Une « œuvre de croyance[s][1] » ?
Balzac et la question de la croyance
Journée d’étude du Groupe International de Recherches Balzaciennes
Sous la direction de Vincent Bierce et Jacques-David Ebguy
La journée d’étude aura lieu le vendredi 14 juin à la Maison de Balzac (Paris). Les propositions de communication sont à envoyer avant le 31 janvier 2024 à Jacques-David Ebguy et Vincent Bierce aux adresses suivantes : jdebguy@gmail.com et vincentbierce@hotmail.com
La période qui s’ouvre avec le premier XIXe siècle est marquée par une crise religieuse, par la recherche de nouvelles croyances et de nouveaux cultes ainsi que par l’élaboration de systèmes qui traversent et brisent en bien des points la vieille croyance chrétienne[2]. Philosophes (Hume, Kant écrivant « Je dus donc abolir le savoir afin d’obtenir une place pour la croyance » au début de la Critique de la raison pure) ou sociologues (Gabriel Tarde, à la fin du siècle, dans sa Logique sociale) interrogent à nouveaux frais la question de la croyance. Jugé caduc, le catholicisme est en effet confronté à l’émergence de religions nouvelles qui conçoivent la croyance en dehors du dogme et élargissent l’espace du religieux : les inquiétudes spirituelles vont alors de pair avec les espoirs de renouveau métaphysique dont il s’agit de redéfinir les fondements. Est posée la question de la reconfiguration du sentiment religieux après la Révolution, c’est-à-dire la question de la translation des formes, d’un remodelage fait de déplacements, de coalescences, d’altérations adaptatives[3]. De plus en plus, la croyance se conçoit ainsi en dehors de la religion traditionnelle, et la foi se rapproche du doute, ainsi qu’en témoigne la définition qu’en donne Dupont de Nemours en 1793 :
Pesez le sens de ce mot. Croire signifie douter avec de fortes raisons pour affirmer. Ne pas croire signifie douter avec de fortes raisons pour nier. Lorsqu’il n’y a point de doute, il n’est plus question de croire ou de ne pas croire. On affirme ou l’on nie ; on voit, on sait[4].
Après 1802 et la publication du Génie du Christianisme, qui déplace la foi sur le plan esthétique et poétique, de nouvelles façons de croire envahissent le terrain de la religiosité : croire devient alors synonyme d’imaginer et espérer. L’espace religieux s’élargit, la pluralité n’est dorénavant plus considérée comme un signe d’invalidité, et les écrivains proposent des fictions nouvelles qui promeuvent de multiples façons de croire. Développant une relation neuve à l’autre, l’écrivain de la première partie du XIXe siècle accueille ainsi d’autres façons de penser et d’autres formes de croyances. En marge du religieux et des croyances populaires et folkloriques s’écrit en outre une croyance qui a recours aux diverses formes d’un savoir qui peut être de deux ordres : le XIXe siècle voit en effet un retour de l’ésotérisme sous ses différentes formes (occultisme, magnétisme, illuminisme) qui transparaît par exemple dans la réception que font des romantiques comme Nodier ou Nerval de l’œuvre de Cazotte, et il est également le théâtre d’un important développement dans le domaine des connaissances scientifiques, qui ouvre la voie à une confiance accrue dans le progrès. Ces multiples facettes de la croyance au début du xixe siècle, bien loin de constituer des catégories figées, imperméables les unes aux autres, ne cessent de se mêler, formant des syncrétismes parfois singuliers, en même temps qu’elles entrent dans des relations de concurrence. On cherche alors à repenser les rapports entre le matérialisme et le spiritualisme, la matière et l’esprit, et on essaye de surmonter leur opposition.
Dès lors, où situer Balzac dans ce contexte général, et comment appréhender la réflexion sur les croyances et leurs représentations qu’il met en œuvre dans ses romans ? Dans le compte rendu des deux premiers volumes de la Biographie universelle ancienne et moderne dite Biographie Michaud qu’il rédige pour La Quotidienne et publie le 22 août 1833, l’écrivain, après avoir salué le « labeur gigantesque[5] » de la « Biographie mythologique » de Parisot, donne à lire cette prédiction pessimiste : « Manquant de croyances, nous manquerons de grandes œuvres[6] ». N’a-t-il pas, dès 1831, réuni sous l’appellation d’ « école du désenchantement » un certain nombre de romans (dont La Peau de chagrin) caractérisés par leur refus de toute certitude, illusion ou croyance – « Science ?... Niaiserie ! À quoi bon ? Qu’est-ce que cela me fait[7] ? » ? N’a-t-il pas écrit de l’auteur du Rouge et le Noir qu’il « nous arrache le dernier lambeau d’humanité et de croyance qui nous restait[8] » ?
