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Académies et vie littéraire au XIXe s. 7e centenaire de l’Académie des Jeux floraux (Toulouse)

Académies et vie littéraire au XIXe s. 7e centenaire de l’Académie des Jeux floraux (Toulouse)

Publié le par Marc Escola (Source : Elsa Courant)

7e centenaire de l’Académie des Jeux floraux

Hôtel d’Assézat à Toulouse, 2024.

Au début des années 1830, François Guizot, alors ministre de l’Instruction publique, propose au roi Louis-Philippe d’établir par des moyens nouveaux une « histoire des villes, des provinces, des faits et usages locaux », mais aussi une « histoire générale des idées, des usages, des mœurs et des rites ». Pour ce faire, il entend s’appuyer sur les académies et sociétés savantes, porteuses d’une mémoire segmentée de la nation française. Il obtient l’autorisation de créer un Comité des travaux historiques, consacré par la circulaire du 23 juillet 1834, dans laquelle Guizot désigne les sociétés savantes comme l’un des deux piliers de la réconciliation nationale — l’autre pilier étant l’Instruction publique.

À Paris comme en province, les deux milieux regroupent en effet des membres aux profils souvent similaires. Outre les notabilités locales, des professeurs, des inspecteurs d’académie, des historiens et des hommes de lettres tels que Hugo ou Sainte-Beuve, élaborent ensemble le canon littéraire. Bien que leur rôle et leur dignité aient pu faire l’objet de critiques tout au long du XIXe siècle, les académies n’en constituent donc pas moins une structure profonde de la vie culturelle française.

Leur rôle dans le processus de patrimonialisation de la culture est reconnu par plusieurs travaux majeurs portant sur des périodes antérieures au XIXe siècle, ou sur des corpus littéraires spécifiques. Ceux de Marc Fumaroli (1993), de Lise Sabourin (2014), de Muriel Louâpre ([in] Guyaux et Jalabert, 2014) et d’Hugues Marchal (2014) sur l’Institut de France, sur les académies de province, sur les prix littéraires ou sur le rôle historique de la poésie dans les institutions, ont exploré les sociabilités académiques. Ils ont mis en lumière l’évolution de la notion de valeur littéraire au sein de ces institutions. Le patrimoine immatériel constitué par les œuvres des « grands auteurs » fait l’objet de négociations idéologiques dont rend compte, notamment, l’enquête primordiale de Stéphane Zékian sur « l’invention des classiques » au XIXe siècle (2012). Parallèlement, les travaux de sociologues tels que Gisèle Sapiro (2011), Anthony Glinoer et Vincent Laisney (2013), ou Denis Saint-Amand (2016) ont rendu visible le rôle des réseaux dans les dynamiques de reconnaissance des œuvres, par l’évaluation publique du talent des auteurs.

Or le XIXe siècle est un moment singulier dans la détermination de cette fonction. Remises en cause pendant l’épisode révolutionnaire et pointées du doigt comme des résurgences esthétiques de valeurs monarchiques dépassées, certaines académies littéraires et savantes renaissent de leurs cendres sous la Monarchie de Juillet. Cette association durable entre académies et conservatisme (politique aussi bien que littéraire et moral) conditionnera pour longtemps la façon dont furent définis leur rôle et leur lien avec la littérature existante ou à venir. Ainsi, le concours des Jeux floraux, dont l’histoire est ancrée dans un héritage médiéval prestigieux, s’appuie sur un cérémonial qui scelle l’union de l’Académie et de l’Église[3]. De même, les sujets de concours poétiques ou rhétoriques reflètent une définition éthique et politique de ce que doit être la littérature. Ainsi de la maxime révolutionnaire, « La vertu est la base des républiques », donnée par l’Académie française comme sujet de concours en 1803 ; ou encore, du thème « Épisodes de guerre héroïques » proposé dix ans plus tard, pour encourager la muse épique au lendemain de l’échec de la Campagne de Russie (Chappey & Peureux, 2014).

Dans le prolongement des travaux antérieurs susmentionnés, ce colloque entend contribuer à l’exploration de l’histoire de la littérature française du point de vue des académies.

