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Littérature et ambiguïtés religieuses : entre hétérodoxie, silences et affirmations de la foi (Lille)

Littérature et ambiguïtés religieuses : entre hétérodoxie, silences et affirmations de la foi (Lille)

Publié le par Esther Demoulin (Source : Amandine Lembré, Clément Cadiot et Hina Ghulam )

Littérature et ambiguïtés religieuses : entre hétérodoxie, silences et affirmations de la foi 

Université de Lille

Affirmer les liens entre religion et littérature n’est pas prendre un risque considérable tant il est vrai que les auteurs et leurs œuvres portent une teinte religieuse plus ou moins présente à travers les siècles. Madame de Sévigné ne fait pas exception à la règle : ses lettres contiennent de nombreuses références à la religion et à des pratiques de l’époque. Certaines constituent un journal de retraite à l’Abbaye de Livry lors de moments religieux (Semaine Sainte, Carême, etc.), d’autres font état de lectures interrogeant et développant sa foi (Pierre Nicole, Pascal, Bossuet, etc.). Pourtant, cette pratique religieuse est perturbée par un élément majeur de la Correspondance. L’affirmation d’un « je » pose problème au regard de l’ethos sévignéen : c’est une ardente lectrice des jansénistes, or ces derniers prônent un ascétisme qui réduit l’expression du moi au minimum et qui invite à une adoration quasi unique de Dieu. Comment alors concilier littérature du moi et pratique janséniste du soi ? Cette ambiguïté entre les préceptes, le soi public et la pratique personnelle de la religion sera encore accentuée au moment de la fin de Port-Royal voulue par Louis XIV. Il s’agit donc de savoir comment se manifeste cette tension et surtout comment elle oblige l’auteur à tantôt affirmer, tantôt taire ses propres pratiques ou bien encore ruser pour tromper sur elles, en fonction d’un contexte historique plus ou moins tolérant.

À ce titre, le cas de Madeleine de Scudéry est intéressant : pourquoi, alors qu’elle propose une attitude religieuse dans l’« Histoire de la morale » (Nouvelles conversations de Morale, 1688), décide-t-elle de la passer sous silence dans le reste de ses Conversations, voire de son œuvre ? Elle côtoie dans les salons un grand nombre de personnalités qui s’investissent dans les débats religieux et politiques de l'époque : jésuites, jansénistes, frondeurs et moralistes. On peut donc interroger sa pratique religieuse et se servir de cette dernière pour se demander quels sont les liens (assimilation, rejet, etc.) entre les auteurs et les dogmes religieux officiels.

Si nos deux exemples se situent dans des contextes où l’on peut encore affirmer des positions discordantes par rapport à la doxa, du moins pour les gens de Cour – il n’en est pas de même en revanche des comédiens et comédiennes de théâtre, qui doivent se convertir in articulo mortis pour être ensevelis en terre chrétienne. Nous sommes alors face à des cas de conversions trompeuses où le « fidèle » est obligé de dissimuler ou de mentir sur sa véritable foi - qu’en est-il des contextes historiques où la tolérance est réduite ?

La réappropriation française de textes littéraires étrangers peut aussi contribuer à s’interroger sur ces phénomènes d’ambiguïtés religieuses. Pensons ne serait-ce qu’aux traductions et adaptations françaises d’œuvres étrangères. Si elles permettent une diffusion plus large de ces textes au-delà de leurs sphères culturelles d’origine, les traductions engagent aussi une réinterprétation des originaux, quel que soit leur degré de fidélité. Prenons l’exemple du Lazarillo de Tormes, petit roman espagnol publié en 1554 et considéré comme le « prototype » de la novela picaresca. Dès la seconde moitié du XVIe siècle et tout au long du XVIIe siècle, il connaît une série de « traductions » françaises qui contribuera à son succès chez les lecteurs francophones. Le Lazarillo offre de nombreuses critiques des représentants de l’Église qui passent par les savoureux commentaires sarcastiques du personnage-narrateur et par la dénonciation de comportements indignes d’hommes d’Église. En Espagne, cet aspect vaudra à l’œuvre anonyme sa mise à l’Index en 1559 et un profond remaniement en 1573. Dans plusieurs éditions françaises des XVIe et XVIIe siècles, cette critique assumée et ces représentations particulières d’individus censés incarner la religion, sont édulcorées quand elles ne sont pas tout simplement supprimées par les traducteurs et éditeurs français.

Il s’agit de voir dans quels contextes historiques, au-delà du XVIIe siècle français, ces ruses et leurs manifestations littéraires prennent place et surtout dans quels buts. Si les crypto-catholiques britanniques ont dissimulé leur foi réelle pour accéder aux hautes sphères et fonctions en Grande- Bretagne du XVIIe siècle au XIXe siècle, les Juifs et les Musulmans espagnols et portugais ont été sommés de se convertir afin de sauver leur vie ou tout simplement d’éviter l’exil. Ces groupes n’ont pas cessé de faire l’objet de soupçons, la sincérité de leur conversion étant interrogée, parfois plusieurs générations plus tard. Dans quelle mesure les auteurs et les autrices ont-ils pu être influencés par toutes ces pratiques et comment, au sein de leurs œuvres, il est fait écho à ce type de situations et d’actions ? L’étude de la religion et des représentations de la foi devient alors une clé de lecture pouvant éclairer le sens d’un texte ou en révéler les véritables intentions.

Pistes envisagées
Comment s’expriment dans les récits, les pratiques ou les convictions religieuses hétérodoxes dans des périodes de tolérance ou de répression plus ou moins forte ?

Étude des cas de conversions feintes soit par opportunisme, soit par obligation : quels en sont les usages et les représentations ? Dans quels cas ou quels contextes trouve-t-on ces conversions insincères ?

Silences et ruses littéraires pour masquer sa foi.

Comment les auteurs s’approprient-ils la religion au profit d’une nouvelle forme de littérature d’idées ?

Comment les personnages littéraires font-ils écho à ces ambiguïtés religieuses ?

Comment les phénomènes d’ambiguïtés religieuses des littératures étrangères sont-ils traités dans le domaine français ?

 

Nous attendons les propositions (même non abouties) fin octobre 2023.

Contacts

clement.cadiot.etu@univ-lille.fr

hina.ghulam.etu@univ-lille.fr

amandine.lembre.etu@univ-lille.fr