Cependant, et malgré ces diagnostics répétés qui résonnent comme des sentences sans appel, l’auteur de La Comédie humaine assure, dans la préface du Livre mystique, « essay[er] une œuvre de foi dans une époque incrédule[9] » : décrivant un « XIXe siècle travaillé par le doute[10] » et constatant le recul du modèle religieux qu’il cherche cependant encore à confronter aux évolutions de l’histoire contemporaine, l’écrivain affirme la nécessité de la croyance au sein d’une société révolutionnée.
La croyance ainsi désignée est d’abord, et bien sûr, la croyance religieuse. Balzac donne en effet à lire dans l’ensemble de son œuvre une interrogation qui place la représentation de la foi au centre de ses préoccupations. S’il entreprend d’une part de définir la nature de la spiritualité et de la relation intime entre le fidèle et Dieu dans le Livre mystique, et plus largement au sein des Études philosophiques, il s’attache d’autre part, dans les Études de mœurs, à proposer une interrogation sur la croyance en tant qu’elle est engagée dans la société. Jésus-Christ en Flandre démontre ainsi par l’allégorie la puissance de la foi et la nécessité de croire (« Croire ! […] C’est vivre[11] »), quand Séraphita explicite la manière dont l’homme peut perfectionner sa nature angélique en s’unissant au divin (« Adieu, homme, tu seras croyance[12] »). De fait, la foi est d’abord pensée par Balzac comme un puissant moyen de gouvernement : parce que l’absence générale de croyance est corrélée à l’égoïsme d’un peuple surtout désireux de s’enrichir, le sentiment religieux se trouve alors défini comme un obstacle aux dépravations des hommes : il est le seul qui puisse maintenir la discipline, conserver l’ordre social et « dompte[r] les rebellions de l’esprit, les calculs de l’ambition et les avidités de tout genre[13] ».
Or la société post-révolutionnaire que Balzac cherche à décrire traverse une véritable crise spirituelle : la place de Dieu y est remise en question et le réel, désormais instable, ne semble plus pouvoir s’appréhender comme une totalité close et cohérente. Si « 1830 a consommé l’œuvre de 1793[14] », c’est précisément à cause de la perte généralisée du sentiment religieux et des croyances, un phénomène global que l’écrivain déplore à maintes reprises dans ses œuvres : le prologue de La Fille aux yeux d’or décrit par exemple la France comme un « pays sans mœurs, sans croyance, sans aucun sentiment[15] », Benassis regrette qu’ « au lieu d’avoir des croyances, nous a[y]ons des intérêts[16] » et l’abbé Bonnet s’effraie d’un « prolétariat […] sans foi ni croyance[qui] s’avancera et mettra le pied sur le cœur du pays[17] ».
Dès lors, le récit balzacien interroge le statut, la place et la possibilité même des croyances et de leur représentation dans l’histoire contemporaine. Car le romancier, qui questionne les rapports des sujets et du monde en diversifiant les pistes interprétatives, ne semble plus pouvoir dire les fluctuations d’une société éclatée et sans repère que par la construction d’une scène romanesque polyphonique suspendant toute vérité. On comprend alors que la question de la croyance ainsi posée dépasse la seule interrogation religieuse pour engager l’expérience même du sujet contemporain et interroger plus largement la question des valeurs. Car s’il « n’y a plus rien de sacré[18] », ainsi que l’affirme la Cibot, en quoi ou en qui croire ? Quelles croyances pour ce monde « renversé[19] » en proie au doute et à l’instabilité, et alors que le croyant se heurte à l’incrédulité de son temps ? Plus encore, quelles conséquences pour la société, menacée de paralysie si on ne croit plus en rien ni en personne, et pour sa représentation romanesque ? Pour le dire autrement, comment reconstruire une communauté et « inventer de nouvelles régulations interpersonnelles quand le sujet cède la place à l’individu, les droits et intérêts du second se substituant aux obligations et aux dévouements premiers[20] ? »
Ce n’est alors plus la seule spiritualité qui est en cause et en jeu, mais plus largement, la possibilité d’un lien de confiance entre les citoyens, et ce alors que la modernité a procédé à une sorte d’inversion consistant à appréhender l’ensemble des relations humaines en fonction de la logique économique. Comme l’a montré Benveniste et ainsi que le rappelle Alexandre Péraud[21], la racine Khred est l’une des plus anciennes du vocabulaire indo-européen : elle a donné le mot credo (crédit – créance/croyance) et désigne « la portion de pouvoir magique que l’homme reçoit en gage de protection, le crédit accordé par le monde d’en haut[22] ». Credere, c’est alors poser en quelqu’un la khred (d’où résulte la confiance) dans un acte qui lie la confiance et l’offrande. Confier quelque chose (ce qui est un emploi de credo) c’est « remettre à un autre, sans considération du risque, quelque chose qui est à soi, qu’on ne donne pas […] avec la certitude de retrouver la chose confiée[23]. C’est en somme le même mécanisme pour une foi proprement religieuse et pour la confiance en un homme, que l’engagement soit de parole, de promesses ou d’argent. Or l’économie moderne repose désormais sur « un système de conventions et de croyances[24] » : on assisterait alors à « la substitution de crédit à la confiance » et, plus largement, à la « disparition radicale du croire[25] ». Qu’il s’agisse du rapport à Dieu, à l’État ou de relations interpersonnelles, c’est la notion de confiance elle-même qui est remise en cause ; comme l’explique le narrateur de Modeste Mignon : « N’être la dupe de rien, cette affreuse maxime est le dissolvant de tous les nobles sentiments de l’homme[26] ».
