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Les imaginaires du développement technologique : une typologie

Les imaginaires du développement technologique : une typologie

Publié le par Marc Escola (Source : Emmanuelle Caccamo)

Appel à contributions pour manuscrits

Coordonné par Emmanuelle Caccamo (Université du Québec à Trois-Rivières)

 et Marie-Julie Catoir-Brisson (Audencia SciencesCom Nantes)

Cet appel à contributions naît d’un désir de questionner le développement technologique par le prisme de la notion d’« imaginaire ». Partant de représentations médiatiques et socioculturelles (œuvres littéraires, cinématographiques, etc.), de discours (publicitaires, institutionnels, etc.), mais aussi d’expérimentations matérielles (projets de conception, expérimentations artistiques, design fiction, etc.), nous souhaitons dresser un inventaire réflexif des types d’imaginaires du développement technique qui coexistent en vue de les faire dialoguer. Ce projet s’inscrit notamment dans la poursuite des travaux de Pierre Musso (2014) en interrogeant de façon critique les différentes trajectoires techniques (Gras, 2003 ; 2013) qui existent en Occident et au-delà (Escobar, 2018). 

Dans un contexte marqué par des débats de plus en plus polarisés, ce projet aborde les questionnements soulevés par le développement technologique et les imaginaires qui l’accompagnent ; à partir d’approches interdisciplinaires en communication, en design, en histoire, en lettres, en sociologie, en anthropologie, en éducation, en philosophie, en sciences de l’ingénieur, pour ne citer que celles-ci, l’ambition du projet éditorial est de catégoriser ces imaginaires, d’observer comment ils sont configurés : quelles formes adoptent-ils, quelles valeurs et visions du monde portent-ils, à quels moments émergent-ils, quels buts les animent et quels groupes les ont forgés ou s’en font le relai ? 

Les analyses et les discussions sur des « imaginaires émergents », ceux qui cristallisent les problématiques actuelles des futurs des technologies en lien avec des crises environnementales, sociales et politiques, nous apparaissent à ce titre fort pertinentes. Que penser, par exemple, des initiatives de développement en intelligence artificielle et d’algorithmes comme « This Climate does not exist »[1] pour sensibiliser au changement climatique ? Que signifie l’emballement médiatique pour les « CLIFI virales », ces microfictions visuelles climatiques qui circulent sur les réseaux sociaux numériques, réactualisent le genre littéraire de la fiction climatique (Malpas, 2021), mais qui témoignent d’un imaginaire quelque peu « poussif » ou « suffoquant » ? Comment comprendre l’engouement euphorique pour les discours promouvant le développement des technologies visant à endiguer le réchauffement climatique par la géo-ingénierie solaire (Biermann et al. 2022) ou à maintenir la production d’objets connectés favorisant les pratiques d’autosurveillance (self-tracking) dans un contexte de crise sanitaire ? 

Quand l’urgence de réinventer nos usages et pratiques des technologies numériques devient d’autant plus manifeste en regard des enjeux éthiques, socioculturels et politico-économiques soulevés par les crises sanitaires et écologiques actuelles, il convient de s’interroger sur la variété des discours qui émergent sur le rôle des technologies dans les transformations liées à cette période. 

Nous souhaitons donner une place aux réflexions sur les paradoxes, les contradictions ou les écarts, par exemple au sein des discours, mais aussi entre les différentes formes d’imaginaires (trajectoires technologiques non technocentrées comme technocentrées, extrêmes, impossibles, marginales ou marginalisées, etc.) et les projets des agents qui mobilisent certains imaginaires. Parmi ces imaginaires, citons par exemple, de façon non restrictive : 

- les imaginaires de la frugalité technique, de la sobriété numérique (Bordage, 2018), les alternumérismes (Laïne et Alep, 2020) ; les technocritiques (Jarrige, 2014), les visions non développementalistes ou du post-développement (Kothari et al., 2019), décroissantistes et les trajectoires conviviales qui prolongent les travaux d’Illich, d’Anders, de Castoriadis, d’Ellul ; par exemple que recouvrirait un imaginaire post-industriel de la technique ou un imaginaire post-numérique ?

