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Droit naturel et républicanisme : horizon politique et historique de l'Ancien Régime à la Suisse des Lumières (Genève)

Droit naturel et républicanisme : horizon politique et historique de l'Ancien Régime à la Suisse des Lumières (Genève)

Publié le par Marc Escola (Source : Romain Cuttat)

 Appel à contributions – Colloque 

« Droit naturel et républicanisme : horizon politique et historique de l’Ancien Régime à la Suisse des Lumières »

Alors que le qualificatif de « République » a suscité jusqu’ici d’importants éclaircissements épistémologiques et politiques, le projet républicain – avant même qu’il se déchiffre à hauteur des notions de liberté, de vertu et d’égalité – mérite encore d’être questionné dans la dialectique qu’il initie avec l’essor du droit naturel moderne. Or, l’identité propre au Républicanisme moderne n’est pas sans appeler de sérieuses nuances avec l’Ancien Régime, tant l’égalité est encore, à cet âge politique, irréductible à la liberté politique. 

Indépendamment encore de tout ancrage institutionnel ou de son apparentement plus ou moins distendu avec la notion de régimes politiques, le républicanisme de l’Ancien Régime suisse n’engage-t-il pas dans son essentielle expression, la réalisation prioritaire de projets sociaux et/ou culturels ? Aussi la distanciation, réelle ou idéologique, vis-à-vis du monde de l’illusion théâtrale, n’exige-t-il pas un éclairage substantiel en lien avec la notion de vertu ? L’idée de vertu, si chère au républicanisme classique, ne s’émancipe-t-elle désormais pas dans le rôle d’un engagement civique lui-même réceptif des bienfaits du commerce ? Comment de surcroît le sens de l’éducation républicaine, c’est-à-dire le souci du commun, s’énonce-t-il au sein de la réflexion politique de l’Ancien Régime ? Là où le droit naturel a servi la cause des princes et des rois en favorisant un enseignement d’exception aux seuls gouvernants, la rhétorique républicaine ne constitue-t-elle pas un contrepoids décisif à pareille privatisation ?

L’autonomie du peuple n’est-elle pas d’abord un indispensable moyen de prémunir son identité politique face à la vertigineuse et tentaculaire emprise des Empires avoisinants ? Mais la République helvétique n’a-t-elle pas d’elle-même acté l’impuissance lourde de son caractère unitaire, incapable de régir l’exercice du pluralisme culturel ou linguistique ?

Comment en d’autres termes se déchiffrent les particularités de l’esprit « républicain » suisse qui s’ajustent à la réalité politique de l’Ancienne Confédération, qui, du seuil de l’Ancien Régime jusqu’à l’aube de la Modernité, structurent et conditionnent les revendications du peuple et sa force d’autonomie ? Comment s’appréhende en effet la dimension participative du peuple à la « chose publique », se développe le rôle des citoyens dans le processus décisionnel, s’accomplit le caractère représentatif reconnu dans le projet de Confédération ? 

Si la Landsgemeinde favorise l’idée première que le peuple règne, alors par quel déplacement de sens les assemblées représentatives s’établissent en s’accordant le plus souvent sur une logique corporative ? Le républicanisme classique passe-t-il encore, dans pareille vue, pour héritage politique conséquent ? La concession à l’idée de représentation et à l’émergence d’assemblées populaires – que le modèle de l’aristo-démocratie de la Genève de la première moitié du XVIIIe siècle notamment consacre – n’atteste-t-elle pas toute l’ambivalente légitimité accordée aux droits du peuple comme à ses représentants dans la forme d’un contractualisme de plus en plus indépassable ?

Aussi convient-il d’interroger l’attrait extérieur que peut représenter d’autres régimes politiques non seulement sur la dimension formelle mais aussi matérielle de la structure constitutionnelle suisse. L’influence du modèle anglais, à travers notamment la légitimité reconnue à la « mixed monarchy », alimentera l’étoffe du jusnaturalisme de Barbeyrac et de Burlamaqui en accentuant la reconnaissance à l’idée de « balancement des pouvoirs ». Mais n’est-ce pas dans ce neuf aménagement politique, censé faire front à l’absolutisme monarchique, que s’illustre la dénégation du républicanisme de Rousseau et du caractère irreprésentable de la « volonté générale » ? Et si c’était le droit naturel moderne qui désormais venait à faire concurrence au modèle historique d’un peuple toujours et nécessairement souverain ?