Est-ce à dire alors que c’est l’ensemble des croyances qui, par généralisation, sont frappées de caducité et rendues inopérantes par la représentation balzacienne ? Que toute valeur, dans l’univers de transactions économiques et d’échanges représenté, est désormais échangeable, et que les vainqueurs sur la scène de l’histoire sont toujours les plus cyniques qui, à l’image de Nucingen, ne « croyait à aucune vertu, mais à des circonstances où l’homme est vertueux[27] » ? C’est précisément ce que nous aimerions interroger, car à l’affaiblissement généralisé de la spiritualité religieuse semble bien répondre une véritable prolifération des croyances dans l’ensemble de La Comédie humaine[28], à tel point d’ailleurs que le lecteur ne sait plus vraiment qui et que croire. La croyance semble ainsi pouvoir se lire et de dire de multiples façons dans les récits balzaciens, qui prennent plaisir à multiplier à l’infini les croyances de diverses natures et à faire jouer la rumeur contre la vérité, le sentiment religieux contre l’athéisme, la science contre la foi, la Providence contre le hasard et, à l’instar du Cousin Pons, les croyants contre les incrédules[29].
Plusieurs perspectives pourront être explorées, sans que ces pistes soient exhaustives :
1. Les sujets de la croyance
Qui sont les sujets balzaciens de la foi, les croyants dans La Comédie humaine ? Et qu’entend-t-on exactement par croyance ?
Tandis que le pluriel (les croyances) met l’accent sur le contenu de la croyance, le singulier est davantage polysémique, qui désigne à la fois le contenu ou l’objet de la croyance (ce à quoi ou en quoi l’on croit) et l’acte qui consiste à affirmer la réalité ou la vérité d’une chose ou d’une proposition. La tradition philosophique a d’ailleurs très souvent opposé la croyance à la raison, à la rationalité qui s’appuie quant à elle sur des conditions objectives, sur la vérité démonstrative et rationnelle[30]. La croyance met ainsi en valeur l’acte de croire, et non pas le contenu ou l’objet de la croyance : le mot désigne alors l’attitude d’acceptation liée à la certitude et à la vérité. L’essentiel tient donc au rapport énigmatique que la croyance entretient avec la vérité : croire, c’est tenir pour vrai, accorder au contenu auquel on croit une prétention ou une présomption de vérité. Si la croyance appartient d’abord au domaine religieux et renvoie à la spiritualité et la religiosité, elle en vient à quitter son terrain initial et s’étend à d’autres types de perception, à d’autres phénomènes d’adhésion. Il s’agira alors d’interroger les différentes composantes des croyances, ses diverses modalités ou intensités. La croyance religieuse, qui est croyance en un dogme, en une vérité révélée, doit à cet égard être distinguée d’une part des croyances des humanitaires, des saint-simoniens comme l’ingénieur Gérard ou des républicains comme Michel Chrestien, et d’autre part des croyances plus occasionnelles, plus hasardeuses, plus incertaines et moins collectives (La Messe de l’athée).