- les imaginaires de la maintenance (Denis et Pontille, 2022), de la réparation et du recyclage (Nova, 2020 ; Catoir-Brisson et Chauveau, 2021), l’imaginaire du « techno-discernement », voire du renoncement (Bonnet, Landivar et Monnin, 2021) ; Quelles formes pourrait-il prendre et dans quels projets pourrait-il s'incarner ? Qu’implique un imaginaire du « techno-discernement » ? À quoi ressemblent les imaginaires de sortie ? Quelles politiques viendraient-ils informer ?

- les imaginaires féministes, décoloniaux, intersectionnels du développement technologique (Yamagushi et Burge, 2019 ; Langmia et Lando, 2020 ; Couldry et Mejias, 2023), tels que par exemple les  technoféminismes (Wajcman, 2004 ; Frade et Vairinhos, 2023), les cyberféminismes (Haraway, 1991), le xénoféminisme (Hester, 2018 ; Laboria Cuboniks, 2019), le technoqueer (Chang, 2012), l’afrofuturisme (Anderson, Fluker et Thomas, 2019), les cosmotechniques et la technodiversité (Hui, 2020 ; Hui et Lemmens, 2021).

- les imaginaires dits « extrêmes », de droite comme de gauche : transhumanismes (Le Dévédec, 2021), écomodernismes (Symons, 2019), néo-extractivisme, accélérationnisme (Srnicek et Williams, 2017), communisme de luxe (Keucheyan, 2019 ; Bastani, 2021), anarcho-primitivisme (Zerzan, 1999), etc.

Ce projet éditorial est l’occasion de se saisir de la diversité des perspectives imaginaires, d’« ouvrir » les possibles, de déconstruire certaines évidences reliées aux mythes du progrès et de la croissance, mais aussi d’apporter certaines nuances et de dépasser les oppositions binaires ou parfois trop simplistes – du type utopies versus dystopies – qui excluent une réflexion sur l’ambivalence technique (Ellul, 1988). 

Les objets à l’étude peuvent être fictionnels ou implémentés, passés ou actuels. Dans une perspective historique, il est tout aussi intéressant de prendre en compte la manière dont certains imaginaires contemporains réactivent, ou sont en rupture, avec les imaginaires du développement technique qui les ont précédés. Il peut être pertinent d’analyser la manière dont ces imaginaires sont incarnés dans matérialités technologiques ou médiatiques, aussi bien que dans formes narratives ou dans des « technofictions » (Cassou-Noguès, 2019) qui circulent d’un média à l’autre. Elles contribuent ainsi à nourrir l’univers médiatique de ces références culturelles qui peuvent devenir virales et construire de nouvelles représentations socioculturelles de nos relations aux technologies qu’il peut être utile d’éclairer à partir de l’intermédialité (Müller, 2000 ; Tadier et Méchoulan, 2021). 

Les propositions peuvent également porter sur les conceptions pratiques en recherche-création et en design, toujours pétries d’imaginaires : par exemple quelles sont les initiatives concrètes de contre-faire numérique (Allard, 2015), de numérique situé (Nova et Roussilhe, 2020), de design pour la transition (Irwin, 2015) et à quels types d’imaginaires sont-ils rattachés ? 

Ce large appel à contribution est ouvert à toute proposition visant à questionner les choix de technologies au regard de visions du monde et de la société. 

En plus des orientations déjà évoquées, plusieurs autres formes de contributions peuvent être envisagées. Chacune des propositions pourra ainsi être orientée vers l’examen, la comparaison et/ou la mise en débat de visions et d’imaginaires du développement technologique. Les propositions en recherche et création sont les bienvenues.