Avant même que le mouvement révolutionnaire français comme suisse de la fin du XVIIIe siècle ne s’approprie le corpus républicain au nom de motivations politiques ciblées, le républicanisme qui s’affirme à l’aube du XVIIIe siècle n’a rien d’ouvertement séditieux mais est commandé par le souci de considérer les droits du peuple en légitimant l’existence d’assemblées populaires. Mais alors, les revendications populaires au cours des débats constitutionnels de fin de l’Ancien Régime nous mettent-elles en présence d’un républicanisme d’essence participatif, de non-domination ou de non-interférence ? La lutte contre l’arbitraire consonne-t-elle nécessairement avec une appropriation du pouvoir par le peuple ? Comment les droits individuels sont-ils garantis lors même que la liberté n’est pas inséparable de la notion d’égalité ? La République helvétique n’intègre-t-elle d’ailleurs pas à son programme politique maints impératifs du droit naturel moderne ? 

Si le droit naturel est rapidement perçu en Suisse romande au tournant des XVIIe et XVIIIe siècles comme instrument dont l’emploi sert à délégitimer la possibilité d’une gouvernance « populaire », sa réception s’énonce doublement, tant la souplesse du contractualisme de Pufendorf par exemple et la différenciation bodinienne entre la forme de l’Etat et la forme du gouvernement, permet d’ajuster à des desseins politiques contraires toute la vivacité théorique du jusnaturalisme. 

En outre, l’autorité des Professeurs de droit naturel favorise-t-elle un discours politiquement connoté ou le renversement d’une conception « républicaine » du droit ? La Chaire lausannoise de droit naturel (avec notamment Charles Guillaume de Loys de Bochat, Béat-Philippe Vicat, Jacques Abram Daniel Clavel de Brenles, Christian Dapples, Charles Secretan) ou la Chaire fribourgeoise (avec Tobie Barras, Jean-François Ducros et Jean-François-Marcellin Bussard) subissent-elles une inflexion doctrinale particulière ? Et que dire de l’influence de Louis Bourguet à Neuchâtel ?

Quels rôles encore jouent les pasteurs, comme Jean-Alphonse Turrettini à Genève ou Jean-Jacques Sachli à Lausanne, eux qui paraissent pour les sectateurs d’un nouvel esprit libéral ? Participent-ils d’une certaine manière à l’éveil d’un mouvement « républicain » ? Et si la question de la tolérance religieuse n’était-elle pas commandée par quelques opportunismes politiques ? Comment en somme ceux-ci intègrent-ils à leurs prêches la possibilité au peuple de s’exprimer ?

Approche et méthodologie :

Ce colloque sera l’occasion d’exposer la tonalité du républicanisme comme du droit naturel dans un faisceau large, c’est-à-dire en mesurant leurs variations au sein d’interventions historiques déterminées. Plus exactement, nous souhaiterions mesurer comment appert et opère l’expression du républicanisme et la réception du droit naturel moderne au cœur de l’Ancien Régime suisse.

S’il s’agit ici également de s’attarder sur la portée épistémologique du terme de « Républicanisme » et de ses acceptions multiformes – par exemple dans son opposition au libéralisme – nous souhaiterions engager le propos dans la perspective d’un enjeu concret en convoquant les figures majeures comme celles historiquement ou doctrinalement encore silencieuses. Ce colloque tend donc à illustrer comment la sensibilité du républicanisme et du droit naturel se concrétise dans un horizon tout à la fois historique et politique. 

L’ambition de ce colloque incite ainsi à une approche transdisciplinaire, par la largesse même de son enjeu, et convoque aussi bien les domaines de l’histoire, de la sociologie, du droit ou de la philosophie. Il s’adresse principalement aux doctorant.e.s et jeunes chercheuses et chercheurs et bénéficiera pour les participant.e.s d’un financement de la Conférence universitaire de Suisse occidentale (CUSO).

Modalité de soumission :

Les propositions de contribution, en français ou en anglais, ne doivent pas excéder 3'500 signes et doivent être retournées à Monsieur Romain Cuttat avant la date du 24 septembre 2023. 

Lieu :    Université de Genève, Uni mail

Date :    26 janvier 2024 

Contact : romain.cuttat@unige.ch 

Colloque organisé en partenariat avec le programme doctoral en droit de la CUSO