La revue critique Ligature, inspirée par une approche génétique de l’art, prépare son numéro thématique sur l’intervention des éléments cinématographiques dans le corpus du livre d’artiste. Dans ses numéros précédents, Ligature avait déjà exploré le thème "Cinématographie & Livre d’artiste", mais de façon fragmentaire. Elle présentait les matériaux intitulés « Huit courts-métrages burlesques improvisés d’après les dessins de Franz Kafka » (cf. n° 11, juin 2017) ou aussi plus récemment « Trois scènes et un intermède de court-métrage » dans la pièce intitulée P. S. [Procès Schiele], cf. n° 24, juin 2023. Sans oublier l’article de Caroline Bérenger, « Le chapeau melon d’Ossip Mandelstam », publié dans le n° 7 en juin 2015 et évoquant le livre d’artiste d’Anne Arc, La Vigne tordue (2014). Grâce à celui-ci, une des figures majeures de l’histoire de la cinématographie, Charlie Chaplin, sort de la pellicule pour passer sur les pages et tendre vers ce qui est quasi impossible : l’illusion d’un mouvement (typo)-graphique, par principe destiné à faire bouger le système texte-image trop lié à la notion du « livre », et qui finalement le fait basculer vers un nouveau système, celui de la genèse de l’œuvre d’art…
Le nouveau numéro de la revue Ligature, projeté pour juin 2024, est consacré à l’article « Décadence du cinéma ? » (1933), de Roman Jakobson, dans lequel celui-ci évoque que parmi les films peut-être les plus connus dans l’histoire du cinéma au début du xxe siècle, le sujet des Lumières de la ville, de Charlie Chaplin, a été emprunté à un scénario existant précédemment. Selon Jakobson, le synopsis initial en est le suivant. Un personnage, docteur bossu, est amoureux d’une femme aveugle. Sans oser le lui dire, il procède à un traitement ophtalmique pour la guérir. Très gêné par sa propre laideur, il propose à la jeune femme de n’ôter son bandeau que le lendemain. Il souffre et veut s’en aller, car il pense que la femme va le détester, mais elle l’embrasse en disant : « Je vous aime… c’est vous qui m’avez guérie… » La revue Ligature, dans la rubrique « Discours », envisage d’aborder ce sujet qui récemment a fait l’objet de la création d’un livre sous l’angle « dossier génétique », avec trois cent séquences en gravure installées sur une bande de papier rouleau perforé.
La revue présentera aussi le scénario 1922 de Jazz Banqueroute (« Jazz-Bankroet »), quasi inconnu, du poète flamand Paul van Ostaijen. Le livre d’artiste 2022 créé à l’occasion du centenaire de ce scénario est intitulé Jazz-Dada. Il s’agit d’une interprétation libre développant le sujet de van Ostaijen, dont l’épisode n° 39 du scénario annonce que le prince de Monaco est devenu président de la République Dada fondée en Europe, tandis que le personnage de Charlie Chaplin – le ministre des Finances – mène tout le monde à la faillite.
Un autre film, initialement non fixé sur pellicule mais installé en 1919 sur papier, sous la couverture d’un livre d’artiste intitulé La Fin du monde (éd. de la Sirène), ressort de la plume de Blaise Cendrars et des traits de gravure de Fernand Léger. Il est curieux que ce texte de 55 petits chapitres de Cendrars s’achève sur le thème de la faillite. Un exemplaire du livre, conservé à la collection Koopman de la Bibliothèque royale de la Haye, porte la dédicace de l’auteur avec l’inscription : « Ce film, qui ne sera jamais tourné… » Grâce à ce volume, dont les angles de vue et les observations sont traités à la manière d’un metteur en scène, se révèle le lien entre l’histoire du cinéma et l’histoire du livre d’artiste (rubrique « Figures »).
Dans ce sens, il faut remarquer que l’on envisage de publier dans la rubrique « L’entre images » de la revue les réflexions sur l’approche des poètes et écrivains à mi-chemin vers le septième art (cf. par exemple Georges Perec, L’homme qui dort, 1967, adaptation au cinéma en 1974).
En outre, notre revue s’intéresse particulièrement à la thématique du non tournage, en complément de ce qui est inachevé ou marginalisé. Ainsi, par exemple, le film muet inachevé Number Thirteen, d’Alfred Hitchcock (1922), sera analysé en vue de la création d’un livre d’artiste en 2024 par le groupe Sphinx Blanc.
