles produites avec constance par Jean-Marie Brohm, pour qui les J.O. sont « la continuité d’une idéologie totalitaire », qui stigmatise la « religion olympique » servant tout au plus à construire « l’Empire des anneaux ».

 

Les axes suivants pourront être explorés, sans exclusive :

- Célébrer les Jeux et les exploits olympiques

Antoine Blondin a formulé l’un des ressorts qui motivent la mise en récit de l’exploit sportif : « Le sport ne se réduit pas à une affaire de mètres et de secondes. Il baigne dans un climat de participation collective. Il est une aventure dont chaque péripétie ne se renouvellera jamais et qui a besoin de témoins. »  Il importe de proposer une mise en perspective de la « légende » et de l’« épopée » auxquelles les médias font continûment référence. Commodités de langage ? Illusions ?  Existence effective d’un « grand récit » sportif et olympique, le dernier d’une postmodernité qui est supposée en manquer cruellement ?

La question du lien entre la célébration et les valeurs morales, souvent inscrites au cœur du récit sportif, est un point crucial. Le sport apparaît en effet comme une vitrine éthique de nos sociétés (Isabelle Queval), et les J.O exhibent avec force et ostentation des fondements moraux. Quelle est la place de la question morale dans les célébrations des Jeux et des exploits olympiques, tout au long de leur histoire, de 1900 à la période contemporaine ? Si le spectacle sportif, dont les J.O. sont une manifestation quintessenciée, est suspect – pour Michel Caillat, le sport est « un phénomène d’imprégnation fasciste » –, la célébration est-elle compromission ?

Par ailleurs, toutes les éditions des Jeux olympiques ont-elles la même aura ? Certaines sont peut-être plus à même de nourrir des récits, que ces derniers soient documentaires, fictionnels, ou hybrides (biopics, docu-fictions, etc.). Cette aura semble corrélée à deux facteurs : une dimension politique et un retentissement historique d’un côté (Berlin 1936, Mexico 1968, Munich 1972) et/ou une page éternelle de l’Histoire du sport écrite en vertu d’une performance surhumaine potentiellement associée à une forme d’héroïsation/déification de l’athlète. De ce point de vue, les performances de l’équipe de basket-ball américaine, précisément nommée « Dream team », lors des J.O. de Barcelone en 1992, ont à la fois consolidé le mythe entourant les basketteurs étasuniens – au premier rang desquels Michael Jordan –, servi d’instrument de promotion de la ligue de basket au-delà de ses frontières, et affermi un peu plus la domination de la culture américaine à l’échelle du monde, le soft power lié au sport devenant arme de séduction massive.  

- Rire de l’olympisme

C’est peut-être parce que l’on fait des J.O. le lieu de promotion des plus hautes valeurs morales que certaines représentations se plaisent à les subvertir, au sens étymologique du terme, à travers la comédie. Ne serait-ce pas en proportion de ce que les J.O. permettent en matière de représentations pontifiantes et d’exaltation des valeurs, dans les genres les plus propices à la célébration des accomplissements des grandes figures historiques, à l’image du biopic (Race sur Jesse Owens), que la comédie est aussi prompte à en proposer des détournements parodiques ? Ainsi, sous le prisme d’un comique outrancier, potache voire clairement de mauvais goût, ce sont des auteurs et acteurs aussi peu légers que Claude Zidi et les Charlots (Les Fous du stade) qui ont jadis pu accommoder les J.O. à la sauce farcesque.

Dans une veine plus corrosive, Trey Parker et Matt Stone se plaisent à égratigner tout aussi bien le sport de haut niveau que les jeux olympiques et paralympiques en imaginant la façon dont une olympiade destinée à des enfants en situation de handicap est entachée par la triche et le dopage (South Park, 08x02 : « Up the Down Steroid ») en vertu du fait, peut-être, que de nombreuses productions pour la jeunesse se pensent aussi comme une propédeutique au développement des vertus censément associées au sport, de l’anima sana in corpore sano au fair play. De ce point de vue, la représentation euphorique de sportifs et d’événements olympiques a peut-être désormais pour espace privilégié les productions pour la jeunesse, notamment en littérature. Ce type de déplacement pourra être interrogé, de même que la récurrence, dans un certain nombre de représentations de l’olympisme à destination de la jeunesse, de personnages d’animaux anthropomorphisés. Zoolympisme, anthropomorphisme, moralisme ? 