Les propositions de communications pourront provenir de différentes perspectives et approches disciplinaires en sciences humaines et sociales ou en dehors : communication, sémiologie, sémiotique, rhétorique, sociologie, sciences de gestion, design, histoire de l’art, histoire et philosophie des sciences et techniques, anthropologie, sciences en ingénierie, etc. 

Mots-clés : imaginaires, technologies, techniques, trajectoires, bifurcations, alternatives, représentations.

Soumettre une proposition

La proposition indiquera : le titre, le résumé de 500-700 mots avec bibliographie et une notice bio-bibliographique incluant les noms, les affiliations et l’adresse courriel des auteur·e·s. Nous recevons aussi des manuscrits complets. 

La proposition doit être envoyée simultanément à mjcatoirbrisson@audencia.com et emmanuelle.caccamo@uqtr.ca

Calendrier

Lancement de l’appel : 1er septembre 2023.

Soumission des propositions : 15 novembre 2023.

Retour sur les propositions (acceptation) : début décembre 2023.

Réception des manuscrits dans leur première version (entre 25 000 et 45 000 signes ; sans mise en forme spécifique) : 15 mars 2024.

Publication dans une nouvelle collection d’ouvrages (nom de la maison d’édition à venir) : fin 2024/début 2025.

Ce projet s’inscrit dans le chantier transatlantique « Les imaginaires du développement technologique ».

En savoir plus https://imtechalt.hypotheses.org/rencontres 

Coordination du projet : 

Marie-Julie Catoir-Brisson est professeure associée en communication et design au Département communication, culture et langues d’Audencia Nantes (France).

Emmanuelle Caccamo est professeure en études sémiotiques au Département de lettres et communication sociale de l’Université du Québec à Trois-Rivières (Québec, Canada).

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Comité scientifique :

Laurence Allard, Université de Lille

Maude Bonenfant, Université du Québec à Montréal

Anne Beyaert-Geslin, Université Bordeaux-Montaigne

Annie Gentès, Cy Design, Paris

Jérôme Goffette, Université Claude Bernard Lyon 1

Sylvie Grosjean, Université d’Ottawa

François Jarrige, Université de Bourgogne

Mahdi Khelfaoui, Université du Québec à Trois-Rivières

Myriam Lavoie-Moore, Australian National University

Emilie Lechenaut, Université de Lorraine

Nicolas Le Dévédec, HEC Montréal

Nicolas Nova, Head Design, Genève

Julien Pierre, Université de Sherbrooke

Tyler Reigeluth, Université de Lille

Fabien Richert, Université du Québec à Montréal

Pierre Teissier, Université de Nantes

Delphine Saurier, Audencia, Nantes

Sébastien Shulz, Université Paris-Nanterre.

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Bibliographie

ALLARD, L. (2015). « L’engagement du chercheur à l’heure de la fabrication numérique personnelle », Hermès, La Revue, vol. 73, n°3, p. 159-167.

ALLARD, L., MONNIN., A. et N. NOVA (dir.) (2022). Écologies du smartphone, Lormont, Le Bord de l’eau.

ANDERSON, R., FLUKER, C. R. et S. R. THOMAS (dir.). (2019). The black speculative arts movement: Black futurity, art+design, Lanham, Lexington Books.

BASTANI, A. (2021). Communisme de luxe : Un monde d’abondance grâce aux nouvelles technologies, Paris, Diateino.

BIERMANN, F. et al. (2022). « Solar geoengineering: The case for an international non-use agreement », Wiley Interdisciplinary Reviews: Climate Change, https://doi.org/10.1002/wcc.7548 

CACCAMO, E. et M.-J. CATOIR-BRISSON (2020). « À propos des Imaginaires des technologies et des médias numériques alternatifs », carnet de recherche IMTECHALT. En ligne : https://imtechalt.hypotheses.org 

CASSOU-NOGUÈS, P. (2019). Technofictions, Paris, Les Éditions du Cerf.