On s’attachera ainsi en priorité à définir et circonscrire le rôle des concours dans les académies de Paris et de province, un rôle qu’il ne faut ni surestimer, ni ignorer. Dans ce cadre, il s’agira de rendre aux institutions leur chronologie particulière, dont la gloire dépend de l’avenir des auteurs qu’elle consacre. On citera en exemples la victoire et l’élection fulgurante du jeune Victor Hugo au rang de maître ès Jeux floraux dès 1819, ou encore les sacres de Lamartine et de Hugo en 1829 et en 1841 à l’Académie française. Seront donc bienvenues toutes les communications qui portent sur les conditions de participation aux concours, sur leur représentativité sociale, mais aussi sur la légitimité débattue et souvent problématique des effets de reconnaissance auctoriale par la voix des joutes littéraires.

Il s’agira aussi d’étudier la vocation des institutions à « absorber[4] » la littérature et à la constituer en savoir. Le colloque entend faire une place aux débats internes aux académies comme aux phénomènes de résistance à l’institution, dans le but de mieux comprendre la façon dont les académies cautionnent ou contestent les grandes mutations socioculturelles de la modernité. On citera en exemple l’inversion du rapport de force entre les lettres et les sciences, au bénéfice des secondes, ou les mutations des définitions de la culture, dont les académies défendent jalousement une conception traditionnelle fondée sur la légitimité et sur la hiérarchie des genres au sein du système des beaux-arts, venant à l’appui d’un discours esthétique et politique conservateur. Les propositions de communication pourront donc encore concerner la façon dont les académies s’approprient la définition des genres littéraires, et quel regard éthique et patrimonial est porté sur l’histoire de la littérature.

On s’intéressera aussi à la vie des académies en tant qu’institutions, définies comme un lieu d’expression où la discussion équivaut à l’exercice du pouvoir. Sainte-Beuve, libéral dans les années 1820, puis rallié au Second Empire, ne concevait pas différemment la prise de parole sous la coupole (où il fut élu en 1844), puis au Sénat (entre 1865 et 1869[5]). Suivant la proposition de Lucie Robert, les académies, tout comme les parlements, sont des corps de proposition qui produisent un savoir juridique — matérialisé par le dictionnaire dans le cas spécifique de l’Académie française[6]. Quelles formes ont alors pris les échanges entre académies ? Quels dialogues, quelles rivalités ont construit leur histoire ? L’approche prosopographique est une des voix possibles pour répondre à ces questions. Les interventions pourront ainsi porter sur une personnalité membre d’une ou plusieurs sociétés savantes, sur une académie en particulier, ou sur les œuvres et les discours contenus dans les mémoires annuels, articles, comptes rendus de séance, exposés scientifiques et palmarès de prix, qui expriment un jugement académique sur les idées littéraires. Ces textes apportent un éclairage important sur l’évolution du goût et de l’idée de littérature, sur la réception des œuvres dans les institutions, sur l’accueil de la nouveauté et sur les pratiques de lecture.

Enfin, on accueillera généralement tout travail se proposant de valoriser ces mêmes textes issus des archives des académies, dans une démarche d’ouverture patrimoniale, encouragée par les outils d’édition numérique. À l’occasion du colloque, sera présentée une édition en cours des archives de l’Académie des Jeux floraux sur la plateforme EMAN.

Les propositions de communications (350 mots) accompagnées d’une brève présentation biobibliographique, sont à envoyer à Elsa Courant (elsa.courant@sorbonne-universite.fr) et Romain Jalabert (romain.jalabert@sorbonne-universite.fr) à la date du 31 mars 2024.

Le colloque aura lieu en bimodal, le mercredi 27 novembre 2024 dans les locaux historiques de l’Académie des Jeux floraux, à l’hôtel d’Assézat (Toulouse).

Une publication des actes est prévue.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[1] François Guizot, « Circulaire relative aux rapports des sociétés savantes des départements avec le ministère », 23 juillet 1834, recueillie par Xavier Charmes, dans Le Comité des travaux historiques et scientifiques (histoire et documents), Paris, Imprimerie nationale, 1886, t. II, p. 9.

[2] Sur la création du CTHS, on peut lire Simone Mazauric, « François Guizot et la création du CTHS : les sociétés savantes, la politique et l’histoire », La France savante, dir. Arnaud Hurel, Éditions du Comité des travaux historiques et scientifiques, 2017, p. 84-97.