Dans son Discours sur l’immortalité de l’âme vraisemblablement commencé en 1818[31], le jeune Balzac théorisait déjà l’idée que seul un nombre restreint d’individus peut avoir accès à la croyance religieuse[32]. Il y aurait ainsi, dans la conception balzacienne de la foi, une pensée par catégorisation ; l’accès ou non aux idées religieuses serait un critère discriminant qui permettrait d’élaborer différentes classes de personnages ; pour le dire autrement, ainsi que le résume Carlos Herrera, « les élus de Dieu sont en petit nombre[33] ». Cette organisation implique alors une représentation fondée sur une division du personnel romanesque, division pensée à partir de l’accès des personnages au sentiment de l’infini : si certaines figures en sont totalement dépourvues, chez d’autres la religiosité constitue une part essentielle de leur épaisseur romanesque[34]. Plus encore, pour pouvoir être l’objet d’une représentation fictionnelle, le sentiment religieux supposerait d’être médiatisé par des personnages pensés comme des personnes, c’est-à-dire comme des êtres singuliers dotés d’une intériorité, conscients d’eux-mêmes et inscrits dans une durée, permettant ainsi de penser différents âges de la croyance[35].
La réflexion métaphysique balzacienne engage donc des réalisations romanesques fondées sur la notion de sujet et une cartographie des rôles, avec des figures emblématiques du croire et, à l’opposé, des personnages qui ne croient pas ou plus, comme le désenchanté ou le cynique. Il y aurait alors non seulement des degrés dans la croyance (il existerait des croyances légères, par défaut, de convenance voire fallacieuses, ou des croyances malgré tout, opposés de manière volontariste au doute dont on se sent atteint) mais aussi des envers de la croyance comme le doute, le scepticisme, l’esprit d’examen, l’athéisme.
2. Les valeurs, religieuses ou morales
Quelles valeurs les romans balzaciens mettent-ils en avant, et comment les représentent-ils ? De quels principes les personnages se revendiquent-ils et font-ils l’éloge, direct ou indirect ? Et peut-on parler d’une poétique des valeurs[36] à l’œuvre dans les récits balzaciens, ou d’un « effet-idéologie[37] », alors-même que l’ironie, qui « construit des hiérarchies flottantes, des ensembles de valeurs qu’elle repère momentanément les uns par rapport aux autres[38] » est désormais reconnue par la critique balzacienne[39] comme un « élément central de [l]a poétique et [du] style[40] » balzacien ? Il apparaît alors que la représentation balzacienne, fondée sur un dispositif de représentation critique du réel et du monde qui suspend le discours du roman ou dans le roman, assume la solitude radicale dans laquelle elle laisse le lecteur[41] et procède à de multiples retournements problématiques : Chabert échoue à faire exister les valeurs d’un autre temps dont il est porteur, Balthazar Claës est à la fois un grand homme martyr et un raté, et Louis Lambert un génie autant qu’un impuissant.
3. Croyances et modalisations discursives
On pourra également se demander sur quelles modalisations discursives se fonde la représentation de la croyance dans les récits balzaciens. La Comédie humaine met en scène des personnages qui éprouvent un sentiment religieux, c’est-à-dire qui font l’expérience d’une certaine forme de sacré et de la transcendance. Comme l’explique Mircea Eliade[42], le sacré, dont la première définition est qu’il s’oppose au profane, se caractérise par des manifestations qu’il nomme « hiérophanies » ; le sacré serait donc avant tout une expérience, expérience faite à partir de manifestations, c’est-à-dire à partir du jaillissement de phénomènes qui plongeraient le sujet dans une réalité seconde dont la première caractéristique serait l’altérité de sa nature. Rudolf Otto[43] décrit l’expérience religieuse, qu’il qualifie de « numineuse » parce que provoquée par la révélation d’un aspect de la puissance divine[44], comme une expérience terrifiante et irrationnelle : face à la manifestation de la puissance divine, le sujet éprouve un sentiment d’effroi, de crainte religieuse où s’épanouit la parfaite plénitude de l’être. Ce sentiment s’exprime à travers divers degrés qui vont de l’excitation mystique au tremblement religieux lié à la terreur, mais il ne peut pas s’expliquer ; ainsi, ses moyens d’expression sont essentiellement indirects : ils correspondent par exemple à l’effrayant, au terrible, au hideux ou encore au grandiose, au sublime, ou même au charme, à une forme de magie dont la puissance nous surprend. Or « la Croyance […] est également une langue[45] » comme l’affirme Séraphita, et Balzac s’intéresse bien aux problèmes linguistiques posés par ces nouvelles formes de spiritualité ainsi qu’à la manière la plus efficace de dire ces expériences numineuses[46]. Dans la préface du Livre mystique, l’écrivain affiche d’ailleurs sa volonté de tourner le dos à l’obscurité d’auteurs comme Mme Guyon, Swedenborg ou Jacob Boehm afin de donner à lire « l’expression nette de la pensée religieuse[47] ». Il s’agit alors d’une part de conférer à cette dernière « la forme, la poésie[48] » qui lui manque, autrement dit d’« incarn[er] le Verbe[49] », de « poétis[er] une doctrine[50] », et d’autre part de la transposer dans un cadre romanesque pour la rendre « attrayante comme un roman moderne[51] ». On pourra alors se demander comment se dit la hiérophanie balzacienne, et s’il existe dans les récits de La Comédie humaine des modalisations discursives particulières pour traduire le mysticisme et la foi : la langue des croyances est-elle celle de l’émotion, de la terreur, de l’exaltation et/ou de l’ironisation ? Et comment l’auteur parvient-il à nuancer, par le style dans la langue, les représentations et les discours de et sur les croyances ?