Certaines comédies, souvent américaines, prennent aussi l’apparence de feel good fictions, dont le film Cool Runnings (Rasta Rockett pour la France, Jon Turtletaub, 1993) pourrait constituer l’emblème. Moins subversives que certaines parodies, elles reprennent l’exaltation des valeurs associées à l’olympisme en insistant sur la dignité dans la défaite, l’importance de l’esprit d’équipe et de la pugnacité, tout en célébrant le topos du vaincu vainqueur, étrange contradiction d’une époque par ailleurs obsédée par la réussite. Ce type de production ne se situerait-il pas dans la ligne coubertinienne d’une exaltation de l’Excellence plutôt que de la performance, avec son cortège de corollaires moraux ? 

- Rêver et cauchemarder les Jeux

Les Jeux Olympiques constituent un espace-temps à part, défini par un lieu séparé et par une temporalité elle aussi placée à côté du temps ordinaire. Cérémonies d’ouverture et de clôture bornent cet espace-temps. Tout est alors en place pour que les Jeux puissent apparaître comme une « contre-société », pour reprendre l’expression proposée par Bernard Jeu et relayée par Georges Vigarello. Selon ce dernier, le sport moderne, dont la structure idéologique est sous-tendue par l’olympisme, se présente comme « une contre-société idéale, un espace collectif organisé, identique au nôtre mais promu en exemple, garantissant les plus précieuses valeurs de nos sociétés : l’égalité des chances, l’impartialité des arbitres, la morale des acteurs ».

L’on pourra se pencher sur les représentations liées à la rêverie euphorique sur l’olympisme, qui ne semblent guère avoir supporté l’épreuve du temps. Deux textes publiés au moment des premiers Jeux olympiques de Paris en sont des exemples signalés : le roman de Maurice Genevoix Euthymos, vainqueur olympique, 1924, réédité en 1960 sous le titre Vaincre à Olympie ; le texte hybride de Montherlant, Les Olympiques (1924). Le film emblématique Chariots of Fire (Hugh Hudson, 1981), relaie lui aussi largement une forme de « vision enchantée » (Eric Billet et Eric Debarbieux) de la pratique sportive en contexte olympique.

Mais il faut également constater la profusion des propositions dysphoriques, qui mettent en scène les obstacles que rencontre le rêve, ou encore les travers et les envers peu reluisants du « système olympique » (pour reprendre le titre de l’ouvrage de Jean-Loup Chappelet, 1991). Le lien récurrent entre sport et roman noir a son versant olympique, comme l’attestent par exemple le thriller scientifico-sportif Sale temps sur Sydney – Quand la science manipule des records (Richard Escot et Vincent Launay, 2000) ou encore le roman policier de Peter May Jeux mortels à Pékin (2010). Cette tendance culmine dans des représentations dystopiques telles que La Guerre olympique (Pierre Pelot, 1980), ou, de manière plus atypique, W ou le souvenir d’enfance (Georges Perec, 1975). Dans toutes ces représentations dysphoriques ou dystopiques, l’utopie olympique est-elle empêchée par les lois perverses du monde selon le principe de la « contre-société contredite » formulé par Bernard Jeu ? Ou contient-elle en son sein même un principe de perversion ?

- Performer l’olympisme

Au-delà du geste sportif, l’olympisme donne aussi lieu à performance, au sens de la mise en action, en particulier artistique. Les Jeux Olympiques sont une riche matière à faire. Le domaine du spectacle et du spectaculaire est particulièrement concerné par la pulsion olympico-performative. Ces performances, alternativement et parfois simultanément, traduisent, trahissent et l’interrogent l’olympisme. Il en va ainsi, dès l’origine coubertinienne, de ces tentatives de symbolisation que sont les cérémonies olympiques. Pourrait-on, par exemple, dessiner une histoire de l’imaginaire olympique à travers celle des cérémonies d’ouverture et de clôture ? 

Au-delà du cérémonial, les scènes théâtrales sont elles aussi susceptibles de performer l’olympisme. Mais un obstacle se présente. Le Huit cent mètres écrit pour la scène par André Obey, inspiré par la finale du 800 mètres olympique de 1924, et représenté en 1941 dans le stade Roland-Garros sous la direction de Jean-Louis Barrault, n’a pas donné satisfaction à son auteur : « Le sport a son suspense propre, qui ne saurait coïncider avec le suspense du théâtre : place au théâtre ou place au sport, mais pas aux deux en même temps ». Dramatiques chacun à sa façon, l’acte sportif et l’acte théâtral seraient-ils condamnés à s’annuler l’un l’autre ?