CASTORIADIS, C. (1975). L’institution imaginaire de la société, Paris, Éditions du Seuil.

Catoir-Brisson, M-J. et N. Chauveau (2021). Vers des usages dégradés désirables : nouveaux imaginaires du design d’interaction, Design Arts Medias, 12/2021. URL: https://journal.dampress.org/issues/design-du-peu-pratiques-ordinaires/vers-des-usages-degrades-desirables-nouveaux-imaginaires-du-design-d%27interaction

CHANG, E. Y. (2012). Technoqueer: Re/Con/Figuring Posthuman Narratives, Thèse de doctorat, University of Washington.

COULDRY, N. et U. A. MEJIAS (2023). « The decolonial turn in data and technology research : What is at stake and where is it heading? », Information, Communication & Society, 26(4), p. 786802. DOI : https://doi.org/10.1080/1369118X.2021.1986102

DENIS, J. et D. PONTILLE (2022). Le soin des choses : Politiques de la maintenance, Paris, La Découverte.

ELLUL, J. (1988). Le bluff technologique, Paris, Hachette.

ESCOBAR, A. (2018). Design for the pluriverse: radical interdependence, autonomy and the making of the world, Durham, Duke University Press.

FLICHY, P. (2003). L'innovation technique: Récents développements en sciences sociales. Vers une nouvelle théorie de l'innovation, Paris, La Découverte. 

FRADE, R. et M. VAIRINHOS (2023). Technofeminism: Multi and transdisciplinary contemporary views on women in technology. UA Editora. https://ria.ua.pt/handle/10773/37656

GARÇON, A.-F. (2012). L’imaginaire et la pensée technique : Une approche historique, XVIe-XXe siècle. Classiques Garnier.

GRAS, A. (2003). Fragilité de la puissance : se libérer de l’emprise technologique, Paris, Fayard.

GRAS, A. (2013). Les imaginaires de l’innovation technique, Paris, Manucius.

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HUI Y. et P. LEMMENS (2021). Cosmotechnics: for a renewed concept of technology in the Anthropocene, Londres, Routledge. 

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JARRIGE, F. (2016). Technocritiques, Paris, La Découverte.

JARRIGE, F. et R. MORERA (2006). « Technique et imaginaire : approches historiographiques », Hypothèses, 9, p. 163-174. DOI : https://doi.org/10.3917/hyp.051.0163

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MÜLLER, J. E. (2000). « L’intermédialité, une nouvelle approche interdisciplinaire : perspectives théoriques et pratiques à l’exemple de la vision de la télévision », Cinémas : revue d’études cinématographiques, 10(2-3), p. 105-134. 

MUSSO, P. (2014). L’imaginaire industriel, Paris, Éditions Manucius.

NOVA, N. et G. ROUSSILHE (2020). « Du low-tech numérique aux numériques situés », Sciences du Design 11, p. 91-100.

NOVA, N. (2020). Smartphones : une enquête anthropologique, Genève, Métis Presse.

ROUSSILHE, G. et Q. MATEUS (2023). Perspectives low-tech, Paris, Éditions Divergences.

SALIOU, M. (2023). Technoféminisme : Comment le numérique aggrave les inégalités, Paris, Grasset.

SRNICEK, N. et A. WILLIAMS (2017). Accélérer le futur. Post-travail et post-capitalisme, Saint-Etienne, EPCC Cité du design – École supérieure d’art et design.

SYMONS J. (2019). Ecomodernism: technology politics and the climate crisis, Cambridge, Polity Press.

TADIER, E. et É. MÉCHOULAN (2021). « Études intermédiales : à la rencontre de l’école de Montréal », Communication & langages, 208-209.

WAJCMAN, J. (2004). TechnoFeminism, Cambridge, Polity Press.

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ZERZAN, J., Aux sources de l’aliénation, Montreuil, L’insomniaque, 1999.

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[1] https://thisclimatedoesnotexist.com/home