La croyance en de grands systèmes explicatifs comme la Science ou l’Histoire
Alors qu’en ce début de siècle, les croyances et les expérimentations se chevauchent, la Science et ses rapports à la croyance apparaissent comme une question centrale. Si « le propre du roman balzacien » est de « multiplier les modèles, avec emprunt à d’autres arts ou à d’autres disciplines, comme l’histoire et l’enquête sociale, le droit, la médecine, les sciences en général[52] », le modèle scientifique est prégnant dans toute La Comédie humaine où il « affiche une présence constante, capitale[53] ». S’appuyant sur la méthode de l’anatomie comparée telle que la développe Cuvier, Balzac s’inscrit dans la lignée des philosophes matérialistes[54] du siècle précédent en postulant à la fois une substance unique caractérisée par son automotricité et la matérialité de l’âme et de la pensée, notions à partir desquelles il développe l’idée fondamentale d’une énergétique fondée sur la conception de l’usure vitale ainsi que toute une théorie de la volonté qui nourrit l’ensemble de ses œuvres. Cette « quête obstinée d’un principe de liaison[55] » se transforme alors en tentative pour éviter à tout prix le dualisme stérilisant de la matière et de l’esprit et unifier, à partir de la postulation de la double nature de l’homme et la présence d’un être intérieur, le matérialisme et le spiritualisme. Dès lors, les frontières de la science et de la croyance sont floues : la volonté de rigueur scientifique n’est plus incompatible avec la croyance affichée en une science unitaire assimilée à une forme de magisme. Comment comprendre, par exemple, l’invitation faite, à la fin de La Vieille Fille[56], à étudier et user des « mythes modernes » pour comprendre la société ? On pourra alors se demander quel type de rapports l’univers balzacien entretient avec les différentes sciences qu’il mobilise : est-ce de l’ordre de la croyance, de l’adhésion, ou est-ce purement pragmatique, idéologique ?
La croyance en l’Histoire pourra constituer une autre piste féconde. Ainsi que l’explique Michèle Rio-Sarcey[57], l’incertitude dans laquelle est plongé le monde contemporain est sans doute la raison du triomphe de l’histoire dans laquelle s’investissent alors toutes les croyances, comme symptôme d’un manque. La recherche de vérité, d’une vérité à la fois séculière et transcendante, passe désormais par l’Histoire. Chacun, en effet, cherche « Le Livre nouveau, à partir duquel il sera possible de sécuriser les croyances qui habitent […] la plupart des esprits contemporains[58] ». Ne souscrivant pas à la vision providentialiste de l’histoire, Balzac cherche la faille dans ce nouveau discours, et s’emploie à ôter leurs certitudes à ses contemporains. Ainsi, les romans balzaciens nous invitent-ils à croire en une certaine conception de l’Histoire, pensée par exemple comme progrès ou au contraire comme chute[59] ?