Les modalités contemporaines du dramatique semblent permettre de contourner l’obstacle, ouvrant une ère du jeu avec l’olympisme et ses représentations. Le retour contemporain du sport et de l’olympisme sur les scènes prend des formes remarquablement variées : récit-confidence, comme la récente création Hors piste qui met en scène le champion olympique de biathlon Martin Fourcade ; conférence décalée, comme Olympicorama, de Frédéric Ferrer (2019-2024) ; projets chorégraphiques participatifs, comme l’« Équipe de France de danse contemporaine » (compagnie La Grive) ou Panique Olympique, « immense ballet urbain » conçu par Agnès Pelletier. Performance scénique et performance sportive s’interrogent mutuellement. Quels regards singuliers sur l’olympisme ces nouvelles formes de mise en jeu introduisent-elles ? Peut-on parler de tentatives de réappropriation, par la co-présence, d’un phénomène largement véhiculé par la culture d’écran ?

Enfin, la dynamique actuelle de programmes culturels, émanant notamment du Ministère de la Culture à travers l’ « Olympiade culturelle » qui a donné lieu au festival « Formes olympiques » (Paris, été 2023), ou encore, à un autre échelon, de la Fédération française de sport universitaire (projet « Dansons vers 2024 »), mérite réflexion. De quoi ce rapprochement officialisé entre « culture » au sens du Ministère et « olympisme » est-il le nom ? Quelles dynamiques ou orientations ces commandes instaurent-elles ? A quels obstacles, à quelles limites se heurtent-elles ? Quelles contradictions mettent-elles à jour ?

- Consommer les Jeux olympiques

Parmi ces contradictions, la principale reste peut-être et enfin que les Jeux olympiques semblent être devenus une marchandise, des manifestations dérivables, dans le sens où l’on parle de produits dérivés. Chaque édition ouvre en effet à la production d’une kyrielle d’objets en tout genre, lesquels semblent cibler avant tout les enfants et le jeune public (pensons aux innombrables déclinaisons des mascottes des événements, des figurines aux vêtements en passant par les verres ou les gourdes). A travers les liens désormais étroits entre l’olympisme et les industries culturelles, les J.O. seraient-ils devenus une licence comme les autres ? En attestent des productions qui n’emploient les Jeux Olympiques que comme un arrière-plan commode dans la diversification de franchises, à l’image des jeux vidéo Mario et Sonic aux Jeux Olympiques. Que reste-t-il des valeurs fondatrices lorsque l’idéal olympique s’efface derrière des dynamiques, par essence éphémères, de gadgétisation de l’événement ?

Au-delà du seul volet matériel, il semble aussi que ce soit la participation même du public aux événements olympiques qui interroge quant à un système qui ne semble plus focalisé que sur l’argent (voir Marc Perelman, 2024 : Les Jeux Olympiques n’ont pas eu lieu). Une telle préoccupation financière tend même, comme en a attesté l’actualité récente au moment de la mise en ventes des billets pour les compétitions parisiennes à venir, à rendre les J.O. inaccessibles à une immense majorité du public potentiel. Ce faisant, il semble que l’olympisme soit aussi la caisse de résonance d’une transformation progressive du spectacle sportif en produit de luxe, allant dans le même sens que nombre de manifestations a priori associées aux cultures populaires mais qui, par l’inflation constante des prix des billets, tendent à se transformer en privilèges inaccessibles. La confiscation de l’idéal olympique au profit des V.I.P. (sponsors, influenceurs…) et des plus aisés ne constitue-t-elle pas le coup de grâce porté au rêve de Coubertin que l’on peut tout aussi bien appliquer aux spectateurs qu’aux acteurs des compétitions ? L’important ne serait-il pas, aujourd’hui, de consommer, et tant pis pour celles et ceux qui ne peuvent pas participer ?

 

Les propositions de communications seront à envoyer aux deux adresses suivantes : yannick.hoffert@univ-lorraine.fr et victor-arthur.piegay@univ-lorraine.fr pour le 19 janvier 2024.

 

Organisation :

- Yannick Hoffert, MCF en études culturelles, laboratoire LIS (Université de Lorraine)

- Victor-Arthur Piégay, MCF en études culturelles, laboratoire LIS (Université de Lorraine)

Comité scientifique :

- Anne Cousseau, PR en études culturelles, laboratoire LIS (Université de Lorraine)

- Gaëlle Debeaux, MCF en littérature comparée, laboratoire CELLAM (Université Rennes 2)

- Didier Francfort, PR d’Histoire contemporaine, laboratoire CERCLE (Université de Lorraine)

- Matthieu Freyheit, MCF en études culturelles, laboratoire LIS (Université de Lorraine)

- Charles Joseph, MCF en études culturelles états-uniennes, laboratoire 3L. AM (Le Mans université)

- Lucie Kempf, MCF en langue et littérature russe, laboratoire CERCLE (Université de Lorraine)