[3] Depuis 1739, le Lys récompense un sonnet ou hymne adressé à la Vierge. De même, depuis la fin du XIXe siècle, la « Cérémonie des fleurs » dans laquelle les lauréats reçoivent leurs prix comprend un trajet jusqu’à l’Eglise de la Daurade, où sont restituées les fleurs données en récompense, préalablement bénies.

[4] Sophie-Anne Leterrier, « La littérature, les arts et les institutions savantes », Romantisme, n° 143, janvier-mars 2009, p. 83.

[5] Sur les prises de position de Sainte-Beuve, au Sénat, en faveur de la liberté d’expression, on peut lire Roger Fayolle, « Sainte-Beuve et l’École normale. L’affaire de 1867 », Revue d’Histoire littéraire de la France, n° 3, juillet-septembre 1967, p. 557-576.

[6] Lucie Robert, L’Institution du littéraire au Québec, Québec, Presses de l’Université Laval, 1989, p. 163-164.

 


Brève sélection bibliographique

Caroline Barrera, Les Sociétés savantes de Toulouse au XIXe siècle (1797-1865), Paris, Editions du CTHS, 2003

Jean-Pierre Chaline, Sociabilité et érudition. Les sociétés savantes en France, XIXe-XXe siècle, Éditions du CTHS, 1995

Jean-Luc Chappey et Guillaume Peureux, « Poètes en quête de sacre ? La poésie dans les concours académiques sous l’Empire », dossier « Poètes et poésie en révolution », [in] La Révolution française, 2014/07. En ligne : https://journals.openedition.org/lrf/1192?lang=en#bodyftn3

ConTextes, 2010, n° 7, « Approches de la consécration en littérature »

José-Luis Diaz, L’Écrivain imaginaire. Scénographies auctoriales à l’époque romantique, Paris, Honoré Champion, 2007.

Sylvie Ducas, La Littérature à quel(s) prix ? Histoire des prix littéraires, Paris, La Découverte, 2013.

Marc Fumaroli, Trois institutions littéraires, Paris, Folio Gallimard, 1994.

Francofonia, n° 67, 2014, « Poésie et institutions au XIXe siècle », coordonné par André Guyaux et Romain Jalabert. 

Anthony Glinoer, Vincent Laisney, L’Âge des cénacles. Confraternités littéraires et artistiques au XIXe siècle, Paris, Fayard, 2013.

Nathalie Heinich, L’Épreuve de la grandeur. Prix littéraires et reconnaissance, Paris, La Découverte, 1999.

Claude Lafarge, La Valeur littéraire. Figurations littéraires et usages sociaux des fictions, Paris, Fayard, 1983.

Muriel Louâpre, Hugues Marchal, Michel Pierssens (dir.), La Poésie scientifique, de la gloire au déclin, revue Epistemocritique, 2014.

Roger Marchal (dir.), L’Écrivain et ses institutions, Travaux de littérature, XIX, 2006, Genève, Droz.

Aude Mouaci, Les Poètes amateurs. Approche sociologique d’une conduite culturelle, Paris, L’Harmattan, « Logiques sociales », 2001

Lise Sabourin (dir.), Le Statut littéraire de l’écrivain, Travaux de littérature, Droz, 2007, t. XX 

Denis Saint-Amand, La Littérature à l’ombre. Sociologie du Zutisme, Paris, Classiques Garnier, « Études romantiques et dix-neuviémistes, 32 », 2012, 166 p.

Denis Saint-Amand (dir.), La Dynamique des groupes littéraires, Liège, Presses Universitaires de Liège, 2016.

Gisèle Sapiro, La Responsabilité de l’écrivain. Littérature, droit et morale en France (XIXe — XXIe siècles), Paris, Seuil, 2011

Anne Simonin, « Esquisse d’une histoire de l’échec. L’histoire malheureuse Des Réputations littéraires de Paul Stapfer », Mil neuf cent, n° 12, 1994

Alain Viala, Naissance de l’écrivain. Sociologie de la littérature à l’âge classique, Paris, Ed. de Minuit, collection « Le sens commun », 1985.

Id., Les Institutions littéraires en France au XVIIe siècle, Lille, ART, 1985.

Patrick Voisin (dir.), La Valeur de l’œuvre littéraire, entre pôle artistique et pôle esthétique, Paris, Classiques Garnier, 2012

Stéphane Zékian, L’Invention des classiques, CNRS éditions, 2012.