Croire en l’autre
Peut-on alors seulement encore faire confiance à autrui et croire en l’autre dans l’univers de La Comédie humaine, à une époque où « tout s’analyse et s’examine, où il n’y a plus de foi ni pour le prêtre ni pour le poète, où l’on abjure aujourd’hui ce qu’on chantait hier[60] » ? Faut-il croire au héros, supposé incarner le bien, alors même que les romans balzaciens s’achèvent souvent sur le triomphe des valeurs sociales et que la « possibilité même d’une hiérarchisation morale fixe est remise en cause[61] » ? Placer sa foi dans une hypothétique figure de l’homme d’état providentiel, du grand homme[62] à l’image de Z. Marcas ou Benassis ? Et peut-on encore croire au pouvoir et à la force de l’éloquence, alors même que le monde est livré à la discussion, cette « harpie moderne[63] », associée par Balzac au « principe électif[64] » et à la démocratie[65] ? En somme, quelle valeur accorder à la parole de ses contemporains, alors que les rumeurs ne cessent de proliférer et deviennent un moyen pour écraser, flouer ou mystifier son prochain, comme dans La Maison Nucingen, Le Cousin Pons ou encore Le Faiseur ? À la figure idéale du père imaginaire répond alors celle de l’imposteur qui, à l’image de Vautrin, « promeut les leurres du narcissisme, prescrit la jouissance immédiate et prêche la contre-morale de la disparition des principes[66] ».
La « foi littéraire »
C’est aussi en tant qu’écrivain et que romancier que Balzac envisage la question de la croyance et de la foi. Dans ses interventions critiques, l’auteur de La Comédie humaine ne cesse d’insister sur la nécessité de la croyance. Si Walter Scott est un grand romancier, contrairement à M. Rey-Dussuel, c’est qu’il « croit à ce qu’il dit », et respecte « sa propre création ». Le « génie du romancier », insiste Balzac analysant un roman d’Eugène Sue, « doit consister à faire croire à ses créations[67] ». Le romancier reproche plus globalement à l’auteur des Mystères de Paris de manquer de « foi littéraire[68] ». Comment comprendre – rapport de l’écrivain à la littérature - cette foi en la Littérature exigée par Balzac ? Comment entendre – rapport de l’écrivain au monde de son œuvre et à ses lecteurs - cette nécessité de faire croire à ses créations ? L’œuvre de Balzac, à la fois romanesque et critique, est une invitation à préciser les formes de ses rapports, la place qu’elle donne à l’écrivain, la définition de l’œuvre (l’œuvre-illusion, auto-suffisante) et du processus créateur qu’elle implique, les choix formels (statut du narrateur, rapport à l’Histoire, composition romanesque…) qui en découlent. La croyance en l’œuvre et/ou en son monde pourrait-elle apparaître comme une réponse au scepticisme, à la « senteur cadavéreuse[69] » de l’époque ?
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[1] Séraphita, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », tome XI, p. 769. Les citations extraites de La Comédie humaine renverront toujours à cette édition.
[2] Sur l’évolution du catholicisme dans la première moitié du XIXe siècle, voir notamment J. Le Goff et R. Rémond (éd.), Histoire de la France religieuse, Paris, Seuil, 1991, t. III, « Du roi très chrétien à la laïcité républicaine ».
[3]Pour Jean-Claude Monod, l’interrogation essentielle réside dans la modalité de sortie ou de passage : « le monde occidental moderne est-il sorti du monde chrétien-médiéval comme on passe d’un lieu à un autre (éventuellement en s’échappant du premier), d’un pays à un autre, séparés par une frontière étanche, ou comme un enfant, sorti du corps de sa mère, est “ issu” de ses parents ? » Voir J.-C. Monod, La querelle de la sécularisation, Paris, Librairie philosophique J. Vrin, 2016 [2002], p. 8.
[4] Dupont de Nemours, Philosophie de l’univers, édition originale sans date (date de composition probable 1792-1793), p. 152.
[5] Œuvres diverses, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », tome II, p. 1230. Les citations extraites de La Comédie humaine renverront toujours à cette édition.
[6] Ibid., p. 1233.
[7] Lettres sur Paris, « Lettre XI », OD, t. II, p. 937.
[8] Idem.
[9] Préface au Livre mystique », XI, p. 507.
[10] Ibid., p. 503.
[11] Jésus-Christ en Flandre, X, p. 327.
[12] Séraphita, XI, p. 840.
[13] L’Envers de l’histoire contemporaine, VIII, p. 329.
[14] La Cousine Bette, VII, p. 151.
[15] La Fille aux yeux d’or, V, pp. 1040-1041.
[16] Le Médecin de campagne, IX, p. 430.
[17] Le Curé de village, IX, p. 820.
[18] Le Cousin Pons, VII, p. 610.
[19] Idem.
[20] A. Péraud, Le Crédit dans la poétique balzacienne, Paris, Classiques Garnier, 2012, p. 44.
[21] Ibid., p. 14.
[22] E. Benveniste, Vocabulaire et institutions indo-européennes t. 1, Economie, parenté, société) Paris, Minuit, 1969, p. 171 et 181.
[23] Idem.
[24] A. Péraud, op. cit., p. 9.
[25] Ibid., p. 51.
