Actualité
Appels à contributions
“D'une secrète horreur je me sens frissonner”. Jean Racine, Iphigénie (Rouen, 21-22 novembre 2024 Mont-Saint-Aignan)

“D'une secrète horreur je me sens frissonner”. Jean Racine, Iphigénie (Rouen, 21-22 novembre 2024 Mont-Saint-Aignan)

Publié le par Université de Lausanne (Source : Tony Gheeraert)

Colloque organisé par le Centre de Recherches Editer Interpréter (CEREdI),
avec le soutien de: la Société des Amis de Port-Royal et le Centre international Jean Racine

Comité scientifique
  : Gilles Declercq, Laurence Plazenet, Jean Rohou, Philippe Sellier, Jean-Philippe Grosperrin, Laurent Thirouin, Bénédicte Louvat

Comité organisateur : Caroline Labrune, Servane L’Hopital, Victoire Malenfer, Tony Gheeraert

18 août 1674. Ce jour-là, dans les jardins impeccables de Versailles, sous le regard impassible des dieux de marbre, et pour le plaisir de la plus brillante cour d’Europe, Jean Racine évoque les monstres et suscite l’horreur. Devant les yeux fascinés des spectateurs, le poète magicien fait défiler un roi-ogre jaloux, assoiffé de pouvoir et du sang de sa fille ; un soudard amoureux, chevalier galant et massacreur de civils ; une fille trop sage, trop complaisante surtout aux désirs abominables de son père ; une prisonnière éprise de son geôlier, respirant la fureur ; une reine dénaturée, enfin, rêvant le naufrage de son armée. La Grèce de Racine est primitive, sauvage, dionysiaque. C’est celle des guerres furieuses, des sacrifices humains, des dieux oppressifs aspirant au carnage. Iphigénie suscite depuis trois siècles et demi un vif malaise. Elle est la plus dérangeante peut-être des tragédies raciniennes, parce qu’elle révèle mieux qu’aucune autre l’ambivalence des passions. Chez les Atrides, il n’est aucun noble sentiment qui ne puisse se dévoyer, se renverser, s’abîmer dans le mal. De l’amour conjugal, filial ou paternel, on ne contemple ici que les revers atroces. La victime et son bourreau, le vainqueur et sa captive, l’époux et l’épouse, l’amant et la maîtresse sont unis par des liens vénéneux, aussi effrayants que réversibles. Dans les effluves d’inceste et de cannibalisme répandus partout dans la famille maudite, héros et héroïnes devront parcourir leur chemin, franchissant au passage interdits et tabous, jusqu’au sacrifice sanglant offert aux divinités invisibles, mais insatiables. Les dieux ont soif. Ils exigent la mort à la faveur de leurs oracles obliques et de leur prêtre dévot. Ils ne promettent leurs bienfaits qu’en échange du sang innocent. La souveraineté d’Agamemnon et la victoire des Grecs sont à ce prix. Certes, lorsque l’autel rougit du sang de la victime, la nuit pesante se déchire enfin, la vague gémit, l’écume blanchit, le tonnerre éclate. Des noces funèbres se préparent. Le vent se lève. Mais pour autant, peut-on tenter de vivre encore ?

Après les colloques consacrés à Bérénice, Mithridate, et Bajazet, l’on se propose de poursuivre la célébration des anniversaires raciniens lors d’une manifestation consacrée aux 350 ans d’Iphigénie. On pourra par exemple, sans exclusive, examiner les questions suivantes.

Le rapport aux sources : Racine et la Grèce ?

Racine, comme il le fait souvent, exhibe dans sa préface sa dette à l’égard des Anciens pour mieux occulter le rapport compliqué qu’il entretient avec les modernes. On pourra s’intéresser à la réécriture d’Euripide, mais aussi à l’influence possible des prédécesseurs, comme Rotrou.

Iphigénie, tragédie sublime

C’est à l’été 1674 que Boileau, pour couper court à la montée de l’esprit moderne, publie simultanément l’Art poétique et le Traité du sublime, qu’il méditait depuis plusieurs années, non sans échanger avec son ami Racine. Iphigénie est-elle une tragédie sublime, qui ravit, enlève et transporte ? Le saisissement d’horreur sacré est-il une manifestation du sublime longinien, dont l’efficace s’apparente à la parole de Dieu ?

Les dieux : une “illusion de présence” (G. Forestier) ?

Après les pièces romaines et orientales, Racine renoue avec la tragédie grecque et continue le travail entamé dès La Thébaïde et poursuivi dans Andromaque, Iphigénie entretenant de nombreux liens avec ces deux pièces.

On pourra aussi s’intéresser aux oracles, d’autant plus fourbes qu’ils ne le sont pas toujours, et plus propres ici à mettre au jour les désirs enfouis des personnages qu’à éclaircir leurs jugements.

Racine et la fête

On pourra s’intéresser à la place d’Iphigénie au sein du spectacle donné à Versailles en 1674 : on sait que la tragédie de Racine bénéficia de décors somptueux et d’une mise en scène fastueuse, à travers laquelle Racine comptait aussi faire pièce aux prestiges de l’opéra. Quel rapport peut-on établir entre les fêtes funèbres de la pièce (sacrifice humain, tristes épousailles) et les fêtes glorieuses et galantes du roi toujours victorieux ?

Une tragédie galante ?

On pourrait interroger la dimension galante d’Iphigénie, en particulier à travers le personnage d’Achille, plein de “transports” pour Iphigénie, mais non dépourvu d’attentions pour sa rivale, “belle princesse”. La galanterie noire d’Eriphile, ‘consultant des fureurs qu’autorisent les dieux”, pourra aussi faire l’objet d’un examen.

“Une autre Iphigénie” ?

Iphigénie n’a pas éclipsé la très riche production qui marqua l’année 1674 : l’opéra d’Alceste, que Racine attaque dans sa préface, la pièce rivale de Coras et Le Clerc, et le chant du cygne de Corneille, Suréna, œuvre que certains ont pu qualifier de racinienne. Les relations entre la ville et la cour en 1674, notamment au regard de l’opéra, pourront aussi faire l’objet d’interrogations.

“Et tout dort, et les vents…”. Le calme et la tempête

La tragédie est ponctuée d’événements météorologiques : le calme plat, l’orage, les vents, les vagues sur la mer écumante. Signes de la démesure cosmique face à l’impuissance humaine, manifestation de la volonté des dieux, symptômes d’un rapport archaïque avec l’environnement, les liens de l’homme et du monde qui l’entoure dans Iphigénie méritent d’être considérés à la lumière des développements récents de l’écocritique et de l’écopoétique.

Réception et mise en scène

Comme lors des colloques précédents, une place substantielle sera accordée aux travaux portant sur la réception critique et scolaire, ainsi que sur les mises en scène, depuis la création à Versailles jusqu’à la mise en scène de Stéphane Braunschweig, qui voyait en 2020 dans Iphigénie une métaphore du monde immobile en temps de confinement pour cause de pandémie (à retrouver en ligne). Les communications pourront également porter sur l'histoire des adaptations d’Iphigénie, avant et après la pièce de Racine, en France et en Europe, et en envisageant aussi les déclinaisons bibliques telles que le sujet de Jephté.

Les propositions de communication (350 mots) seront à faire parvenir, accompagnées d’un court CV, à  :

anniversaires_raciniens@googlegroups.com avant le 15 février 2024.