Dans l’histoire du cinéma, de nombreux films ont été frappés par la censure. Nous proposons d’analyser les Images du monde visionnaire, d’Henri Michaux (1963). Souvent considéré comme une reconstitution des images subjectives reçues sous l’effet de la mescaline, ce film, réalisé par Éric Duvivier, avec la musique de Gilbert Amy, a été interdit en 1968 au grand public. Sous le signe pédagogique, il a été classé comme « scientifique à visée pharmacologique » et n’a été diffusé qu’auprès des médecins. L’analyse des séquences d’images, montées comme des dessins animés et commentées par Michaux, fait partie du nouveau numéro de la revue.
Le manuscrit de Felip Costaglioli, Prendre sang, sera publié dans la rubrique « Autographes ». Ce texte, comme l’écrit l’auteur, est un hommage à deux pionnières dans le cinéma, Emily Dickinson (1830-1886) dont les poèmes et les carnets restèrent dans l’ombre de son vivant, et Alice-Guy Blaché (1873-1968), dont les films très tôt visibles tombèrent bien vite dans l’oubli. La mise en page autographe constitue l’album de la revue Ligature.
Faisant suite à l’exposition (rubrique « Exposition ») de la galerie parisienne Topographie de l’art (automne 2023), nous présenterons aussi un diaporama du livre d’artiste unique La Nuit-Corde (2007). L’artiste-auteur Serge Chamchinov y enregistre un scénario fantasmagorique, dessinant séquence par séquence une série graphique restituant sur papier une action « cinématique » dont le personnage glisse sur une corde, passant d’un espace blanc à un espace d’ombre. La partition musicale accompagne chaque séquence comme s’il s’agissait d’un film muet. Au moment crucial, à la fin de l’ouvrage, le personnage s’échappe des pages du livre pour passer sur l’enveloppe jointe. L’article analytique accompagne cette présentation.
Par ailleurs, toujours fidèles à l’esprit d’expérimentation, les artistes du groupe Sphinx Blanc reconstituent une partie d’échecs jouée par les personnages principaux dans le film d’Ingmar Bergman Le Septième Sceau (« Det sjunde inseglet », 1957), le chevalier et la mort (rubrique « Projet »). La fresque du xve siècle d’Albertus Pictor (fragment, église de Täby, Suède), image inspiratrice pour Bergman, figurera sur le frontispice de la revue. Selon le synopsis du film, un chevalier de retour des croisades rencontre la mort en chemin. Il lui propose une partie d’échecs afin de retarder l’échéance fatidique et trouver des réponses à ses questionnements sur la foi. La partie d’échecs est donc devenue le sujet graphique du nouveau livre en cours de composition dans la collection « Non-Édition » (voir rubrique « Projets » de la revue Ligature). Dans deux ou trois épisodes du film seulement, la position sur le jeu d’échecs est affichée aux yeux du spectateur. Le futur livre dévoilera quelques diagrammes de cette partie imaginaire.
Le numéro de la revue critique du Livre d’artiste Ligature, « Livre d’artiste & Septième art. Nouveau cahier Lumière », sera prêt pour la publication en juin 2024, et constituera le trente-sixième cahier édité depuis douze ans d’existence.
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La revue Ligature soutient les contributions des chercheurs qui proclament l’autonomie réflective et méthodologique du livre d’artiste. La revue se distingue catégoriquement de deux visions contradictoires sur le livre d’artiste, dont l’une le rattache à la bibliophilie dite contemporaine et l’autre l’inscrit dans l’art conceptuel. La revue s’appuie sur les recherches scientifiques pluridisciplinaires menées au sein du « Laboratoire du livre d’artiste » depuis l’année 2008, afin de pouvoir établir la future étude, non pas pour réglementer le livre d’artiste, mais pour pouvoir présenter toute sa diversité, ses rapports avec les autres domaines des cultures et des sciences humaines.
Conditions
Les propositions d’articles sur la thématique annoncée du livre d’artiste vis-à-vis du cinéma (résumé 500 mots maximum + biobibliographie) doivent parvenir avant le 15 février 2024 par e-mail. La sélection sera effectuée fin février 2024 par le comité de rédaction de la revue. Les textes des articles devront être rédigés (8 pages au maximum) avant le 1 mai 2024 (date limite). Les matériaux photographiques (2 ou 3 au maximum) doivent être libres de droits. Les textes des articles ne seront pas corrigés par la rédaction de la revue et la graphie originale en sera gardée. Aucun exemplaire d’auteur n’est prévu, sauf en cas de demandes particulières suivies de participation aux frais de fabrication. La publication du numéro débutera en juin 2024.
Contacts :
Anna Samson, directrice de la publication
Serge Chamchinov, rédacteur en chef de la revue.