[26] Modeste Mignon, I, p. 530.
[27] La Maison Nucingen, VI, p. 30-381.
[28] Le paradoxe est même explicité dans La Fille aux yeux d’or, où la France est décrite comme un « pays sans mœurs, sans croyance, sans aucun sentiment mais d’où partent et où aboutissent tous les sentiments, toutes les croyances et toutes les mœurs » (La Fille aux yeux d’or, V, pp. 1040-1041).
[29] Voir à ce propos V. Bierce, « Les croyances : la ‘‘bonne foi’’ contre le système des incrédules », dans Le Cousin Pons de Balzac, A. Déruelle (dir.), Presses Universitaires de Rennes, coll. « Concours », octobre 2018. Rappelons que l’opposition entre les « Croyants » et les « Incrédules » est aussi présente dans La Vieille fille.
[30] Voir à ce propos Croire et faire croire, A. Muxel (dir.), Paris, Presses de Science Po, 2017.
[31] À ce propos, voir A.Voussaris, « Du Discours de l’immortalité de l’âme de Balzac, AB 1993, p. 91-126.
[32] « Les enfants, les insensés et beaucoup d’êtres n’ont pas l’intelligence assez forte pour soutenir l’idée de Dieu, comme d’autres s’y refusent par trop d’intelligence. Il est des âmes chez lesquelles un heureux hasard a mélangé gracieusement une foule de facultés précieuses […] De telles créatures n’ont jamais besoin de preuves pour croire à Dieu, elles se sont emparées dès longtemps de cette grande idée. Dieu vit dans leur sentiment comme s’il était leur sentiment lui-même et ces créatures sont rares parce qu’il est rare de trouver des raisons épurées et sur les millions d’hommes qui vivent sur le sol de l’Europe, il y en a peu qui comprennent Dieu parce que Dieu n’est pas un mot qui représente une pensée ordinaire » (Discours sur l’immortalité de l’âme, Œuvres Diverses, t. I, p. 549).
[33] Illusions perdues, t. V, p. 704.
[34] Voir V. Bierce, « Les élus de Dieu sont en petit nombre : spiritualité balzacienne et vie intérieure » dans la Revue Balzac, numéro 2 : « L’intériorité », B. Lyon-Caen (dir.), 2018, p. 129-146.
[35] Voir par exemple ce qu’on lit dans La Bourse « En le forçant à demeurer dans la solitude, cette mère des grandes pensées, le travail auquel il s'était voué dès sa jeunesse l'avait laissé dans les belles croyances qui décorent les premiers jours de la vie. Son âme adolescente ne méconnaissait aucune des mille pudeurs qui font du jeune homme un être à part dont le cœur abonde en félicités, en poésies, en espérances vierges, faibles aux yeux des gens blasés, mais profondes » (La Bourse, I, p. 418) ou dans Louis Lambert (« La fin romanesque de laquelle il dotait la destinée humaine était de nature à caresser le penchant qui porte les imaginations vierges à s'abandonner aux croyances. N'est-ce pas durant leur jeunesse que les peuples enfantent leurs dogmes, leurs idoles ? » Louis Lambert, XI, p. 616).
[36] Voir V. Jouve, Poétique des valeurs, Paris, PUF, coll. « Ecriture », 2001.
[37] Ph. Hamon, Texte et idéologie, Paris, PUF, 1984.
[38] Ch. Couleau-Maixent, « L’ironie balzacienne ou le roman au second degré » dans É. Bordas (éd.), Ironies balzaciennes, Saint-Cyr-sur-Loire, Christan Pirot, 2003, p. 223.
[39] Voir par exemple É. Bordas (dir.), Ironies balzaciennes, op. cit., ou V. Bierce, « Je vous apprendrai une poétique toute nouvelle » : Balzac, une poétique de l’ironisation », Romantisme, n°195 (1/2022), p. 46-58, Armand Colin.
[40] Ch. Couleau, notice « Ironie » dans Dictionnaire Balzac, É. Bordas, P. Glaudes, N. Mozet (éd.), Paris, Classiques Garnier, vol. I, 2021, p. 663.
[41] B. Lyon-Caen, prenant acte du véritable malaise dans l’interprétation et des « résistances altèr[ant] l’omnipotence du paradigme herméneutique » qui caractérisent la représentation balzacienne, propose d’en rendre compte à partir de la notion d’ « insignifiance » : voir B. Lyon-Caen, « L’écriture de l’insignifiance. Notes pour un chantier dix-neuviémiste » dans V. Jouve et A. Pagès (éd.), Les Lieux du réalisme. Pour Philippe Hamon, Paris, Presses Sorbonne Nouvelle, 2005, p. 367.
[42] « L’homme prend connaissance du sacré parce que celui-ci se manifeste, se montre comme quelque chose de tout à fait différent du profane. (…) C’est toujours le même acte mystérieux : la manifestation de quelque chose de “tout autre”, d’une réalité qui n’appartient pas à notre monde ». M. Eliade, Le Sacré et le profane, Paris, Gallimard, 1987, p. 17.
[43] R. Otto, Le Sacré : l’élément non-rationnel dans l’idée de divin et sa relation avec le rationnel, Paris, Payot, 1968 [1917].
[44] Le mot numineux est construit à partir du latin numen qui désigne la volonté de Dieu ainsi que l’essence, la nature divines.
[45] Séraphita, XI, p. 815.
[46] Voir à ce propos V. Bierce, « La Croyance est également une langue : Balzac et la phraséologie métaphysique » dans Balzac et la langue, E. Bordas (dir.), éditions Kimé, Paris, 2019, p. 205-222.
[47] Préface au Livre mystique, XI, p. 501.
[48] Ibid., p. 506.
[49] Ibid., p. 507.
[50] Idem.
[51] Idem.
[52] N. Mozet, « Balzac, le XIXe siècle et la religion », dans J.-L. Diaz et I. Tournier (éd.), Penser avec Balzac, Saint-Cyr-sur-Loire, Christian Pirot, 2003, p. 55.
[53] M. Ambrière, Au Soleil du Romantisme : quelques voyageurs de l’infini, Paris, PUF, 1998, p. 259.
[54] Voir à ce propos É. Bordas, J.-D. Ebguy et N. Mozet (éd.), Un matérialisme balzacien ?, Actes du séminaire Balzac de l’université Paris Diderot- Paris 7 (année 2007-2008) et des journées d’études organisées les 30 et 31 mai 2008, mise en ligne le 4 février 2008 (http://balzac.cerilac.univ-paris-diderot.fr/materialisme.html).
[55] F. Gaillard, « La Science : modèle ou vérité », dans C. Duchet, J. Neefs, S. Vachon (éd.), Balzac l’invention du roman, colloque de Cerisy, Paris, Belfond, 1982, p. 68.
[56] « Les mythes nous pressent de toutes parts, ils servent à tout, ils expliquent tout » (La Vieille Fille, IV, p. 935)
[57] M. Rio-Sarcey, « Le passé du présent », dans Balzac et le politique, B. Lyon-Caen et M.-E. Thérenty (éd.), Saint-Cyr-sur-Loire, Christian Pirot, 2007, pp. 73-82.
[58] Ibid., p. 75.
[59] Voir à ce propos N. Mozet et P. Petitier (éd.), Balzac dans l’Histoire, Paris, Sedes, 2001.
[60] Les Employés, VII, p. 894.
[61] J.-D. Ebguy, Le Héros balzacien, Balzac et la question de l’héroïsme, Saint-Cyr-sur-Loire, Christian Pirot, 2010, p. 157.
[62] Voir à ce propos M. Mas, « Le grand homme selon Le Médecin de campagne : une figure antimoderne ? » dans Balzac et le politique, op. cit., p. 85-95.
[63] Les Petits Bourgeois, VIII, p. 108.
[64] « Le principe électif est la discussion. Il n’y a pas de politique possible » (XI, p. 174).
[65] « Nous sommes entre deux systèmes : ou constituer l’Etat par la Famille, ou le constituer par l’intérêt personnel : la démocratie ou l’aristocratie, la discussion ou l’obéissance, le catholicisme ou l’indifférence religieuse, voilà la question en peu de mots », (I, p. 243).
[66] F. Wilhelm, « Balzac : une théorie du mensonge ? », dans Balzac penseur, F. Spandri (dir.), Paris, Classiques Garnier, 2019, p. 165.
[67] 18. Voir « À Madame la comtesse E », Revue parisienne, 25 juillet 1840, p. 84, repris dans Vachon Stéphane (éd.), op. cit., p. 175, et dans CHH, XXVIII, p. 98.
[68] « La foi littéraire manque à M. Sue. » (« Lettres sur la littérature, le théâtre et les arts », Revue parisienne, 25 juillet 1840, dans Honoré de Balzac, Écrits sur le roman. Anthologie, Stéphane Vachon (éd.) Paris, « Le livre de poche référence », 2000, p. 176).
[69] OD. II, p. 937.